
L’accord signé fin octobre 2025 entre Washington et Pékin marque une pause dans la guerre commerciale, mais non un apaisement durable. Derrière la baisse temporaire des droits de douane et la suspension de certaines restrictions, deux modèles économiques irréconciliables continuent de s’affronter : sécurité nationale contre puissance industrielle.
Une rencontre sous tension géopolitique
Le 30 octobre 2025, les présidents Donald Trump et Xi Jinping se sont retrouvés pour la première fois depuis 2019, en marge du sommet de l’APEC à Busan.
Sous les apparences d’un réchauffement diplomatique, cette rencontre traduit avant tout une trêve tactique : les États-Unis et la Chine cherchent à gagner du temps, chacun pour des raisons bien précises.
Pour Washington, il s’agit de réduire sa dépendance stratégique vis-à-vis de Pékin, notamment sur les terres rares et les semi-conducteurs, tout en maintenant un équilibre intérieur fragile avant l’élection présidentielle de 2026.
Pour Pékin, l’enjeu est de gérer les pressions déflationnistes et de relancer une économie affaiblie par le ralentissement de la demande mondiale, sans donner l’image d’un recul politique.
Coface résume la situation : une trêve tactique, mais aucun changement stratégique.
Les gestes diplomatiques masquent mal la persistance d’un dualisme économique structurel entre deux puissances qui ne partagent ni la même vision du commerce, ni la même conception de la souveraineté industrielle.
Les principaux points de l’accord de Kuala Lumpur
Selon le communiqué, les concessions négociées couvrent plusieurs volets économiques et réglementaires.
Voici les mesures phares du compromis :
| Aspect | États-Unis | Chine |
|---|---|---|
| Droits de douane | Réduction des tarifs sur le fentanyl de 20 % à 10 %, ramenant le taux global sur les importations chinoises de 41 % à 31 %. Prolongation de la suspension des droits réciproques de 24 % jusqu’en novembre 2026. | Retrait possible des droits de douane de 10 à 15 % sur certains produits agricoles américains. |
| Contrôles à l’export | Suspension d’un an de la “règle des filiales à 50 %” appliquée à la liste des entités. | Report d’un an du contrôle sur cinq terres rares supplémentaires et de la réglementation extraterritoriale. |
| Visites diplomatiques | Visite officielle de Donald Trump en Chine prévue pour avril 2026. | Visite de Xi Jinping aux États-Unis à une date ultérieure. |
| Agriculture | Engagement chinois à augmenter ses achats de soja, bétail et légumes américains. | — |
| Frais portuaires | Suspension réciproque d’un an des frais portuaires bilatéraux. | — |
Ces gestes visent à stabiliser temporairement les échanges et à rassurer les marchés.
Mais, comme le rappelle Coface, le cœur des tensions – technologique et industriel – reste intact.
Une trêve économique aux effets limités
Un soutien ponctuel à la croissance chinoise
L’allègement partiel des droits de douane et la suspension de certains contrôles devraient apporter un léger soutien à la croissance chinoise.
Coface prévoit désormais une progression du PIB de 4,4 % en 2026, contre 4,8 % en 2025, grâce à un redressement temporaire des exportations vers les États-Unis et un ralentissement des délocalisations.
Cependant, cette amélioration reste mécanique et courte.
La tendance de fond demeure celle du découplage : les entreprises américaines continuent de diversifier leurs chaînes d’approvisionnement vers l’Asie du Sud-Est, l’Inde et l’Amérique latine.
La Chine reste dépendante de la demande occidentale, mais les flux commerciaux ne se réorientent pas structurellement à la baisse : ils se redéfinissent.
Une stratégie américaine de “dérisquage”, pas de reconvergence
Pour Washington, cette trêve s’inscrit dans une logique de gestion du risque géopolitique.
La Maison Blanche cherche à gagner du temps pour consolider de nouvelles filières d’approvisionnement hors de Chine :
- diversification des terres rares avec le Canada et l’Australie,
- relocalisation partielle de la production de puces en Arizona et au Texas,
- alliances stratégiques avec le Japon et la Corée pour les technologies critiques.
La réduction temporaire des droits de douane est donc un outil diplomatique, non un geste de rapprochement.
Comme le note Coface, “les États-Unis sécurisent un répit de douze mois pour accélérer la déconnexion technologique”.
Les secteurs les plus exposés : gagnants et perdants
Technologies et semi-conducteurs : statu quo sous tension
La suspension des nouvelles restrictions américaines sur les logiciels critiques apaise brièvement les industriels chinois.
Mais aucune concession n’a été faite sur les puces avancées, cœur de la rivalité technologique.
Les fabricants chinois restent limités dans l’accès aux équipements de gravure de pointe, tandis que les entreprises américaines s’exposent à de possibles mesures antidumping sur les composants analogiques.
Résultat : un statu quo instable, où la coopération commerciale ne masque pas la compétition technologique.
Les deux économies s’enferment dans une interdépendance paradoxale : chacune dépend de l’autre pour produire, tout en cherchant à s’en affranchir.
Terres rares : un répit stratégique mais pas une indépendance
L’un des volets clés de l’accord concerne les terres rares, essentielles à l’industrie de défense, à l’automobile et à la transition énergétique.
Les États-Unis obtiennent un report d’un an des nouveaux contrôles chinois sur cinq éléments critiques, garantissant une sécurisation temporaire des approvisionnements.
Mais la dépendance reste structurelle :
- La Chine contrôle près de 90 % du raffinage mondial,
- Et domine la production de métaux stratégiques pour les aimants de véhicules électriques et les systèmes d’armement.
Cette trêve permet donc aux industriels américains de gagner du temps pour diversifier leurs sources (Australie, Canada, Afrique), mais ne change rien à l’équilibre de puissance.
Agriculture : un souffle symbolique
La Chine s’est engagée à augmenter ses importations agricoles américaines, notamment en soja, viande et légumes.
Si cette annonce a été saluée par les marchés agricoles, les volumes restent inférieurs à la moyenne historique.
Pékin poursuit en parallèle une politique de substitution via le Brésil, l’Argentine et d’autres fournisseurs sud-américains.
L’effet réel sur le revenu des fermiers américains sera donc limité, même si le signal politique est fort : le secteur agricole reste un levier diplomatique central dans la relation sino-américaine.
Industrie manufacturière : un souffle de court terme
La réduction partielle des droits de douane pourrait relancer, à la marge, les exportations chinoises de textiles, jouets et biens de consommation à faible valeur ajoutée.
Elle devrait également ralentir les délocalisations vers les pays de l’ASEAN.
Mais ces effets restent temporaires : la fragmentation des chaînes d’approvisionnement se poursuit, et la tendance à la relocalisation régionale (Vietnam, Inde, Mexique) reste irréversible.
Une géoéconomie sous perfusion diplomatique
Cette trêve illustre parfaitement la logique du “containment commercial” :
un équilibre précaire où les deux puissances préfèrent la stabilité temporaire à l’escalade ouverte.
Coface y voit une stratégie de respiration économique :
- Pékin cherche à relancer ses exportations pour contenir la déflation.
- Washington, lui, veut calmer l’inflation et préserver le pouvoir d’achat avant les élections.
Mais sur le fond, les tensions demeurent systémiques.
Les différends sur les semi-conducteurs, la cybersécurité, les transferts technologiques et Taïwan continuent de peser sur la visibilité à moyen terme.
La trêve pourrait donc être remise en cause dès 2026, au gré des cycles politiques.
Les indicateurs Coface : stabilité trompeuse
| Pays | Note de risque | Croissance 2025 | Croissance 2026 |
|---|---|---|---|
| États-Unis | A2 (risque peu élevé) | 1,8 % | 1,7 % |
| Chine | B (risque relativement élevé) | 4,8 % | 4,4 % |
Coface souligne que le risque américain reste modéré, mais que la croissance chinoise ralentira inexorablement, freinée par la démographie, la dette et les tensions géopolitiques.
Cette trêve ne fait que différer l’ajustement : la rivalité économique entre les deux géants structure désormais la géopolitique mondiale.
Conclusion : une pause, pas une paix
L’accord commercial signé à Busan marque une désescalade calculée, non une réconciliation.
Il offre un répit à court terme aux marchés, mais ne résout aucune des fractures fondamentales du système mondial :
technologique, énergétique, et politique.
La guerre économique sino-américaine entre dans une phase d’usure diplomatique : ni victoire, ni paix, mais une succession de compromis temporaires destinés à éviter la rupture.
Comme l’écrit Coface, “les entreprises doivent continuer à anticiper la fragmentation des chaînes de valeur et la montée des risques géopolitiques”.
L’économie mondiale respire, mais retient son souffle.








