Commentaire de Chris Wagstaff et Chris Anker de Columbia Threadneedle Investments sur ce que nous réserve l’année 2020 en matière d’engagement ESG pour les fonds de pension européens.
Les fonds de pension peinent à se familiariser avec les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Mais en 2020, la pression croissante des régulateurs à l’intégration de ces questions sera trop forte.
Tous les régulateurs européens exigent des mesures. Au Royaume-Uni, les administrateurs de fonds de pension doivent fournir toujours plus d’informations sur la manière dont ils intègrent les facteurs ESG. Ainsi, depuis le 1er octobre 2019, ils sont tenus de déclarer leurs politiques en matière d’exercice des droits de vote et de gestion des questions ESG (changement climatique et autres facteurs de risque important). A partir d’octobre 2020, ces exigences de divulgation seront encore plus strictes.
La France connaît des bouleversements similaires. En vertu de l’article 173 de la loi française de transition énergétique, il est demandé aux détenteurs et aux gestionnaires d’actifs de communiquer leurs politiques ESG et d’indiquer comment ils entendent relever le défi du changement climatique.
La Commission européenne accroît elle aussi la pression sur les conseillers en placement et les gestionnaires d’actifs. La directive MIFID II leur impose d’aider leurs clients à identifier leurs préférences en termes d’ESG, pour ensuite les intégrer à l’allocation d’actifs.
Les décideurs politiques s’y mettent aussi. A l’image du ministre britannique des pensions, qui a écrit aux 50 plus grands fonds de pension du pays pour leur demander comment ils intègrent les critères ESG.
Les gestionnaires d’actifs et les conseillers se montrent à la hauteur de l’enjeu. Ils progressent rapidement pour ce qui est de rendre ce thème autrefois ésotérique de l’ESG clair et pertinent pour les fonds de pension.
POURQUOI LES FONDS DE PENSION ONT-ILS PEINÉ, JUSQU’ICI, À PRENDRE EN COMPTE LES FACTEURS ESG ?
Nous sommes face ici à un problème de perception. L’ESG présente de multiples facettes et la façon dont la question a été abordée par l’industrie par le passé n’a guère permis d’en obtenir une image claire. Sans compter que l’expression ESG a été utilisée de manière interchangeable avec d’autres termes, alors que ISR (investissement socialement responsable), investissement durable, investissement d’impact et ESG ne veulent pas dire exactement la même chose.
Autre aspect de ce problème de perception : certains investisseurs croient à tort qu’il s’agit d’un mouvement moralisateur qui, si l’on y adhère, génèrera des rendements plus faibles. Or l’ESG ne consiste pas à exclure certains actifs des portefeuilles pour des motifs éthiques ; il s’agit en réalité de formuler une vision claire et holistique du risque d’investissement, qui sera donc plus susceptible d’améliorer les résultats.
Si les fonds de pension ont eu du mal à intégrer les facteurs de risque ESG dans leur processus d’investissement et de gestion des risques, c’est aussi parce que ce n’est pas si simple et qu’il n’y a pas qu’une seule façon de faire. Chaque fonds aura sa propre interprétation des facteurs de risque ESG et ses propres préoccupations. Et puisqu’à chaque fonds est associé un portefeuille spécifique, à chaque fonds s’appliquent également des facteurs de risques spécifiques.
A noter également que des biais comportementaux peuvent mener la vie dure aux conseils d’administration. En groupe, les gens se comportent différemment et la pensée de groupe peut renforcer l’idée qu’il est acceptable de reporter les mesures à prendre en matière d’ESG. On comprend dès lors qu’un conseil d’administration soit tenté d’éviter un débat houleux sur ses convictions en matière d’ESG, sachant que celles-ci peuvent ne pas être partagées par tous. Les préjugés actuels peuvent également empêcher les administrateurs de s’engager à l’égard de facteurs de risque qui semblent très lointains, comme le changement climatique.
COMMENT ENCOURAGER UN CHANGEMENT SIGNIFICATIF
Il est crucial de s’attaquer aux biais comportementaux associés à l’ESG. Le secteur des pensions se laisse souvent rattraper par la « malédiction de la connaissance » et, supposant que tout le monde comprend le concept ESG et ses nuances, en parle en des termes très techniques. Il est temps de laisser tomber les acronymes et de parler clairement. Heureusement, l’industrie fait déjà de grands progrès en ce sens.
Non seulement la réglementation l’exige, mais les conseillers en investissement et les gestionnaires d’actifs ont le devoir d’insister sur les risques qui se posent si l’on reste sourd aux questions ESG. Pour les administrateurs de fonds de pension, négliger l’importance des critères ESG revient à ignorer une partie des risques associés à leurs portefeuilles d’actifs. Les conseillers des fonds de pension peuvent également aider les conseils d’administration à surmonter leurs préjugés en leur présentant des statistiques prouvant qu’il est urgent d’agir pour atténuer des problématiques telles que le risque climatique.
Parce qu’ils ont accès à des conseils de qualité et qu’ils sont dotés de budgets de gouvernance généreux, les grands fonds de pension ont été les premiers à adopter des politiques ESG cohérentes et des cadres d’investissement responsable. Les fonds de pension plus modestes pourraient s’en inspirer pour voir comment définir à leur tour une approche plus complète.
La bonne nouvelle, c’est que partout en Europe, l’ESG est au cœur des discussions des administrateurs et des conseils d’administration d’entreprises. Des signes encourageants indiquent que les mesures décrites ci-dessus se concrétisent peu à peu. Sachant en outre que la thématique trouve un écho de plus en plus large auprès des décideurs politiques et que la pression du régulateur ne cesse de s’accroître, 2020 sera assurément une année charnière pour l’ESG.