CPR AM. Ces deux dernières années, le secteur du transport maritime de marchandises s’est ralenti, notamment à cause de la congestion des grands ports. Quelles sont les conséquences économiques de ces perturbations ?
L’importance du transport maritime de marchandises
Il y a peu d’endroits où l’état des chaînes d’approvisionnement internationales est aussi visible que dans les grands ports. En effet, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) estime que plus de 80 % du commerce de marchandises en volume est réalisé par bateaux (plus de 70% en valeur). Ce pourcentage est même encore plus élevé pour la plupart des pays émergents1. Dès lors, on comprend aisément que des perturbations de cette organisation peuvent avoir des conséquences économiques importantes et ce que nous allons voir dans la suite de ce texte en nous penchant sur deux documents de travail du FMI sortis sur le sujet à la fin mars 2022.
Des temps de transport plus élevés
Dans le premier de ces documents de travail, les chercheurs du FMI ont utilisé une base de données qui recense les voyages de quasiment tous les cargos du monde ces dernières années. Tout comme les avions avec leurs transpondeurs, quasiment tous les cargos émettent périodiquement un signal, notamment pour éviter les collisions, et ces signaux peuvent être recueillis par des récepteurs sur terre ou par des satellites commerciaux, ce qui peut permettre de suivre une grande partie des flux commerciaux en temps réel.
Ces chercheurs se sont focalisés sur les 1 UNCTAD, 2021, « Etudes sur les transports maritimes 2021 ». Komaromi A., D. Cerdeiro et Y. Liu, 2022, « Supply chains and port congestion around the world », IMF working paper 2022/059. cargos transportant des produits manufacturés et ont exclu de l’analyse les bateaux de loisir et les cargos transportant des matières premières. Ils ont aussi exclu les bateaux dont le point de départ et le point d’arrivée sont dans le même pays pour bien se focaliser sur les relations commerciales internationales.
Les résultats sont clairs : les temps de transport maritime de marchandises (qui incluent la navigation entre le port de départ et le port d’arrivée, l’attente pour entrer dans le port et le chargement/déchargement des marchandises) ont augmenté dès le début de la crise Covid, avec une accélération marquée fin 2020, du fait de la congestion des ports.
Fin 2021, les temps de trajet étaient en moyenne 25% plus longs par rapport à avant la pandémie,dont deux tiers proviendraient de l’attente pour entrer dans le port et un tiers pour le chargement/déchargement des marchandises.
C’est un peu comme si les distances étaient plus importantes, ce qui génère des coûts supplémentaires. Les auteurs de cette étude ont cherché à savoir ce que cela représentait économiquement : ils estiment que ce surplus de temps de transport est équivalent à une hausse des droits de douane moyens au niveau mondial allant de 0,9 à 3,1 points de pourcentage selon les modèles. Si on prend le milieu de cette fourchette, la hausse des temps de trajet serait donc équivalente à une hausse des droits de douane moyens de 2 points de pourcentage… ce qui correspond à la baisse des droits de douane moyens appliqués au niveau mondial entre 2003 et 2017. Au final, c’est comme si cet allongement de temps de transport maritime effaçait 14 ans de baisse des droits de douane, et donc pour ainsi dire de mondialisation.
Un autre point intéressant est que même si la congestion des ports a été visible à de nombreux endroits du monde, il y a de grandes différences entre les pays, les Etats-Unis et la Chine étant les plus touchés par la persistance de l’allongement des temps de transport, les volumes de biens échangés entre ces deux pays ayant fortement augmenté lors de la crise Covid.
Un fort impact sur l’inflation
Dans le deuxième document de travail3, d’autres économistes du FMI se sont cette fois focalisés sur l’impact de la hausse du coût du fret maritime sur l’inflation. Leur point de départ est le fait que ces coûts de fret maritime ont justement fortement augmenté depuis le début de l’épidémie de Covid : en octobre 2021, le coût du transport maritime de containers était en hausse de plus de 500% par rapport à avant l’épidémie (et de plus de 200% pour le transport de matières premières brutes). Selon eux, deux facteurs expliquent cette hausse :
- la forte augmentation de la demande de produits intermédiaires liée à la plus forte activité manufacturière,
- le fait que les capacités de fret ont été contraintes par les difficultés logistiques évoquées plus haut et des pénuries d’équipement associées aux containers. Il y a par exemple le fait que les retards de livraison peuvent occasionner le paiement de pénalités.
Ici, les auteurs de l’étude ont cherché à déterminer l’impact sur les prix à la consommation, qui est forcément non négligeable quand on sait que les importations de biens représentent en moyenne près de 40 % du PIB. Ces chercheurs ont travaillé sur un échantillon de 46 pays entre février 1992 et décembre 2021 et ont mesuré comment une hausse des coûts de fret maritime impactait l’inflation domestique toutes choses égales par ailleurs. Leur conclusion est qu’une hausse d’un écart-type des coûts de fret (soit une augmentation de 21,8 %) augmente l’inflation de 0,15 point de pourcentage au bout de 12 mois4. Un autre résultat intéressant montre que l’effet se dissipe un peu sur les 6 mois suivants mais ne disparait pas complètement. Les auteurs notent par ailleurs que les effets sont plus forts dans les pays émergents que dans les pays développés et qu’il y a un effet similaire sur l’inflation sous-jacente, même s’il est un peu moins fort que pour l’inflation totale.
Au final, la hausse de 500% des coûts du fret maritime observée pendant la crise Covid a vraisemblablement ajouté plusieurs points d’inflation dans les grandes zones.
Pour conclure, les perturbations du transport maritime sont très loin d’être anecdotiques et ont probablement des conséquences économiques bien plus fortes que ce que l’on pourrait penser au premier abord… C’est clairement un élément à prendre en compte pour bien comprendre l’accélération récente de l’inflation. D’ailleurs, les restrictions sanitaires récentes prises en Chine, et les perturbations induites en termes de transport maritime, vont donc indubitablement donner naissance à des pressions inflationnistes supplémentaires pour les Etats-Unis et l’Europe.
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