Face à la hausse des températures, les pays nordiques (Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suède) n’ont pas attendu longtemps pour déployé des stratégies pour faire face à cette crise climatique avec des stratégies innovants et responsable, comme propose l’article ci-dessus.
Vers une transition climatique responsable
Témoins directs du dérèglement climatique, les pays nordiques (Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suède) enregistrent une hausse de la température annuelle moyenne de 10°C dans certaines régions depuis l’ère préindustrielle, due au phénomène d’amplification du réchauffement aux pôles. Cette hausse est plus de 5 fois supérieure à l’objectif de l’Accord de Paris d’un réchauffement bien inférieur à 2°C.
Face à cette crise climatique, les Nordiques ont développé des stratégies de décarbonations innovantes et efficaces, comme en témoigne le net recul des énergies fossiles dans le mix énergétique de la zone au cours des 15 dernières années. Les principaux indicateurs montrent que la transition énergétique nordique depuis 2005 est significativement plus avancée et plus rapide que dans la plupart des États membres de l’Union européenne (UE).
Les énergies renouvelables (EnR) représentent aujourd’hui la majorité de la consommation finale d’énergie dans la zone nordique.
Ces bons résultats découlent de la décision des gouvernements, en liaison avec les acteurs économiques, d’introduire très tôt des objectifs climatiques bien plus ambitieux que ceux fixés par l’UE. Ainsi, la neutralité carbone a été adoptée par certains Nordiques plus de 10 ans avant l’UE. Les outils économiques introduits pour les atteindre (taxation record du carbone, soutiens innovants pour les bioénergies), ainsi que les mesures d’accompagnement mises en place simultanément pour garantir une transition juste (baisse de l’impôt sur le revenu des ménages modestes, subventions ciblées) sont au cœur du modèle nordique de transition verte. La finance verte est également mobilisée (fin de soutiens aux exports fossiles, part record de green bonds dans le marché obligataire). Les nouvelles stratégies industrielles, orientées vers l’export, s’appuient sur les atouts des EnR domestiques. Ces politiques publiques transforment les Nordiques en véritables « laboratoires » à la frontière technologique. Aucun pays au monde n’a plus d’éolien que le Danemark, d’électromobilité que la Norvège, de bioénergies que la Suède.
Ce bon bilan est nuancé par le découplage entre transition énergétique et bilan carbone en Islande et Norvège (où l’essor des EnR ne s’est pas traduit par une baisse des émissions), par l’évolution préoccupante des émissions importées, par les impacts environnementaux des bioénergies (huile de palme), et par la poursuite de la prospection pétrolière en Norvège. Une transition énergétique parmi les plus avancées et les plus rapides.
Une transition énergétique parmi les plus avancées et les plus rapides
La substitution rapide des fossiles dans les mix nordiques
L’Islande, la Norvège, la Suède et la Finlande ont désormais les transitions énergétiques les plus avancées d’Europe, avec respectivement 78 %, 75 %, 56 % et 43 %1 d’EnR dans la consommation finale d’énergie en 2019 (moyenne UE : 19 %). Le rythme de ces transitions est rapide en comparaison européenne :entre 2004 et 2019, la part d’EnR a augmenté de 22 points au Danemark, 19 en Islande, 18 en Suède et Norvège contre 10 points en moyenne dans l’UE. Cette progression a permis à la plupart des pays nordiques d’atteindre rapidement leur objectif national de part d’EnR pour 2020 de la directive sur les EnR2.
Ces objectifs ont été fixés par l’UE à chaque État membre en tenant compte du ratio PIB/habitant et de la part d’EnR existante dans le mix énergétique. La Suède a dépassé son objectif de 49 % dès 2012 avec 8 ans d’avance (6 ans pour la Finlande et la Norvège, voir graphique supra). L’accès privilégié des Nordiques à la biomasse-bois (la Suède et la Finlande ont les plus vastes surfaces de forêts productives de l’UE avec la France3), à l’hydroélectricité (Norvège), à la géothermie (Islande) et à l’éolien (Danemark) a joué un rôle central dans les stratégies de transition. Ces spécificités nationales se reflètent dans l’évolution des mix énergétiques, très variée entre pays nordiques.
La substitution de la biomasse aux énergies fossiles a toutefois été un élément technologique clé de la transition nordique. Elle a contribué à accélérer de manière notable la décarbonation4 des secteurs du chauffage (via le développement du réseau chaleur urbain biomasse), des transports et de l’industrie. La part des bioénergies dans le bouquet énergétique primaire (ATEP)5 a ainsi augmenté de 17 points au Danemark et de près de 10 points en Finlande et Suède entre 2004 et 2018. Bénéficiant de politiques publiques ambitieuses, telle que l’exonération de taxes énergétiques pour les biocombustibles et les soutiens ciblés aux biocarburants routiers (les bioénergies
représentent désormais près de 30 % de la fourniture d’énergie primaire nordique6). Les règlements stricts de sylviculture durable (limitation des coupes rases, obligation de replanter, protection des feuillus, etc.) visent à éviter des impacts néfastes sur la biodiversité et à maintenir des forêts jeunes qui absorbent plus de carbone7. Les bioénergies accélèrent également la transition à moindre coût dans la zone8 grâce notamment à la conversion simple de chaudières à combustibles fossiles vers la biomasse.
Une progression assez homogène entre les secteurs consommateurs
La pénétration des EnR dans les trois secteurs consommateurs d’énergie (transport, chauffage incluant les procédés industriels, électricité) évolue de manière homogène dans la zone. Aucun secteur n’est véritablement laissé à l’écart de l’effort de transition. Comme en France, le secteur des transports est la première source d’émission de gaz à effet de serre (GES) devant l’industrie. En conséquence, les gouvernements ont pris très tôt des mesures fortes, souvent pionnières, pour verdir les transports. Au cours des 15 dernières années, les Nordiques ont expérimenté plusieurs modèles de décarbonation des transports à grande échelle avec plus ou moins de réussite (le succès de l’électromobilité en Norvège, le recul du super-éthanol E85 en Suède, etc.). Les routes électrifiées permettant aux véhicules de se rechargeren roulant pourraient être priorisées (2000 km d’E-Roads sont planifiées en Suède d’ici 2030).
Ces modèles innovants et leur faisabilité sont suivis de près au niveau international. Actuellement, aucun pays au monde n’a plus de véhicules électriques que la Norvège (par rapport à la taille de son parc automobile) ou de biocarburants dans le total de carburants routiers vendus que la Suède. La plupart des pays nordiques ont ainsi dépassé largement l’objectif européen de part d’EnR de 10 % dans les transports de la directive (2009/28/CE). La Suède et la Norvège l’ont déjà triplé (30 % et 27 % atteints dans ces pays respectifs en 2019) et la Finlande l’a doublé (21 %, soit plus de deux fois plus En Norvège, l’essor rapide de l’électromobilité combiné à l’hydroélectricité est à l’origine de la part élevée d’EnR dans les transports. En 2020, 83 % des voitures neuves vendues ont été électriques au sens large (record mondial), avec 54 % de voitures tout-électriques et 29 % d’hybrides11. Le « laboratoire norvégien » montre que, même s’il a été coûteux budgétairement (1,9 Md€ par an de soutiens publics), le déploiement à grande échelle de l’électromobilité est techniquement possible, sans défis majeurs pour le réseau électrique à ce stade. Les aides publiques (les exonérations à l’achat de la TVA de 25 % et de la taxe sur l’immatriculation, la réduction d’au moins 50 % du coût des péages, du parking et du transport par ferries, etc.) permettent aux modèles électriques neufs d’être
moins chers à l’achat que le modèle équivalent thermique. Le pays vise la fin des ventes de véhicules thermiques neufs d’ici 2025. L’électrification de la totalité du parc se traduirait par une hausse de la consommation électrique nationale de 4 %.
S’agissant du deuxième secteur énergétique, le chauffage (bâtiments, procédés industriels, etc.), les Nordiques affichent de bons résultats globaux, avec une part d’EnR dans le chauffage en 2019 comprise entre 80 % en Islande et 36 % en Norvège, contre 20 % en moyenne dans l’UE. À l’exception de l’Islande qui bénéficie de conditions exceptionnelles en matière de géothermie, la forte progression des EnR dans le chauffage (de plus de 18 points sur 15 ans dans tous les pays) est due au développement de la cogénération biomasse-bois dans les réseaux urbains de chaleur et à la substitution des fossiles par les bioénergies dans les procédés industriels. Comme la France aujourd’hui, la Suède avait une part de combustibles fossiles de 60 % dans le chauffage des logements en 1980, qu’elle a réduite spectaculairement à 4 % en 2019. Elle a quasiment atteint son objectif national de supprimer les fossiles dans le chauffage en 2020. Presque tous les immeubles sont chauffés par réseau de chaleur urbain, approvisionné essentiellement en EnR (cf. graphique 3). S’agissant des maisons individuelles, l’essor des pompes à chaleur et du réseau de chaleur expliquent ce verdissement. Le nucléaire représente moins d’un quart du mix nordique. La Suède et la France ont le défi commun de réduire la part du nucléaire13. Au contraire, la Finlande mise sur l’atome pour sortir des fossiles et renforcer sa sécurité d’approvisionnement. Elle termine la construction d’un réacteur EPR (Olkiluoto 3) et le nucléaire finlandais (35 % du mix électrique) est bien accepté par la population, y compris par les écologistes qui le considèrent comme incontournable pour la sortie du charbon d’ici 2029 et l’indépendance énergétique. Concernant l’électricité, la progression des EnR s’est poursuivie dans des mix sobres en carbone. La production nordique était décarbonée à 92 % en 2019. La région nordique se caractérise par une forte intégration régionale dans le secteur électrique. Les marchés nationaux ont été libéralisés très tôt, dès 1991 en Norvège. La quasi-totalité de la production est vendue sur la bourse régionale Nordpool, rachetée par Euronext.
Durant une grande partie de l’année, les pays nordiques (hors Islande) ont un prix unique de l’électricité sur Nordpool grâce à de bonnes interconnexions. La Finlande importe ainsi un quart de sa consommation électrique, pour l’essentiel de Suède. Le degré élevé d’intégration régionale est un atout majeur pour l’essor des EnR. Ainsi, la part record d’éolien au Danemark au niveau mondial (57 % du mix) a été rendue possible par la capacité d’équilibrage du réseau transfrontalier. Selon l’Agence internationale de l’Énergie (AIE)14, l’intermittence de la production éolienne danoise est équilibrée grâce aux interconnexions 80 % du temps. Au total, sur la période 2004-2019, la part d’EnR dans la consommation électrique finale a augmenté de 42 points au Danemark et de 20 en Suède, grâce à l’éolien et à la biomasse.
Des politiques publiques innovantes pour accélérer la transition
Des objectifs climatiques ambitieux introduits très tôt afin de mobiliser tous les acteurs
L’adoption précoce d’objectifs climatiques ambitieux et définis avec précision a été l’un des outils clé pour mobiliser les acteurs et préparer la transition. Certains pays nordiques ont ainsi adopté très tôt l’objectif de neutralité carbone (dès 2008 en Norvège, 2009 en Suède), qui a été précisé ensuite avec un relèvement progressif des objectifs climatiques. Dans le cadre de l’Accord de Paris, la Finlande vise la neutralité carbone d’ici 2035 et l’Islande d’ici 2040 (définie, comme en France, en soustrayant les émissions absorbées par les puits de carbone15 des émissions domestiques), la Suède d’ici 2045 (sans retrancher les puits de carbone historiques car le pays est déjà neutre quasiment grâce à ses forêts) et la Norvège d’ici 2030 (en incluant les puits et les mécanismes de flexibilité internationaux16). Ces objectifs sont déclinés en sous-objectifs qui dépassent eux aussi en général les objectifs fixés par l’UE. La Suède prévoit ainsi de réduire ses émissions hors ETS17 de 59 % en 2030 par rapport à 2005 alors que l’objectif qui lui est assigné dans le règlement UE (2018/842) sur le partage de l’effort, pourtant l’objectif le
plus élevé donné à un État membre, n’est que de 40 %.
Une fiscalité carbone élevée avec des effets redistributifs maîtrisés
La taxation du carbone a été l’outil transversal le plus efficient pour réduire les émissions dans la zone18. Elle a permis d’intégrer le coût des émissions GES pour la société dans le choix des agents économiques et ainsi de les réorienter vers des solutions moins carbonées et moins coûteuses. Pionniers au niveau mondial, les Nordiques ont introduit une taxe carbone dès le début des années 1990. Elle atteint aujourd’hui 114 €/tCO2 en Suède. Bien que les taux de taxation effective du carbone soient parmi les plus élevés de l’OCDE19, leur relèvement reste au cœur des stratégies nordiques. La Norvège a ainsi décidé, début 2021, de tripler le taux nominal de sa taxe carbone, de 57 à 192 €/tCO2 d’ici 2030. La taxe carbone a un caractère régressif dans la zone20 : les ménages modestes dépensent une plus grande part de leur ressource annuelle dans l’impôt que les ménages aisés (Sterner et al.). Afin de limiter les effets redistributifs de la hausse de la fiscalité carbone entre catégories de ménages, les Nordiques ont introduit des mesures pour maintenir le pouvoir d’achat des ménages modestes, comme la hausse de l’abattement fiscal de base en Suède et un crédit d’impôt fixé en fonction du niveau de revenu au Danemark, des soutiens qui ne sont pas liés à l’énergie et qui découlent aussi du choix nordique de verser les recettes fiscales vertes au budget général sans les flécher vers des utilisations vertes (Skygedberg et al.). De manière générale, les effets redistributifs ont été peu débattus21 lors de l’introduction de la taxe carbone car les Nordiques figuraient parmi les pays les plus égalitaires en termes de revenus, avec un indice de Gini22 bien inférieur à la moyenne de l’UE. En sus du principe du pollueur-payeur, la taxation élevée du carbone a promu efficacement les énergies vertes qui en sont largement exemptées (les bioénergies en particulier et, dans un avenir proche, les électro carburants comme l’hydrogène vert)23. Elle a rendu rentable la substitution des fossiles par les bioénergies dans les actifs de production. Elle a contribué ainsi à la réduction de moitié de la part fossile de l’approvisionnement énergétique industriel finlandais depuis 199024 (cf. graphique 4). Une double tarification du carbone (ETS et taxe carbone nationale) est imposée à certaines industries de production de chaleur. En Suède, les fossiles représentent 19 % de la consommation énergétique industrielle, contre 55 % en 1975 Les bioénergies dépassent désormais 40 % de la consommation énergétique industrielle en Finlande et
en Suède.
Des politiques innovantes ciblées sur des secteurs stratégiques et la finance verte
Pour favoriser la transition verte, les Nordiques ont eu recours aussi à des mesures sectorielles innovantes. Souhaitant exploiter son vaste potentiel éolien de 100 TWh pour décarboner son mix électrique et soutenir ses champions industriels (Vestas, Ørsted), le Danemark a lancé un grand projet d’îles énergétiques reliées à des champs éoliens offshores, dont 2 GW sur l’île de Bornholm d’ici 2030 et 3 GW sur une île artificielle en mer du Nord d’ici 2033 (28 Mds€ d’investissements, dont un tiers de l’État). Comme la France, le pays propose des tarifs de rachat variables de l’électricité éolienne selon les sites, contrairement aux autres Scandinaves qui ont choisi un mécanisme extrabudgétaire25 (certificats verts). La Suède déploie des mesures innovantes pour atteindre « mécaniquement » son objectif, unique au monde, de réduire les émissions GES des transports de 70 % entre 2010 et 2030. L’État a introduit des taux de réduction de l’empreinte carbone des carburants vendus afin de verdir le parc automobile grâce à l’incorporation de biocarburants dans le diesel et l’essence. En 2021, les opérateurs ne peuvent ainsi vendre que du diesel dont les émissions GES sont inférieures de 26 % à celles du diesel fossile. En conséquence, le diesel vendu en Suède contient environ 30 % de biodiesel. Les taux pour le diesel et l’essence sont relevés chaque année afin d’atteindre l’objectif national pour 2030 (cf. graphique 5). Pionnier, le dispositif donne une visibilité de long terme aux investisseurs et est élargi au secteur aérien26. La question de l’huile de palme reste posée (cf. partie 3.3). Les Nordiques s’appuient également sur la finance pour favoriser la transition (cf. encadré 2 pour la Norvège). La Suède est le 1er pays à interdire les soutiens public à l’export pour la prospection et l’extraction de tous les projets fossiles d’ici 2022, et le gouvernement a contraint la banque de développement Swedfund à exclure tous les financements fossiles, y compris ceux qui seraient réalisés à travers des intermédiaires financiers. Tous les pays nordiques vont plus loin dans l’application de la directive (2014/95/UE) sur le Reporting Extra-Financier des Entreprises (NFRD) en imposant un rapport annuel de durabilité aux entreprises de plus 250 employés (50 en Norvège), contre 500 selon la directive. La Suède prévoit d’introduire un dispositif d’épargne verte pour les particuliers investissant dans des produits verts certifiés par l’État, avec un crédit d’impôt de 1 % du stock de capital investi.
S’agissant des marchés obligataires, aucun pays n’émet davantage d’obligations vertes (par habitant) que les Nordiques. La Suède a le plus grand marché, supérieur à 9 Mds€. Au total les Nordiques avaient un stock de 15,8 Mds€ d’obligations vertes début 2020, soit deux tiers des volumes français et chinois. En 2019, les greens bonds ont représenté 15 % des émissions obligataires en Suède, contre 7 % en France et 1 % au niveau mondial. Et la Norvège possède avec Cicero Green la 1ère agence de notation de green bonds, qui couvre un quart du marché mondial.
Certaines stratégies vertes ont un bilan environnemental mitigé
Le bilan carbone nordique pâtit de la hausse des émissions islandaises et norvégiennes
Grâce aux EnR, la zone nordique dans son ensemble a réduit ses émissions de GES de 20 % entre 1990 et 2018, malgré des émissions en hausse en Islande et Norvège (cf. graphique 6). Ce résultat global est inférieur à la moyenne de l’UE (25 %) en dépit des bonnes performances du Danemark (–30 %) et de la Suède (–27 %) qui a désormais les émissions GES par habitant les plus faibles de l’UE15 (5 tCO2eq.). De façon apparemment paradoxale, la progression des EnR en Islande et en Norvège ne s’est pas traduite par une baisse de leurs émissions de GES. La part EnR dans le bouquet primaire a progressé de 18 points en Islande, mais les émissions de l’île ont augmenté de 30 %27 entre 1990 et 2018. En Norvège, les émissions ont augmenté légèrement depuis le début des années 1990, alors que la part d’EnR a crû. En Islande, ce découplage traduit l’essor d’industries électro- intensives, comme les alumineries, qui verdissent leur production grâce à l’énergie verte compétitive (hydro, géothermie), mais émettent de grandes quantités de CO2 du fait de la consommation d’anodes de carbone lors du procédé d’électrolyse. Ainsi, la hausse des émissions islandaises28 est liée essentiellement aux émissions industrielles. En Norvège, le découplage est dû aux plateformes d’hydrocarbures qui représentent un quart des émissions nationales (issues essentiellement des turbines à gaz installées sur les plateformes). En ligne avec la hausse de la production, leurs émissions ont augmenté de 110 %29 entre 1990 et 2018, malgré une taxe carbone spécifique30. L’énergie de pompage et l’électricité des plateformes proviennent traditionnellement de turbines à gaz, mais une transition vers l’électrification des plateformes est enclenchée31.
Les exportations norvégiennes d’hydrocarbures sont par ailleurs la source de plus d’1,5 % des émissions mondiales de CO2 liées à la combustion d’énergies fossiles. La Norvège poursuit ses projets d’exploration d’hydrocarbures contrairement aux autres Scandinaves qui, comme la France, les ont interdits32. Le Danemark, premier producteur d’hydrocarbures de l’UE, arrêtera sa production d’ici 2050. En décembre 2020, la Cour suprême norvégienne a rejeté l’appel de l’association
Greenpeace visant à arrêter les projets norvégiens de prospection d’hydrocarbures dans l’Arctique. Les nouveaux objectifs climatiques norvégiens pour 2030 n’impliquent que peu d’efforts nouveaux et sont bien moins ambitieux que ceux des autres Scandinaves. La Norvège n’a pas non plus pris de décisions majeures contre les soutiens publics aux exports liés aux hydrocarbures, contrairement à la Suède.
L’intensité carbone des importations nordiques reste relativement élevée
Les niveaux élevés de tarification du carbone dans la zone soulèvent la question du risque de fuites de carbone, c’est-à-dire de l’augmentation des émissions dans le reste du monde suite aux politiques climatiques ambitieuses de certaines régions . L’allocation gratuite de quotas carbone dans le système d’échange de quotas d’émission (SEQE ou ETS pour Emission Trading Scheme) aux secteurs exposés, les exonérations de fiscalité verte pour l’ETS et les prix relativement bas du carbone durant les premières phases de l’ETS auraient limité les fuites de carbone nordique. La zone se situerait ainsi sur la partie descendante de la courbe environnementale de Kuznets35 comme en témoignerait le découplage observé entre hausse du PIB et baisse des émissions GES totales agrégées au niveau nordique36. L’évolution de l’intensité carbone des importations brutes nordiques vient toutefois nuancer ce bon résultat. On observe que cette intensité ne s’est contractée que de 24 % au Danemark et 31 % en Suède entre 2005 et 2015, ce qui est inférieur aux moyennes OCDE et UE (42 % et 35 % respectivement37). Elle est désormais bien plus élevée au Danemark et en Finlande qu’en France. Cette évolution est d’autant plus préoccupante que les Nordiques ont des économies très ouvertes et dépendantes des importations, (cf. graphique 7). Elle serait due principalement à la hausse des importations de produits manufacturés chinois
Débats autour des émissions des bioénergies et de la géothermie
La stratégie nordique de substitution des fossiles par la biomasse-bois est critiquée par certaines ONG malgré les impacts positifs sur le climat de la sylviculture durable (forêts jeunes absorbant plus de carbone, nouvelles essences mieux adaptées au dérèglement, hausse de l’albédo39 après les coupes, etc.). La durée de réabsorption des émissions issues des coupes (libération de l’anhydride carbonique des sols, engins agricoles, transport, etc.) et de la combustion du bois est estimée à plusieurs décennies, ce qui serait trop long face à l’urgence climatique selon ces ONG qui
souhaitent également protéger les forêts pour la biodiversité.
Les biocarburants routiers prêtent aussi le flanc à la critique. En 2019, un tiers des biocarburants suédois étaient issus de déchets de l’industrie d’huile de palme PFAD40. En conséquence, l’État a supprimé les avantages fiscaux pour le biodiesel HVO issu de PFAD dès juillet 2019, ce qui devrait augmenter la part de biodiesel issu d’autres sources. Dès 2022, seul le biodiesel d’huile de palme respectant les plus hauts niveaux de certification durable pourra être vendu. En Islande, ce sont les centrales géothermiques qui sont critiquées pour leurs émissions de sulfure d’hydrogène
(H2S) dont l’impact sur la santé est préoccupant41. En réponse, le gouvernement inflige, depuis 2010, des pénalités aux énergéticiens en cas de concentration d’H2S dans l’air supérieure à 0,5 μg/m3 dans la capitale42, ce qui a permis de réduire les pics de pollution.