La Banque du Japon (BoJ) est intervenue le 22 septembre dernier pour stopper la baisse du yen vis-à-vis du dollar, à la demande du ministère des Finances. L’action de la BoJ a eu pour effet une chute de 3,7 % du yen qui est passé de 145,85 pour un dollar à un plus bas de 140,35 et a terminé la semaine à 143,31.
Par Peter de Coensel, CEO DPAM
Bricolage sur la courbe japonaise
Lorsqu’une banque centrale intervient sur le marché des changes pour freiner la dépréciation d’une devise, voire pour inverser ce mouvement, son action ne peut être efficace que si elle est rapidement accompagnée par un changement de politique, monétaire ou autre. Haruhiko Kuroda, actuel gouverneur de la BoJ, terminera son mandat en avril 2023. Faut-il penser qu’il entend laisser à son successeur le soin d’abandonner le contrôle de la courbe des taux (CCT) ou va-t-il « bricoler » ce contrôle en ne l’effectuant plus que sur la partie courte de la courbe (zéro à cinq ans) au lieu de la maintenir sur les échéances zéro à 10 ans ? Les réserves de change du Japon sont très confortables puisqu’elles s’élèvent à 1175 milliards de dollars. Cependant, pour éviter de trop puiser dans ce trésor de guerre, les autorités devront vendre des bons du Trésor américain puis, dans un 2e temps, elles devront également vendre les dollars ainsi obtenus afin de soutenir le yen.
Au Japon, l’inflation globale se situe à 3,00 % alors que l’inflation de base s’élève à 1,6 %. Pour que la BoJ modifie sa politique de contrôle de la courbe, il serait nécessaire que ces chiffres dépassent les niveaux actuels pendant trois mois au moins. A l’heure actuelle, les marchés tablent sur une hausse du taux directeur qui devrait passer de – 0,10 % à +0,10% d’ici juin 2023.
Apparemment, et en comparaison des dirigeants des autres banques centrales des pays de l’OCDE, les gouverneurs de la BoJ résident sur la planète mars ! Même si la BoJ est parvenue à appliquer avec succès sa politique de contrôle de la courbe durant ces six dernières années, il faut s’attendre à une période plus difficile, compte tenu de la nécessité de lutter contre la tendance haussière du dollar vis-à-vis du yen. Le seuil de 150 yens pour un dollar paraît attrayant.
Partout des regains de tension
En Europe, les banques centrales seraient-elles passées en mode « panique » ? Toutes semblent s’impatienter comme en témoignent les décisions audacieuses de la Riksbank suédoise qui a relevé ses taux de 100 points de base (pb) et de la BNS qui a augmenté les siens de 75 pb. Mais pour l’une cela s’est traduit par une forte dépréciation de la couronne suédoise par rapport à l’euro, alors que pour l’autre, cela a déclenché une nouvelle appréciation du franc suisse. Ainsi, par rapport à l’euro, la devise helvétique a atteint des sommets qui n’avaient plus été touchés depuis plusieurs décennies. Les marchés des changes connaissent un regain de tension et l’indice de volatilité JP Morgan FX est en train de s’envoler.
Pendant ce temps, le dollar qui s’échange à 7,16 yuan renminbis (chiffre au 26 septembre) se dirige régulièrement et allégrement vers les sommets touchés en 2019 et 2020. On peut se demander quel est l’objectif de la Banque populaire de Chine : un niveau de 7,50 à 8,00 serait-il à même d’atténuer l’impact de la débâcle immobilière à laquelle viennent s’ajouter les difficultés d’un secteur manufacturier soumis au « stop and go » qui découle de la politique du « zéro Covid » ?
Le dollar fort, notre problème ?
Sur les marchés des changes, la politique du chacun pour soi devient de plus en plus manifeste. Affaiblir sa devise et, parallèlement, adopter des politiques qui visent à protéger le tissu économique domestique sont souvent l’expression du nouvel ordre mondial post-Covid. Ainsi, la prééminence dollar est confirmée et sa crédibilité en tant que valeur refuge est renforcée. Les devises qui commencent à perdre du terrain par rapport à un dollar qui ne cesse de s’apprécier sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses. Au cœur du problème se trouve la Fed qui, par sa détermination, semble avoir surpris la plupart des banques centrales. Or, les marchés tablent sur des taux directeurs américains qui pourraient se situer entre 4,50 % et 5,00 % au printemps 2023. La divergence des politiques entre la Fed et un nombre croissant de banques centrales est donc bien devenue une réalité.
On se souvient de la fameuse boutade de John Connally, secrétaire au Trésor en 1971 : « Le dollar, c’est notre devise, mais c’est votre problème ». Durant la présidence de Richard Nixon, ce secrétaire au Trésor avait négocié la sortie des accords de Bretton Woods tout en gérant les questions monétaires et en établissant une politique protectionniste. Résultat, le dollar avait perdu environ 10 % et les tensions s’étaient apaisées.
Encore un long chemin à parcourir
Mais après cette brève incursion dans le passé, revenons à la situation présente. Les déséquilibres ne font que commencer à se manifester et ils se creusent en raison de politiques budgétaires et monétaires divergentes. Il faut donc s’attendre à ce que la volatilité élevée que nous connaissons depuis un certain temps sur les marchés de taux et sur les bourses affecte également le marché des changes. Autrement dit, la volatilité des devises et les paris sur ces dernières sont de retour. Les sommets du G7 ou du G19 (ex – Russie) pourraient donc devenir les plateformes sur lesquelles les autorités tenteront de se coordonner ou de passer des accords susceptibles d’atténuer l’impact de politiques divergentes. Mais il reste encore un long chemin à parcourir avant que les responsables politiques ne se décident à agir dans ce sens. Aussi, en attendant, mieux vaut bien attacher sa ceinture !