Nous assistons aujourd’hui à des conversations interminables sur les énergies sans que ce dont on parle soit dûment précisé. Parle-t-on de l’énergie pour chauffer notre maison ou bien de celle nécessaire pour charger un véhicule électrique ? Ce n’est pas indifférent. Beaucoup ignorent les principes fondamentaux, alors que d’autres les connaissent mais évitent soigneusement d’en tenir compte.
L’un de ces principaux fondamentaux est la distinction entre « énergie primaire » et « énergie finale ». Précisons qu’il ne s’agit pas d’une vaine querelle de mots : une bonne compréhension a un impact fondamental en matière de choix de politique énergétique et d’adoption lucide de cette politique par les citoyens concernés.
Quelques rappels : définitions
L’« énergie primaire » désigne l’énergie « brute » contenue dans les ressources naturelles comme le charbon, le pétrole, le gaz, l’uranium, la biomasse, le vent, le soleil et d’autres sources d’énergie renouvelables. Notons ici que, dans la plupart des statistiques mondiales, l’énergie primaire provenant de sources pourtant largement répandues dans les populations les plus pauvres – à savoir la combustion du bois et des déchets de bois, du charbon de bois et des excréments d’animaux séchés – n’est pas comptabilisée.
L’énergie fournit trois grands types de « services » satisfaits par différentes formes d’« énergie finale » :
- la production de chaleur et de froid, également appelée « usage fixe », que ce soit pour les besoins domestiques (chauffage et eau chaude sanitaire) ou de l’industrie (comme les fours industriels). Cette production utilise très majoritairement des combustibles fossiles ou de la biomasse (bois) ;
- le transport qui repose à 94% sur des « produits pétroliers » (issus de la transformation de pétrole brut dans une raffinerie) ;
- l’électricité qui est principalement produite au niveau mondial par les énergies fossiles (et dans une moindre mesure par l’énergie nucléaire, l’hydroélectricité et d’autres sources d’énergies renouvelables).
Quelques réflexions : statistiques dans l’Union européenne
La plupart des données utilisées par la suite proviennent d’Eurostat qui est une Direction générale de la Commission européenne qui collecte et traite les statistiques des États membres. Il existe de nombreuses autres bases de données qui ont chacune des spécificités intéressantes : Enerdata, Agence internationale de l’énergie, BP Statistical Review (une des meilleures sources d’information en matière d’énergie, utilisée même par les ONG écologistes), US Energy Information Service, etc.
Il apparaît qu’entre consommation d’énergie primaire et finale, plus d’un tiers de l’énergie disparaît dans l’UE à 27 (hors Royaume-Uni) selon les dernières données d’Eurostat (données de juillet 2020, portant sur l’année 2018).
L’objectif de développement des énergies renouvelables dans les directives européennes est exprimé en pourcentage par rapport à la consommation totale d’énergie finale. Cette part des renouvelables peut donc augmenter soit par hausse du numérateur, c’est-à-dire en produisant plus d’énergies renouvelables, soit par baisse du dénominateur, c’est-à-dire en réduisant la consommation d’énergie finale. La crise de la Covid-19, qui a conduit à une diminution de la consommation d’énergie finale, va ainsi permettre de se rapprocher de l’objectif de 20% d’énergies renouvelables à l’horizon 2020 et ainsi d’affirmer lors de la publication des statistiques en 2021 que cette cible – fixée en 2009 – était réaliste…
Dans l’imaginaire collectif et surtout médiatique, l’énergie se résume trop souvent à l’électricité. La part croissante et parfois très importante des énergies renouvelables intermittentes est mise en avant, mais en omettant de préciser que l’on se réfère uniquement à l’électricité, qui a compté pour 23% de la consommation d’énergie finale en 2018.
Autrement dit, lorsque l’on se préoccupe uniquement d’électricité, on néglige plus des trois quarts de l’énergie que l’on consomme. Bien entendu, on s’attend à moyen terme à électrifier plus les consommations finales et donc cette part est amenée à croître. Mais peut-on raisonnablement penser que nous allons aussi chauffer les 180 millions de logements de l’UE avec des filières électriques intermittentes ?
Voyons toutefois de plus près les données concernant l’électricité. Les énergies renouvelables ont compté pour environ un tiers de la production d’électricité en 2018 selon les dernières données d’Eurostat et l’énergie hydraulique a elle-même compté pour 38% de la production électrique d’origine renouvelable cette année-là (alors que le terme « énergie renouvelable » est souvent considéré à tort comme un synonyme des seules énergies éolienne et solaire)
Lorsque l’on ramène le poids des filières renouvelables intermittentes dans le bilan en énergie primaire de l’UE – l’indicateur fondamental lorsqu’on se préoccupe d’énergie, que ce soit pour les aspects géopolitiques, de balance des paiements et de décarbonation – leur part se limite ainsi à quelques pourcents. En 2018, ces énergies si populaires dans les médias n’ont ainsi compté que pour 2,5% de la consommation d’énergie primaire dans l’UE à 27 (1,4% en France, 1,8% en Belgique et 4,3% en Allemagne)…