Chacun a pu lire divers articles qui évoquent la nécessité de « renflouer » EDF, notamment en raison de la crise Covid-19. Un chiffre de 4 milliards d’euros a été rapporté. Peut être est-il nécessaire de revenir sur les raisons de ce chiffre.
Ce genre d’annonce anime souvent les amis de la « politique du pire », qui se félicitent parfois qu’EDF soit en difficulté, en dépit de son rôle indispensable de service public pour assurer la fourniture d’énergie, son rôle dans toute une filière industrielle, sa contribution à stimuler l’activité économique dans les territoires, pourvoyeuse de nombreux emplois.
Rien ne doit amener à nous en féliciter. Et on peut le dire par avance aux antinucléaires qu’il n’y a aucun rapport entre cette annonce d’une potentielle recapitalisation (qui n’a pas été confirmée ni par l’Etat, ni par EDF) et les coûts du nucléaire qui, eux, sont relativement indépendants de ce type de crise. En effet, hormis les moyens carbonés, tant le nucléaire que les ENR sont des industries de coûts fixes : la maintenance à un coût équivalent d’une année sur l’autre, le personnel représente une part assez faible des dépenses totales (autour de 10%) et le combustible a une part marginale (quelques %).
Cela signifie que la structure de coûts bouge peu et que l’évolution des recettes d’EDF dépend de deux éléments majeurs : quelle quantité d’électricité on vend et à quel prix. Et c’est là que sont les difficultés d’EDF.
1. La consommation d’électricité en France a baissé de l’ordre de 15% avec la crise Covid-19. Donc l’on doit produire moins d’électricité alors que le coût de fonctionnement de nos centrales n’est pas vraiment proportionnel à la quantité d’électricité produite. Si une crise économique s’ensuit, la baisse de la consommation pourrait durer plusieurs années (baisse de la conso des industriels notamment)
2. La maintenance de nos centrales a été retardée par la crise coronavirus. Cela signifie que même cet hiver, quand la consommation sera plus élevée, nous n’aurons pas les centrales nucléaires disponibles pour faire face à la demande. Nous devrons donc faire fonctionner des centrales plus coûteuses, à charbon, gaz ou fioul, ou éventuellement payer davantage d’importations.
Ces deux effets cumulatifs font que la production nucléaire envisagée sera de 300 TWh au lieu de 384 initialement. C’est compliqué à évaluer, mais si on part du principe qu’ils auraient été vendus à 42€/MWh (prix de l’ARENH), on part sur un préjudice d’un ordre de grandeur de 3 milliards d’euros de recettes en moins.
3. Il faut aussi observer que les prix de gros, situés au dessus de 45€/MWh fin 2019, sont proches des 40€/MWh actuellement voire moins. Cela signifie que l’on gagne moins pour chaque MWh vendu. Cet effet va perdurer au delà de 2020. Comme le rappelle souvent EDF, 1€ de baisse du prix de MWh sur le marché de gros représente 330M€ de moins de recettes pour EDF.
Cet effet prix sera limité en 2020 (mais va compter pour quelques centaines de millions) mais perdurera en 2021.
Or, EDF génère un EBITDA (richesse crée par l’exploitation) de 16 milliards d’euros, avec lequel il doit payer ses investissements, ses frais financiers (interêts d’emprunt), ses dotations aux actifs dédiés au démantèlement et éventuellement un dividende.
Les investissements sont proches de 14-15 milliards d’euros. Chacun comprendra donc que le solde entre l’EBITDA et nos investissements est déja proche de zéro. Cela signifie que toute diminution d’EBITDA accroit la dette d’EDF. Et potentiellement, une dégradation de la note d’EDF par les agences de notation et donc des taux d’interêt plus élevés etc.
Ainsi, il est probable qu’EDF ait besoin un soutien financier de l’ordre de 4 milliards d’euros pour faire face à la baisse (que l’on espère temporaire) de ses recettes.
EDF est loin d’être l’entreprise la plus en difficulté dans le cadre de la crise Covid-19. Mais il est vrai que les phénomènes de prix (bourse) et d’indisponibilité des centrales (+ baisse de la conso) vont être très pénalisants.
A voir la forme que cela prendra, est-ce qu’une augmentation de capital par l’Etat est nécessaire, est-ce qu’on peut tolérer une hausse de 4 milliards de l’endettement fin 2020.
Insistons sur un point : toutes ces difficultés, comme les précédentes, sont liées à des problèmes opérationnels (décalages d’arrêts ou de chantier), ou des phénomènes de prix de gros, ou de baisse de la conso.