Le 05 aout 2022 : Pour une technologie qui en est encore à ses balbutiements, le metaverse a déjà attiré beaucoup d’attention et des capitaux considérables. Par Ernst Daniel, analyste, Jack Neel et Richard Speetjens, gérants de portefeuille chez Robeco
Définition rapide du metaverse
Le terme metaverse a été créé par l’écrivain de science-fiction Neal Stephenson dans son roman « Le samouraï virtuel » (1992), qui décrivait une réalité virtuelle partagée dans laquelle les utilisateurs étaient représentés sous forme d’avatars. Certes, la science-fiction inspire très souvent les inventeurs, mais il est rare qu’elle soit aussi visionnaire.
Alors que la définition générale fait consensus, il semble que les personnes qui travaillent sur le metaverse n’aient pas la même une vision de ce qu’il sera, selon les marchés qu’elles desservent et la technologie sur laquelle il pourrait reposer. Les entreprises de jeux vidéo telles que Roblox et Epic considèrent le metaverse comme une augmentation des expériences multijoueurs existant déjà, tandis que les applications d’entreprise comme Autodesk et Nvidia créent des outils de conception collaborative et immersive. Facebook, dont la société mère a été rebaptisée Meta Platforms, estime naturellement que le metaverse sera un élément essentiel des interactions sociales du futur, et le définit comme « un ensemble d’espaces virtuels où l’on peut créer et explorer avec d’autres personnes qui ne se trouvent pas dans le même espace physique1 ».
À mesure que la technologie se développe, on risque d’assister à l’apparition non pas d’un, mais de plusieurs metaverses, de la même manière qu’Internet regroupe un nombre infini de sites Web dans des secteurs très divers tels que la banque, le commerce en ligne, le divertissement et les interactions sociales. « En matière de metaverse, je pense que ce que nous verrons sera assez différent de ce que nous parlons aujourd’hui, et nous ne saurons même pas de quoi il s’agit tant qu’un certain nombre d’éléments n’auront pas fait leur apparition2 », commente Tim Sweeney, le fondateur et PDG d’Epic Games, qui a créé le jeu Fortnite.
De même, à l’instar d’Internet qui est accessible via une grande variété d’appareils (ordinateurs, téléphones, voitures et montres connectées), l’accès au metaverse s’effectuera à l’aide de technologies diverses, allant des ordinateurs et des smartphones jusqu’aux casques de réalité virtuelle (RV) immersive et lunettes de réalité augmentée (RA).
Le metaverse dans les jeux
Alors que la technologie de réalité virtuelle est encore en développement, les jeux multijoueurs sur consoles, ordinateurs et téléphones portables intègrent déjà de nombreux aspects de ce que le metaverse cherche à atteindre. Le fait que les joueurs puissent créer et conserver des identités qui évoluent dans le temps a longtemps été l’apanage des jeux en ligne multijoueurs tels que World of Warcraft (Blizzard) ou, plus récemment, Grand Theft Auto (Take Two) et Fortnite (Epic). Ces jeux sont intrinsèquement sociaux, puisque les joueurs communiquent avec leurs vrais amis comme avec ceux qu’ils rencontrent en ligne, via le chat ou les appels vocaux.
Plus important, les jeux comme Minecraft et Roblox incarnent un thème central du metaverse, à savoir que l’utilisateur peut non seulement interagir avec le contenu mais aussi contribuer à sa création. Grâce au succès de mini-jeux indépendants intégrés à Minecraft (Pixel Painters ou EggWars, par exemple), Roblox regroupe ainsi des milliers de jeux créés par des développeurs externes qui tirent un revenu de ces achats intégrés.
Le metaverse au travail
Par certains aspects, les employés de bureau vivent déjà dans un metaverse depuis le printemps 2020, dans la mesure où le télétravail forcé a favorisé la disparition des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle. Cela a déclenché l’adoption généralisée d’outils de collaboration à distance. Du jour au lendemain, la société Zoom Video Communications est passée du statut d’outil obscur utilisé par les utilisateurs de logiciels d’entreprise à celui de marque mondialement connue. En 2020, 3 200 milliards de minutes de réunions ont eu lieu sur Zoom (en durée annualisée), soit 31 fois plus qu’avant. Il faudrait à une personne 6 millions d’années pour visionner toutes ces vidéos. Les solutions de réunions dans le metaverse cherchent à améliorer la fonction d’appel vidéo en mettant un accent accru sur l’interactivité et la collaboration.
Un exemple illustrant le potentiel des technologies adjacentes au metaverse est celui des jumeaux numériques, déjà utilisés aujourd’hui. Cela fait longtemps que les architectes et les ingénieurs créent des modèles physiques et numériques pour étoffer et affiner leurs conceptions finales avant de lancer la construction ou la production. Les jumeaux numériques étendent ce processus grâce à la modélisation informatique de données externes, par exemple des conditions de prêt, des caractéristiques de matériaux ou la météo, entre autres. Le fabricant de semi-conducteurs Nvidia a ainsi mis au point une plateforme logicielle appelée Omniverse afin de modéliser non seulement des objets statiques mais aussi des processus en mouvement. Amazon a utilisé cet outil pour simuler la performance de ses entrepôts avant de les construire, afin de maximiser leur rendement.
Le metaverse à l’école
Les technologies d’apprentissage à distance sont utilisées depuis des années et sont très utiles dans les régions reculées et mal desservies, et même vitales durant les périodes de confinement dues à la pandémie. Cependant, faute de supervision de la part des enseignants et d’interactions avec les autres élèves, rares sont ceux qui pensent que l’enseignement par visioconférence produit les meilleurs résultats pour les élèves.
Avant la pandémie, les dépenses dans les logiciels de collaboration et de productivité étaient déjà élevées dans les entreprises, mais moins dans les écoles. Sentant une occasion de combler cet écart, des investisseurs en capital-risque ont depuis placé un accent accru sur les technologies éducatives. En 2021, les investissements mondiaux de capital-risque dédiés aux technologies de l’éducation ont augmenté de 29 % en glissement annuel, à 20,8 milliards de dollars, presque trois fois plus qu’avant le Covid-19.
Figure 1 | Financement mondiaux dans les technologies de l’éducation, en milliards de dollars
Conséquences pour les investisseurs
Conformément à un schéma connu de la plupart des investisseurs en technologies, l’intérêt pour le metaverse a rapidement atteint un pic durant le cycle du hype, avant de se transformer en ce que les chercheurs de Gartner appellent la phase de désillusion – ce qui est compréhensible, compte tenu de l’absence d’avancées concrètes. Malgré la longue histoire du terme metaverse, l’intérêt du public a été très modeste jusqu’à l’année dernière. Les statistiques relatives aux recherches sur Google montrent un petit sursaut d’intérêt relatif pour le mot « metaverse » au moment de l’introduction en Bourse de Roblox, en mars 2021, suivi d’une augmentation plus significative en octobre 2021, lorsque Facebook a annoncé son projet de développement de la technologie et son nouveau nom de marque Meta Platforms. Plus récemment, toutefois, l’enthousiasme pour le metaverse est retombé et les recherches sur Google ont diminué de 78 % par rapport au record d’octobre 2021.
Figure 2 | Recherches du terme “metaverse” sur Google, dans le monde
Compte tenu de l’effet de mode toujours présent, des premiers stades de développement et de l’absence de gagnant incontestés aujourd’hui, les investisseurs en quête d’opportunités dans le metaverse pourraient trouver leur bonheur dans les catalyseurs et les technologies adjacentes qui génèrent des revenus rentables.