Empire d’un milliardaire soupçonné de la plus grande fraude historique

Hindenburg Research, célèbre pour son rôle dans la chute de Nikola, a vivement accusé l’Adani Group, dirigé par le milliardaire indien Gautam Adani, actif dans le secteur du charbon, de se livrer à une fraude comptable massive, de manipulations boursières, de corruption et de blanchiment d’argent. Les diverses entreprises familiales cotées à la Bourse de Mumbai, opérant dans des domaines variés tels que l’électricité et l’agroalimentaire, ainsi que les actions des récentes acquisitions dans les domaines du ciment et des médias, ont toutes connu une baisse significative à la suite de ces révélations. Par exemple, Adani Ports, spécialisée dans les activités portuaires, a enregistré une chute de 5% sur le Nifty 50, l’indice boursier phare de l’Inde.

En fin de compte, il s’agirait moins de l’histoire triomphante de la vieille économie sur la “tech” que d’une vaste supercherie. Hindenburg Research, le vendeur à découvert célèbre pour avoir exposé la prétendue success story du fabricant de camions révolutionnaires Nikola en 2020, a dévoilé cette nuit, après deux ans d’enquête, le nom du dernier fraudeur présumé qu’il a mis au jour : Adani Group, un empire aux ramifications étendues dans l’énergie, la production d’électricité, les activités portuaires, la logistique et l’agroalimentaire, qualifié de “plus grande fraude d’entreprise de l’histoire” dans un tweet de la firme de recherche américaine.

“Aujourd’hui, nous présentons des éléments de preuve indiquant que le conglomérat indien, évalué à 17 800 milliards de roupies (218 milliards de dollars), a participé à un stratagème flagrant de manipulation des actions et de fraude comptable sur plusieurs décennies.” Selon Hindenburg Research, cette manipulation expliquerait la flambée de la valeur boursière des sept entreprises cotées de l’empire Adani (+819% en moyenne au cours des trois dernières années), sans justification économique ou financière apparente. Cette ascension aurait permis au fondateur, le magnat du charbon Gautam Adani, qui est proche du Premier ministre Narendra Modi, de se hisser à la troisième place du classement mondial des milliardaires de Bloomberg. Sa fortune est estimée à environ 120 milliards de dollars, une augmentation de 100 milliards en l’espace de trois ans, le plaçant derrière le Français Bernard Arnault (LVMH) et l’Américain Elon Musk (Tesla).”

Diffusion astucieuse de désinformation sélective

Adani Group, déjà sous le feu de quatre importantes enquêtes gouvernementales pour des allégations de fraude, rejette catégoriquement les conclusions de l’investigation. L’entreprise affirme que le rapport, publié sans tentative de contact préalable de la part d’Hindenburg Research, est une “combinaison malicieuse de désinformation sélective”. Le jour même où l’une de ses entités cotées, Adana Entreprises, devait lancer la plus importante augmentation de capital de l’histoire de l’Inde, le groupe conteste vigoureusement les allégations.

Hindenburg Research critique vivement la structure centralisée de l’entreprise, soulignant la concentration du pouvoir, source d’opacité et propice à divers abus. La firme souligne la domination de membres de la famille Adani aux postes de direction, affirmant que cette dynamique confère le contrôle financier et les décisions clés à un petit nombre.

Le rapport dévoile un réseau d’entités offshore fictives, contrôlées par la famille Adani et situées dans des paradis fiscaux, allant des Caraïbes à l’île Maurice en passant par les Émirats arabes unis. Ces entités auraient été utilisées pour faciliter la corruption, le blanchiment d’argent et le détournement de fonds publics, tout en vidant les coffres des entreprises cotées du groupe. De plus, ces entreprises se négocient en Bourse à des niveaux de prix présentant des ratios cours/bénéfices bien supérieurs à ceux de leurs homologues, indiens ou internationaux, ce qui semble d’autant plus déconcertant compte tenu de l’endettement et de la fragilité financière de plusieurs d’entre elles, quatre sur sept ayant un flux de trésorerie disponible négatif.

Des actions cotées à une valorisation 815 fois leurs bénéfices

Par exemple, avant la récente baisse, les actions d’Adani Green Energy, une entreprise au free cash-flow négatif exploitant le projet d’énergie solaire de Kamuthi (l’une des plus grandes centrales solaires photovoltaïques au monde), étaient évaluées à 815 fois les bénéfices, comparées à une moyenne de 24 fois dans le secteur. Les actions d’Adani Total Gas, distributeur de gaz en Inde avec la participation de TotalEnergies à hauteur de 37%, étaient quant à elles négociées à un ratio “valeur d’entreprise sur Ebitda” de plus de 300 fois, par rapport à une moyenne mondiale de 9 fois pour des entreprises similaires, tout en présentant un ratio de liquidité inférieur à 1.

Aujourd’hui, Adani Green Energy a clôturé en baisse de 3% à la Bourse de Mumbai. Adani Power, producteur d’électricité à partir de centrales thermiques, a perdu 5%, Adani Total Gas a baissé de 5,5%, Adani Transmission, gestionnaire du réseau local de transport d’électricité, a perdu près de 9% (atteignant -12,5% au plus bas de la séance). Adani Wilmar, spécialisée dans les produits alimentaires de grande consommation, a clôturé en baisse de 5%, tandis qu’Adani Ports & Special Economic Zone, spécialisée dans les activités portuaires et faisant partie du Nifty 50 avec Adani Enterprises (-1,5%), a chuté de plus de 6%. Parmi ces sept entreprises familiales, six sont des composantes de l’indice MSCI India, largement suivi par les fournisseurs d’ETF.

La secousse à la Bourse de Mumbai ne s’est pas limitée aux entreprises portant le nom “Adani”. Les récentes acquisitions du groupe, qui a étendu ses activités au ciment et aux médias, ont également subi des ventes massives. Par exemple, les actions du diffuseur de la chaîne d’information New Delhi Television (NDTV), objet d’une OPA hostile, ont chuté de 5%, tandis que les cimentiers Ambuja et ACC ont clôturé la séance sur des pertes respectives d’environ 8% et 7%.

« Des experts financiers ont fait l’objet d’arrestations » dans ce pays

Hindenburg Research souligne le fait qu’Adani Enterprises (multipliée par 30 en Bourse en trois ans) et Adani Total Gas (multipliée par 44) sont auditées par un petit cabinet dépourvu de site internet, composé de seulement quatre partenaires et onze employés, qui n’a certifié les comptes que d’une seule autre entreprise cotée en Bourse. Selon la firme américaine, l’Inde, en route pour devenir une superpuissance mondiale, est actuellement entravée dans son développement économique par l’état de délabrement de ses marchés financiers. Elle souligne que les critiques à l’encontre des hommes d’affaires et des politiciens de l’élite indienne aboutissent de plus en plus souvent à l’emprisonnement ou même à l’assassinat de journalistes, et des analystes financiers ont été arrêtés pour avoir émis des opinions négatives sur des entreprises. Dans ce contexte d’expression étouffée, la fraude d’entreprise reste largement incontrôlée.

Hindenburg Research rappelle également que Rajesh Adani, le frère de Gautam Adani, a été arrêté deux fois, en 1999 et en 2010, pour des suspicions autres que le commerce illégal de diamants sur lequel les autorités indiennes ont enquêté au milieu des années 2000. L’arrestation de 1999 était liée à des allégations d’évasion de taxes douanières, de falsification de documents d’importation et d’importations illégales de charbon, selon un rapport médiatique. L’arrestation de 2010 était liée à une autre allégation de fraude douanière et de sous-évaluation de marchandises importées, cette fois en rapport avec du naphte et des produits pétroliers, selon un autre rapport médiatique. Hindenburg Research souligne qu’en général, lorsqu’un cadre est soupçonné d’avoir été impliqué dans un stratagème de fraude gouvernementale et qu’il est arrêté à plusieurs reprises, il est généralement licencié ou même emprisonné dans certains pays. Cependant, chez Adani Group, ces individus semblent être promus, comme c’est le cas pour Rajesh Adani, qui occupe actuellement le poste de directeur général d’Adani Group.