Les fonds climatiques atteignent des sommets

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Alors que la planète bat de nouveaux records de chaleur et que les catastrophes naturelles s’enchaînent, l’argent, lui aussi, s’oriente de plus en plus vers la transition écologique. Selon le rapport « Investing in Times of Climate Change » publié par Morningstar Sustainalytics en juin 2025, les fonds d’investissement liés au climat ont franchi un cap historique : 644 milliards de dollars d’actifs sont désormais gérés à l’échelle mondiale. Cette croissance de 8,5 % depuis le début de l’année s’impose comme un signal fort : malgré les turbulences politiques, économiques et idéologiques, l’investissement vert poursuit sa marche en avant.

Mais derrière ce chiffre impressionnant se cache une réalité plus nuancée. Certains segments attirent des capitaux, d’autres continuent d’en perdre. Les investisseurs se réorganisent, privilégient de nouvelles stratégies, et repensent leur rapport à la finance durable dans un monde où la transition écologique est à la fois une nécessité et un défi économique colossal.

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L’Europe en tête : le moteur de la finance climatique mondiale

Si les actifs mondiaux des fonds climatiques atteignent aujourd’hui des records, c’est avant tout grâce à l’Europe, qui concentre à elle seule 86 % du total. Depuis plusieurs années, le Vieux Continent s’est imposé comme le laboratoire et le moteur de la finance durable. Les réglementations ambitieuses, la taxonomie verte européenne et l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 ont incité les gestionnaires d’actifs à créer et à promouvoir des produits alignés sur la transition écologique.

Les chiffres le confirment : en Europe, les fonds de transition climatique dominent largement le paysage, représentant plus de la moitié des encours. Ces produits investissent dans des entreprises capables de s’adapter à une économie bas carbone. Industries à forte innovation technologique, sociétés énergétiques engagées dans la décarbonation ou groupes adoptant des stratégies environnementales crédibles.

En parallèle, les fonds obligataires verts – qui financent directement des projets durables via des emprunts labellisés – affichent également une belle progression. Ils totalisent désormais 44 milliards de dollars, soit une hausse de 14 % sur le semestre. Ce succès s’explique par la volonté croissante des investisseurs institutionnels de combiner performance financière et impact mesurable sur l’environnement.

Cependant, tout n’est pas rose : d’autres catégories de fonds, notamment les Clean Energy/Tech (énergies renouvelables et technologies vertes), connaissent un parcours plus contrasté. Après plusieurs années de rendements médiocres, ces fonds ont certes rebondi de 11,8 % en moyenne sur le semestre, mais ils continuent d’enregistrer des sorties de capitaux. Les investisseurs, encore échaudés par la volatilité du secteur, hésitent à revenir massivement malgré la reprise boursière des valeurs vertes.

Une croissance sélective : les gagnants et les perdants de la finance climat

Le rapport Morningstar dresse un constat sans appel : la dynamique des fonds climatiques est à deux vitesses. D’un côté, les stratégies centrées sur la transition climatique et les obligations vertes progressent vigoureusement. De l’autre, les fonds thématiques axés sur les solutions énergétiques ou technologiques peinent à retenir leurs investisseurs.

Les fonds de transition climatique, qui favorisent les entreprises déjà engagées dans la réduction de leurs émissions, ont vu leurs encours bondir de 16 %, pour atteindre 318 milliards de dollars. Ils apparaissent comme les grands gagnants de cette première moitié de 2025. Dans un contexte d’incertitude géopolitique, ces stratégies offrent un équilibre entre ambition climatique et gestion prudente du risque : plutôt que de parier sur les startups vertes de demain, elles misent sur les acteurs historiques capables de transformer leurs modèles économiques à grande échelle.

À l’inverse, les fonds Clean Energy/Tech et Climate Solutions subissent encore la défiance des investisseurs. Ensemble, ils ont perdu près de 12 milliards de dollars de capitaux au premier semestre. Pourtant, les performances boursières de leurs sous-jacents – les producteurs d’énergie solaire, éolienne ou les fabricants de batteries – ont rebondi nettement, portées par la baisse des taux d’intérêt et la demande croissante en énergie des centres de données alimentant l’intelligence artificielle. Un paradoxe que les analystes attribuent à un mélange de prudence excessive et d’instabilité réglementaire, notamment aux États-Unis et en Chine.

En somme, les flux d’investissement ne récompensent pas toujours la performance économique. Le comportement des investisseurs reste dicté par la perception du risque, la lisibilité politique et la stabilité des cadres réglementaires.

Les investisseurs préfèrent l’action à la passivité

Autre enseignement majeur : les stratégies actives séduisent à nouveau. Après des années dominées par la gestion passive – via des ETF suivant des indices alignés sur l’accord de Paris –, les investisseurs semblent redécouvrir les vertus des fonds gérés activement. Ces derniers permettent de sélectionner finement les entreprises réellement engagées dans la transition plutôt que de suivre mécaniquement un indice.

En 2025, les fonds de transition actifs ont attiré près de 2 milliards de dollars de nouveaux capitaux, tandis que les produits passifs alignés sur les « Paris-Aligned Benchmarks » ont enregistré des retraits de 1,7 milliard. Ce basculement traduit une évolution culturelle : les investisseurs cherchent des solutions sur mesure, capables de s’adapter rapidement à la complexité de la transition énergétique mondiale.

Les gérants actifs, quant à eux, profitent de cette tendance pour proposer des approches plus fines : sélection des entreprises selon leurs plans de décarbonation, évaluation de la gouvernance environnementale, analyse des trajectoires d’émissions et mesure d’impact. Dans un contexte où les engagements climatiques des entreprises font l’objet d’un examen public croissant, cette expertise devient un atout majeur.

Un marché mondial aux visages contrastés

L’Europe, pionnière mais confrontée au doute réglementaire

Si l’Europe reste la locomotive du marché, elle n’échappe pas à certaines fragilités. Après plusieurs années d’expansion rapide, les flux nets vers les fonds climatiques européens ont reculé de 13 milliards de dollars sur le premier semestre 2025. Une contraction liée en partie à la révision en cours du règlement SFDR (« Sustainable Finance Disclosure Regulation »), qui encadre la classification des produits durables.

Cette incertitude réglementaire pousse de nombreux gestionnaires à la prudence, voire à geler le lancement de nouveaux produits. Le rythme des créations de fonds s’est ainsi effondré : seulement 35 nouveaux fonds climatiques ont vu le jour au premier semestre, contre plusieurs centaines lors des années précédentes. Pourtant, les acteurs européens restent engagés dans la transition : quatre des cinq fonds les plus vendus cette année sont des fonds de transition climatique, tels que le UBS Climate Aware ou le Mercer Sustainable Global Equity, qui visent une réduction annuelle de 7 % de leur intensité carbone.

La Chine, entre volatilité et ambitions vertes

En Chine, le paysage est tout autre. Le marché local reste dominé par des investisseurs particuliers au comportement souvent spéculatif. Après une année 2024 difficile marquée par de fortes sorties de capitaux, le premier semestre 2025 montre des signes de stabilisation : les retraits nets se limitent à 550 millions de dollars. Les fonds Green Bond progressent timidement, soutenus par la politique industrielle de Pékin axée sur la neutralité carbone et les technologies propres.

Le gouvernement chinois poursuit sa réforme du secteur énergétique, en assouplissant les règles de fixation des prix et en ouvrant la voie à des contrats de gré à gré entre producteurs d’électricité renouvelable et entreprises consommatrices. Ces ajustements pourraient redynamiser les fonds Clean Energy/Tech, encore fragilisés par la surproduction dans le secteur des véhicules électriques et par les tensions commerciales avec les États-Unis.

Les États-Unis, freinés par la politique mais portés par l’innovation

Aux États-Unis, la situation est plus contrastée encore. Malgré le recul des politiques climatiques fédérales et les revirements réglementaires, les fonds de transition climatique américains parviennent à tirer leur épingle du jeu. Ils ont attiré environ 580 millions de dollars au premier semestre, après une année 2024 en berne. En revanche, les fonds Clean Energy/Tech ont continué à subir des sorties de capitaux (–740 millions de dollars), même si le rythme des retraits ralentit.

L’intérêt croissant pour le nucléaire civil et les infrastructures énergétiques joue néanmoins en faveur de certains fonds. Des produits comme le VanEck Uranium & Nuclear Energy ETF ou le First Trust Smart Grid Infrastructure Fund profitent du besoin urgent de moderniser le réseau électrique américain et de sécuriser l’alimentation des géants du numérique. La finance verte américaine, souvent moins réglementée mais plus innovante, explore ainsi de nouveaux chemins, entre pragmatisme énergétique et transition technologique.

Les performances se redressent : un vent d’optimisme prudent

Après quatre années de performances décevantes, les valeurs de l’énergie propre reprennent de la vigueur. La baisse des taux d’intérêt, la stabilisation des coûts des matériaux et la hausse de la demande énergétique liée à l’intelligence artificielle stimulent le secteur. Les fonds européens Clean Energy/Tech affichent une performance moyenne de +11,8 %, supérieure à celle de l’indice mondial (+9,9 %). Les valeurs des énergies renouvelables surperforment même les majors pétrolières, avec un gain moyen de 12,5 % contre 5 % pour le secteur traditionnel.

Cependant, ce redressement reste fragile. Les tensions commerciales, les politiques protectionnistes et les incertitudes macroéconomiques freinent encore la confiance des investisseurs. Beaucoup redoutent que le virage anti-ESG observé aux États-Unis ne s’étende à d’autres régions, ralentissant l’intégration des critères environnementaux dans les décisions financières.

Mesurer la crédibilité climatique : des fonds mieux alignés, mais pas encore neutres

L’un des apports les plus intéressants du rapport Morningstar réside dans l’évaluation scientifique de l’alignement climatique des fonds. À l’aide d’indicateurs tels que la hausse de température implicite (Implied Temperature Rise, ITR) et le score de gestion des émissions, les analystes ont mesuré la cohérence des portefeuilles avec les trajectoires de décarbonation mondiales.

Résultat : 84 % des fonds climatiques sont mieux alignés sur la neutralité carbone que la moyenne des fonds classiques. Cependant, aucun ne respecte encore une trajectoire compatible avec un réchauffement limité à 1,5 °C. La plupart se situent entre 2,2 et 2,4 °C, soit légèrement en dessous de la moyenne mondiale (2,5 °C). Les fonds Clean Energy/Tech obtiennent les meilleurs scores (2,2 °C), suivis de près par les fonds de transition.

En matière de gouvernance environnementale, les fonds Green Bond et Transition dominent également, affichant les meilleurs scores de gestion des émissions (59 et 57 sur 100). Ces résultats traduisent une approche plus rigoureuse dans le choix des entreprises financées, souvent déjà engagées dans des trajectoires mesurables de réduction d’émissions.

La finance face au défi du climat : entre urgence et opportunité

Au-delà des chiffres, le rapport de Morningstar souligne un constat plus large : le dérèglement climatique n’est plus une menace lointaine, mais une réalité économique immédiate. Selon le Forum économique mondial, les catastrophes naturelles ont déjà coûté 162 milliards de dollars à l’économie mondiale sur les six premiers mois de 2025. Les États-Unis, frappés par des ouragans et des inondations record, concentrent à eux seuls près de 80 % de ces pertes.

Cette multiplication des risques physiques – destruction d’infrastructures, perturbation des chaînes logistiques, hausse du coût de l’assurance – renforce la prise de conscience des investisseurs. La question climatique devient un risque systémique pour les portefeuilles. D’où l’intérêt grandissant pour des stratégies capables non seulement de réduire les émissions, mais aussi d’anticiper les conséquences économiques du réchauffement.

Les grands investisseurs institutionnels adoptent désormais des approches plus globales : définition de cibles de décarbonation, investissement thématique, vote en assemblée générale, ou encore désinvestissement sélectif des secteurs les plus polluants. Près de 70 % des investisseurs interrogés par Morningstar affirment que le climat est désormais un pilier central de leur stratégie d’allocation.

Un écosystème en mutation : vers une maturité de la finance climatique

L’essor des fonds climatiques traduit une évolution profonde de la finance mondiale. Il ne s’agit plus seulement d’une tendance ou d’un effet de mode, mais d’une transformation structurelle. En 2018, ces produits représentaient à peine 40 milliards de dollars ; sept ans plus tard, ils dépassent les 600 milliards. En parallèle, le nombre de fonds recensés a grimpé à 1 700 à travers le monde.

Cette croissance fulgurante s’explique autant par la pression réglementaire que par la demande des épargnants. Les particuliers, de plus en plus conscients de l’impact environnemental de leurs placements, recherchent des produits cohérents avec leurs valeurs. Les plateformes d’investissement intègrent désormais des filtres « durables », et les institutions financières multiplient les offres thématiques.

Mais la maturité s’accompagne d’un besoin accru de transparence. Les accusations de greenwashing – ou écoblanchiment – fragilisent la confiance. Les autorités, en Europe comme ailleurs, renforcent leurs exigences de reporting : mesure des émissions financées, impact réel des projets, publication des objectifs de réduction. À mesure que la finance climat se professionnalise, elle devra prouver que ses promesses se traduisent en résultats tangibles.

2025 : un tournant pour la finance verte mondiale

L’année 2025 marque indéniablement un tournant. Les fonds climatiques atteignent des sommets historiques malgré un environnement politique et économique instable. La transition énergétique, longtemps perçue comme un coût, devient une opportunité stratégique. Les investisseurs redessinent leurs portefeuilles autour de la résilience, de la sobriété et de l’innovation.

Cependant, la route vers un monde réellement aligné sur 1,5 °C reste longue. Tant que les politiques publiques manqueront de cohérence, que les prix du carbone resteront trop bas, et que les entreprises n’intègreront pas pleinement le coût climatique dans leurs décisions, les marchés ne pourront pas, seuls, inverser la trajectoire.

L’investissement vert n’est pas une panacée, mais il constitue un levier décisif. En orientant les capitaux vers les acteurs du changement, la finance peut accélérer la transformation industrielle et énergétique mondiale. Encore faut-il que les flux financiers s’accordent aux ambitions climatiques. Car si 2025 a prouvé une chose, c’est bien que l’argent – comme le climat – ne connaît plus de frontières.

En résumé :

  • Les fonds climatiques atteignent un record de 644 milliards de dollars d’actifs.
  • L’Europe domine le marché avec 86 % des encours.
  • Les fonds de transition et obligations vertes sont les grands gagnants de 2025.
  • Les Clean Energy/Tech rebondissent mais restent volatils.
  • 84 % des fonds sont mieux alignés sur la neutralité carbone que la moyenne mondiale.
  • Le défi reste immense : aucun fonds n’est encore compatible avec un scénario à +1,5 °C.

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