Dix-sept mois après les débuts de leur mission, les 150 volontaires, tirés au sort, ont adressé une note générale de 3,3 sur 10 à la reprise de leurs propositions. “Clap de fin pour la convention citoyenne pour le climat (CCC). Quelques minutes avant 16 heures, dimanche 28 février, les travaux de la huitième et ultime session se sont achevés dans l’émotion… et l’expression d’une réelle déception.
La réponse, à la réponse
Quelques mois après les débuts de leur mission, en octobre 2019, les 150 volontaires, tirés au sort, se sont accordés sur « la réponse à la réponse », soit leur sentiment sur le sort réservé par le gouvernement à leurs 149 propositions pour permettre de « diminuer d’au moins 40 % (par rapport à 1990) les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 dans un esprit de justice sociale ».S’agissant de leur appréciation de la prise en compte par le gouvernement de leurs propositions, la note est rude : 3,3 sur 10. « Insatisfaisant » selon le barème établi pour cette notation – de 0 à 1 pour « très insatisfaisant », jusqu’à 9 à 10 pour « très satisfaisant ». Pire, à l’interrogation « dans quelle mesure les décisions du gouvernement relatives aux propositions de la CCC permettent-elles de s’approcher de l’objectif fixé » par le président de la République, les conventionnels ont accordé un sec 2,5.
« Ce n’est pas une surprise, on s’y attendait, a expliqué au Monde, après le vote final, la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili. Ils ont réagi comme si le projet de loi était la seule base pour la reprise de leurs propositions, mais c’est une erreur, leurs objectifs se retrouvent aussi ailleurs. » La ministre se dit par ailleurs « motivée par ces votes pour reprendre le bâton de pèlerin pour continuer de convaincre ».Les réactions ne se sont pas fait attendre. « Tous les avis rendus le confirment : la copie remise par le gouvernement n’est pas au niveau et la loi climat va devoir passer son oral de rattrapage. Les citoyens ont rempli leur contrat démocratique. Aux parlementaires maintenant de s’emparer, avec courage et responsabilité, de la crise climatique dans un esprit de justice sociale », juge Pierre Cannet, directeur du plaidoyer du WWF France.Greenpeace a, elle, décerné un « bonnet d’âne au gouvernement ». « On ne peut pas demander à des citoyens et citoyennes de s’impliquer pendant des mois sur un sujet aussi crucial et attendre d’eux d’adhérer à la manipulation qui en est faite », affirme ainsi Clément Sénéchal, chargé de campagne politiques climatiques.
« Cent filtres »
Le 21 juin 2020, la convention citoyenne pour le climat avait transmis 149 propositions au président de la République, qui en a rejeté trois et s’était engagé à transmettre les autres « sans filtre ». « Cent filtres » ont ironisé nombre de conventionnels déçus, voire irrités, par le sort réservé par l’exécutif à leurs mesures. Aujourd’hui, le gouvernement comptabilise 75 mesures mises en œuvre et 71 en voie de l’être. Certaines ont trouvé place dans le plan de relance ou le budget, d’autres dans des décrets. Et environ 30 % des propositions de la convention citoyenne ont été reprises, partiellement ou en intégralité, dans le projet de loi Climat et résilience qui sera débattu à l’Assemblée nationale fin mars.
Durant trois jours, de vendredi à dimanche, en visioconférence comme ils en ont pris l’habitude depuis le début de la pandémie, les adhérents à cet exercice de démocratie participative inédit ont débattu, soupesé les avancées et les abandons. Jusqu’au bout, ils auront travaillé, n’hésitant pas à revisiter encore leurs propositions. Cent-dix-neuf conventionnels ont pris part à ces derniers votes sur quatre questions globales, puis sur les six thèmes (se nourrir, se loger, se déplacer, consommer, produire et travailler, et la gouvernance) et quarante-trois objectifs.
Pour le réalisateur Cyril Dion, l’un des garants de la convention, « l’exercice a été très long, on en est à dix-sept mois au lieu des quatre annoncés au début. Il y a forcément un peu de fatigue, de lassitude. Certains se sont peut-être aussi dit que voter ne servait à rien, avec ce système de graduation. Ils l’ont d’ailleurs exprimé dans le débat ».
« Trente à quarante membres de la convention n’étaient pas là. Ils ont leurs raisons, mais ne les oubliez pas, a aussi déclaré aux « présents » Thierry Pech, l’un des coprésidents du comité de gouvernance. Pensez à parler à ceux qui sont moins convaincus. Si on veut mettre la société en mouvement, il ne faut pas rester entre gens qui sont d’accord, il faut aussi parler avec les personnes qui sont plus loin. »
« Zéro pointé »
Sur les thèmes déterminés par la convention, les votes n’ont jamais permis de donner la moyenne au gouvernement. La thématique « se loger » a obtenu une note de 3,4 sur 10, « produire et travailler », « se nourrir » et « se déplacer » ont eu 3,7 chacune, « consommer » 4 et les propositions sur la gouvernance 4,1.Sur les propositions qui ont le plus fait débat, entraînant moult réactions de divers lobbys – transport aérien, publicité, agriculture, etc. –, la sanction est plus sévère. Ainsi sur celle qui proposait d’inscrire le crime d’écocide dans la loi, devenu, après la réécriture gouvernementale, un délit avec une accentuation des sanctions en cas d’atteinte à l’environnement, la note moyenne des 109 suffrages exprimés a atteint 2,7.Cette question aurait même mérité un « zéro pointé » – quarante votes ont attribué cette note de zéro – pour Claude (certains des conventionnels préfèrent garder l’anonymat), qui exprimait sa déception dans le débat. « La lecture du gouvernement n’est pas la même que celle de la convention. On l’assume, car définir ce crime établirait une distorsion dans l’attractivité du territoire, créant de l’insécurité pour les entreprises, justifie Barbara Pompili. Il y a donc une bataille internationale à mener et, en attendant, on durcit le droit pour que les pollueurs payent. »
Le poids des lobbys
Sur d’autres sujets, les notes n’ont été guère meilleures. Sur l’aérien, la proposition était d’interdire les vols intérieurs quand une alternative en moins de quatre heures existe. Dans le projet de loi, il était question de deux heures et demie et non de quatre. Résultat : les conventionnels ont donné un petit 2,8 au gouvernement. «Le président de la République avait prévenu les citoyens : ce n’est pas le moment de renforcer les taxes et les contraintes sur un secteur déjà sous perfusion », argumente-t-on encore au ministère. Seule exception, le vote sur l’intégration dans l’article 1 de la Constitution de « la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique ». Les conventionnels ont mis un 6,1. Car le projet de loi constitutionnelle intègre la préservation de l’environnement, « conformément à la proposition de la convention citoyenne pour le climat », indique le gouvernement. Cette révision constitutionnelle devrait être soumise à référendum en 2021.Mais la notation des conventionnels a fait réagir la ministre de la transition écologique qui y voit plutôt un « vote politique ». « Certains citoyens ont décidé de mettre zéro à tout. Il y a eu quinze zéros sur quatre-vingt-onze exprimés, alors qu’on a repris quasiment mot pour mot la proposition de la convention. “Je ne vois pas ce qu’on aurait pu faire de plus “, plaide Barbara Pompili.
« Manque d’ambition », « poids des lobbys », « tromperie », « grande déception »… Les mots étaient souvent durs ce week-end. « L’ambition n’est pas là, regrettait Matthias Martin-Chave, un développeur Web lyonnais de 32 ans. Le gouvernement n’a repris que les mesures faciles ou qui servent les intérêts économiques. Toutes les propositions fortes, à même de changer le modèle de société, ont été vidées de leur substance ou sont tombées aux oubliettes. »Mais tous ont aussi exprimé leur satisfaction devant le travail accompli et, surtout, la certitude de l’utilité de leur mission. « On ne pouvait pas répondre, de manière précise, par une notation sur quelques éléments de nos propositions. On a fait le job, ce sera au gouvernement et aux parlementaires de continuer. Avec ces notes camouflet, on ne fait pas un caprice, comme des enfants déçus de ne pas avoir satisfaction, on montre qu’il faut y aller, continuer », indique Agny Kpata, 38 ans, travaillant dans le secteur privé médical dans les Yvelines.
« Garder espoir et continuer le combat »
A la question « Dans quelle mesure la CCC a été utile à la lutte contre le changement climatique en France ? », la note a atteint un score de 6. La note de 7,7 sur 10, soit le meilleur score du week-end, a même été atteinte lorsqu’il s’agissait de dire si « le recours aux conventions citoyennes [était] de nature à améliorer la vie démocratique de notre pays ». « Quoi qu’on en pense sur le fond, jamais un exercice de démocratie citoyenne n’aura entraîné une telle entreprise législative et réglementaire », juge Thierry s. Cela va bien au-delà, la prise de conscience progresse et la convention servira de point d’appui à des avancées futures ». Une des membres résume le sentiment général en exprimant le souhait que « les 150 deviennent 66 millions de citoyens ». « Il faut garder espoir et continuer le combat. Je vais avoir 18 ans dans deux semaines, il faut continuer à croire en nos propositions », a déclaré l’un des lycéens de la convention, l’Alsacien Jocelyn. Il y avait donc aussi, à l’issue de cette dernière session, un encouragement à continuer de se mobiliser. « Les membres de la convention sont déçus du rendu de leur travail et, en même temps, ils pensent que celui-ci a été utile, c’est un aspect paradoxal », analyse Barbara Pompili. « Cette huitième session est déterminante pour alimenter le débat parlementaire qui s’engage », a déclaré aux conventionnels Patrick Bernasconi, le président du Conseil économique, social et environnemental, qui a accueilli les travaux de la CCC. Les conventionnels, eux, ont rédigé un « serment », dans lequel les signataires s’engagent dans leur travail et dans leurs activités à porter, appliquer ou transmettre les objectifs de la convention.”