Les marchés des actions et des obligations sont soumis à une forte pression liée à une remontée des taux réels, une inflation toujours élevée et une dégradation des perspectives économiques. Aussi impressionnant que soit ce repli, nous ne voyons pas encore les signes avant-coureurs incitant à profiter des nombreuses opportunités qui apparaissent et préférons à ce titre rester défensifs.
Par Benjamin Melman, CIO Edmond de Rothschild Asset Management.
Pessimisme des investisseurs
Bien sûr, la stratégie défensive est devenue consensuelle et le consensus peut s’avérer dangereux. Les investisseurs sont très pessimistes selon les différentes enquêtes et leur positionnement serait prudent, ce qui constitue donc une bonne nouvelle pouvant nourrir des rebonds, encore faut-il les susciter durablement. Cette prudence ne se traduit que partiellement dans les valorisations des marchés actions, qui se sont bien dégonflées sans toutefois être devenues particulièrement attractives, notamment sur le marché leader américain.
Quant à celles des marchés obligataires, les rendements remontent enfin grâce à la remontée des taux et des spreads mais ces derniers pourraient s’écarter davantage en cas de récession. Autrement dit, les valorisations ne sont pas encore à des niveaux déclenchant l’achat sans une autre raison solide, à l’exception peut-être du marché chinois, à condition d’avoir un horizon d’investissement suffisamment long.
Les yeux rivés sur les Banques centrales
Les raisons motivant le maintien d’une stratégie défensive sont :
- le manque flagrant de visibilité sur les perspectives économiques
La persistance de la stratégie « zéro-Covid » en Chine et la retenue pour l’heure en matière de politiques de relance conduisent la croissance chinoise en eaux profondes. Bien sûr, la Chine pourrait faire évoluer sa politique sanitaire ou économique mais elle a déjà reçu les signaux nécessaires pour le faire et n’a pas pris ce chemin pour des raisons politiques.
En Europe, où la récession menace, le manque de visibilité s’accroît, l’approvisionnement énergétique étant à la merci des aléas géopolitiques, au regard notamment de la rupture de livraison de gaz russe à la Pologne et la Bulgarie.
Aux États-Unis, si la croissance demeure soutenue (la contraction du PIB au premier trimestre masquait une demande intérieure finale toujours forte), les perspectives restent troublées par l’incertitude liée au durcissement de la politique de la Réserve fédérale. Sans aucun doute, Jerome Powell milite pour un « soft landing » qui ramènera l’inflation à la cible mais il n’est ni certain qu’il arrive à éviter une récession ni qu’une réussite du premier objectif assure le deuxième. Ainsi, chaque zone est confrontée à ses problèmes et la visibilité demeure restreinte.
Certes, les marchés intègrent déjà un net ralentissement de l’économie mondiale mais comme les investisseurs ont besoin de supports qui ne sont actuellement pas au rendez-vous concernant les perspectives économiques, il est difficile de considérer que la dégradation est déjà intégrée.
- des banques centrales à l’encontre des conditions financières
Le quantitative tightening de la Réserve fédérale commencera dès le mois de juin. Les effets de cette politique sont encore mal maîtrisés étant donné qu’il n’y a eu qu’une seule expérience. Toutefois, rappelons que selon une étude de la Fed de Kansas City (The financial market effects of unwinding the Federal Reserve’s balance sheet, Janvier 2022), l’impact sur les conditions financières de cette politique ne s’est pas traduit lors de l’annonce mais lors de sa mise en place. Par extrapolation, on ne peut donc exclure que le phénomène se reproduise.
De façon plus anecdotique, la BCE va devoir probablement dévoiler davantage sa stratégie. La guerre en Ukraine a créé en Europe un choc sur la croissance dont l’impact est hétérogène selon le pays considéré. Ajoutons à cela la fin du quantitative easing en Europe et le programme de hausse de taux dont les dernières déclarations laissent à penser que la première pourrait commencer en juillet. Autrement dit, les spreads des pays périphériques, jusqu’ici bien rangés sous l’effet de liquidités, vont pouvoir retrouver des trajectoires différenciées. La BCE avait indiqué pouvoir mettre en œuvre un dispositif destiné à contenir les spreads si nécessaire, sans en préciser les contours. Depuis avril, le spread BTP-Bund a grimpé d’une cinquantaine de points de base sans la moindre nouvelle spécifique concernant l’Italie. Il n’est pas impossible que le marché teste la BCE. Tant qu’elle n’a pas expliqué comment durcir les condition financières tout en limitant les effets sur les spreads périphériques, il y a un risque d’amplification du durcissement de ces conditions financières.
Dans ce contexte, nous avons réduit nos expositions aux actions japonaises. En revanche, même si nous restons prudents sur la duration, nous avons remonté le score des obligations gouvernementales américaines (en préférant les maturités courtes et intermédiaires). Nous trouvons que le marché anticipe beaucoup de hausses de taux alors que la Réserve fédérale semble vouloir envisager une pause une fois le taux « neutre » atteint. Ce dernier se situe selon Jerome Powell entre 2% et 3%, une fourchette large mais les marchés anticipent des fed funds allant au-delà.