La finance durable face au défi du financement de la défense

Depuis son essor, la finance durable repose sur une idée forte : investir dans des projets à impact positif pour bâtir un monde plus responsable. Dès ses débuts, elle a écarté certains secteurs jugés incompatibles avec ses valeurs, comme l’industrie de l’armement. Cette exclusion, ancrée dans les premières règles de l’investissement responsable, s’est intensifiée ces dernières années.

Aujourd’hui, une grande partie des institutions financières européennes applique des restrictions strictes au financement du secteur de la défense. Des banques aux investisseurs institutionnels, l’accès aux capitaux privés pour cette industrie devient de plus en plus complexe. Pourtant, avec la montée des tensions géopolitiques et les enjeux de souveraineté, cette approche mérite d’être repensée.

Un modèle de financement historiquement public

Jusqu’ici, les gouvernements ont majoritairement financé l’industrie de l’armement grâce aux impôts et aux budgets de l’État. Cependant, comme tout secteur économique, la défense a aussi besoin de capitaux privés.

Si les grands groupes disposent encore de ressources suffisantes, la situation est différente pour les PME, les entreprises non cotées et les startups technologiques. Ces dernières jouent pourtant un rôle essentiel en développant des innovations à double usage, destinées à des applications civiles et militaires.

Ce constat dépasse la seule question de l’armement. Il pose un problème plus large : l’Europe est-elle en mesure de soutenir ses industries stratégiques face aux États-Unis et à la Chine, qui financent massivement leurs secteurs clés ?

La finance responsable peut être un levier de souveraineté

Plutôt qu’un obstacle, la finance durable pourrait devenir un outil structurant pour financer la défense de manière responsable. L’enjeu n’est pas d’opposer transition écologique et souveraineté, mais de trouver un équilibre qui tienne compte des réalités actuelles.

L’investissement responsable a toujours cherché à orienter les capitaux vers des projets à impact positif. Il doit désormais intégrer un cadre qui permette de :

Distinguer les segments éthiques de l’industrie de la défense, en excluant les armes interdites par les conventions internationales.
Assurer une transparence totale des financements pour éviter toute atteinte aux droits humains.
Prendre en compte les enjeux de sécurité dans une vision élargie de l’investissement durable.
Garantir le respect des droits fondamentaux et encourager la stabilité des sociétés démocratiques.

Actuellement, exclure totalement le secteur de la défense ne résout pas ces défis. Au contraire, cela crée un angle mort financier alors qu’une régulation adaptée permettrait un meilleur encadrement.

Vers de nouveaux outils de financement de la défense

L’Europe entre dans une nouvelle phase où l’effort de réarmement nécessite des financements privés. Jusqu’ici, les acteurs du secteur parvenaient à se financer sans difficulté. Mais l’ampleur des nouveaux besoins impose de repenser les sources de capitaux.

L’exemple des obligations vertes et sociales prouve qu’il est possible de canaliser des fonds vers des projets spécifiques, tout en garantissant un suivi strict. Sur ce modèle, pourquoi ne pas envisager des “European Defense Bonds” ? Ces obligations dédiées permettraient de :

Financer les innovations stratégiques, notamment les technologies duales.
Garantir un contrôle strict sur l’utilisation des fonds, pour éviter des dérives contraires aux principes de l’ESG.
Encourager l’implication des investisseurs responsables dans ce débat, plutôt que de les maintenir à l’écart.

Un manque de financements privés en Europe

Le déficit de financements privés ne concerne pas uniquement la défense. Il touche toutes les industries essentielles à la souveraineté européenne. Contrairement aux États-Unis, l’épargne européenne n’est pas suffisamment orientée vers le private equity, limitant les investissements dans les PME et startups innovantes.

Plutôt que de maintenir une approche d’exclusion, il serait pertinent d’imaginer des solutions globales pour stimuler l’investissement privé et soutenir les secteurs clés.

Un débat incontournable pour l’avenir de l’ESG

“Oui, nous pouvons structurer un financement responsable, mais pas un retour en arrière.”

Loin de remettre en cause les principes de la finance durable, cette réflexion vise à les adapter aux défis contemporains. La souveraineté et la sécurité sont des prérequis essentiels pour garantir un développement économique et social stable.

Il est urgent que les investisseurs, les industriels et les régulateurs définissent ensemble les contours d’un financement responsable de la défense. Ce débat doit inclure l’ESG, non pas comme un frein, mais comme un levier d’innovation et de transparence.

L’Europe ne peut plus ignorer ces questions. Il est temps d’y intégrer pleinement la finance durable.

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