Conférence de presse de Christine Lagarde : Au-delà d’une décision de politique monétaire dont les points clés sont restés inchangés, il y a de nombreux points à retenir et des leçons à tirer de cette conférence, et notamment du langage utilisé par la présidente de la BCE lors de la session de questions-réponses. Par Vincent Manuel, Directeur des investissements chez Indosuez Wealth Management
Introduction
Comme prévu, la plupart des questions des participants ont porté sur les perspectives d’inflation en Zone Euro et leurs implications sur la politique de taux d’intérêt, avec finalement peu de mots sur la fin des programmes d’achats d’actifs et les détails techniques entourant le remplacement du PEPP par le programme APP.
Qu’avons-nous appris ? Qu’est-ce qui a changé dans les perspectives de la politique de la BCE ?
Le principal message que l’on peut retenir de la conférence est le suivant : « nous nous rapprochons de l’objectif d’inflation », une situation qui conduirait la BCE à réévaluer sa politique de taux, mais « nous n’y sommes pas encore », a rappelé Christine Lagarde lors de la session de questions-réponses. Bien que ce point ait probablement été fortement discuté au sein du conseil, la décision a été de ne pas se précipiter.
Le deuxième message important fait référence à la « flexibilité et à l’optionalité » de la politique monétaire de la BCE (Christine Lagarde rappelant qu’elle « ne fait jamais d’engagement sans conditionnalité »). Cette dernière a souligné que les perspectives de sa politique resteront dépendantes des prochaines publications économiques, et sujettes à la révision des projections des économistes de la BCE en mars prochain.
Le troisième message important fait référence à la « séquence » de la trajectoire potentielle de normalisation monétaire menée par la BCE. Celle-ci se fera « étape par étape » : d’abord avec la fin du PEPP en mars, la BCE décidera ensuite des perspectives de l’APP, et enfin de sa politique sur les taux d’intérêts directeurs. Sans fermer aucune porte ni aucune option, Christine Lagarde a répété à ce sujet à plusieurs reprises que la BCE ne s’engagerait pas dans des hausses de taux avant la fin des achats nets d’actifs.
Qu’est-ce qui a changé sur les perspectives économiques ?
Aujourd’hui, la BCE a fait un pas de plus en estimant que l’inflation était plus élevée que prévu et qu’elle pourrait le rester plus longtemps que prévu, au moins pendant plusieurs mois. Même si sa présidente a insisté pour dire que cela était principalement dû à la hausse des prix du pétrole, qui contribue pour plus de la moitié au chiffre actuel de l’inflation (5,1 % en glissement annuel en janvier 2022 dans la zone euro), elle a évoqué que l’inflation ne s’était pas encore diffusé au sein d’un grand nombre de produits et services.
Ce qui a également changé, c’est la perception du marché de l’emploi, qui devrait à un moment donné générer des pressions à la hausse sur le niveau d’inflation, mais dans une mesure moindre qu’aux Etats- Unis ou au Royaume-Uni. Avec un taux de chômage record de 7 % et un taux de participation revenu au niveau pré-pandémique, le marché du travail est perçu comme très fort et pourrait conduire à une pression à la hausse sur les salaires, que la BCE ne voit pas encore. Cela peut être interprété comme un point critique qui aura un impact sur la politique de la BCE à l’avenir.
La mention sur un risque d’inflation orienté à la hausse (probablement la première fois depuis des décennies) répété à plusieurs reprises a certainement attiré l’attention des investisseurs.
Au-delà de l’inflation, deux facteurs de risque importants ont été discutés aujourd’hui, qui justifient probablement une attitude attentiste. Le premier risque est que la hausse des prix de l’énergie affaiblisse à la fois les perspectives de la consommation privée (dont le pouvoir d’achat est affecté par le prix du pétrole) et les perspectives d’investissement (car les coûts de l’énergie nuisent aux marges des entreprises). Le deuxième facteur de risque concerne les tensions géopolitiques, qui ont été évoqués plus directement par Christine Lagarde que par Jerome Powell, qui représentent bien sûr une menace à la fois sur les coûts énergétiques et sur la visibilité du cycle d’investissement des entreprises.
Ce qui reste inchangé ?
La BCE maintient une vision constructive des perspectives de croissance de la zone euro malgré la faiblesse attendue de la croissance du PIB au premier trimestre. Sa présidente a souligné que l’activité économique devrait rebondir au cours des prochains trimestres grâce à la demande interne, aux investissements, à un environnement fiscal et monétaire toujours favorable, et à la réouverture des économies pour lesquelles plusieurs secteurs tels que les loisirs, le tourisme et les voyages n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant la pandémie. On s’attend également à ce que les goulets d’étranglement de la chaîne d’approvisionnement se résorbent progressivement d’ici la fin de l’année, mais le langage était relativement prudent à ce sujet.
La fonction de réaction de la BCE est officiellement inchangée, qu’il s’agisse de l’objectif symétrique d’inflation à 2 % à moyen terme ou de son orientation prospective.
Que pouvons-nous attendre en mars prochain ?
Nous anticipons que les projections économiques de la BCE qui seront publiées en mars pourraient réviser à la hausse les prévisions d’inflation pour 2022 et surtout pour 2023, ainsi que les prévisions pour le marché du travail. Sur ce dernier point, la BCE prévoit un taux de chômage de 7,3 % en décembre 2022, un niveau déjà dépassé puisqu’il s’établit déjà à 7,1 % en décembre 2021. Nous anticipons que la BCE pourrait accélérer la fin des achats d’actifs dans le cadre de l’APP au 3ème trimestre 2022, ce qui pourrait ouvrir la voie à une hausse des taux fin 2022 ou début 2023.
Comment lire la réaction du marché ?
Cette réunion a été perçu comme relativement hawkish, autant que Christine Lagarde pouvait l’être dans cet environnement et dans le cadre de la tradition de prudence de l’institution. Ceci doit être relativisé et compte tenu de la situation économique spécifique de la zone euro et d’une normalisation monétaire beaucoup plus progressive de la BCE, qui restera très différente de celle des États-Unis.
Cette perception explique la hausse des taux des obligations d’Etats européennes pendant la conférence avec +8 pb sur le Bund allemand et jusqu’à +15 pb sur le BTP italien, tandis que sur le marché des changes l’Euro est monté à 1,14 contre le dollar américain.