Sylvie MALECOT
Président de Millenium I-Research
« Les maîtres des eaux et forêts enquerront et visiteront toutes les forez et bois et feront les ventes qui y sont, en regard de ce que lesdites forez se puissent perpétuellement soustenir en bon estat. »
Philippe VI de Valois – Ordonnance de Brunoy – 29 Mai 1346
La Commission Européenne multiplie depuis quelques mois consultations et actions législatives sur la finance verte.
Première mesure emblématique qui a donné le ton, l’exécutif européen veut définir une typologie des actifs verts… avec le risque de concentrer les investissements sur des poches limitées d’actifs et de créer mécaniquement des bulles financières.
Plus encore, la Commission souhaite contraindre investisseurs institutionnels et gérants d’actifs à directement prendre en compte les questions climatiques dans l’évaluation du risque des investissements. En filigrane des Directives MIFID 2 et PRIIPS, les intermédiaires pourraient être contraints à terme de prendre en compte les attentes écologiques d’un client, auquel ils fournissent un conseil. Une consultation équivalente a été lancée par l’EIOPA auprès des assureurs, pour intégrer enjeux écologiques et climatiques dans la gestion des Unités de Compte, voire des fonds en euros. Si l’intention est louable, , on voit que la mise en œuvre opérationnelle se révèle délicate.
En France, les investisseurs institutionnels s’intéressent de longue date sur les problématiques et engagements de finance responsable.
L’Investissement Socialement Responsable (ISR) est présent depuis plus d’une décennie dans les portefeuilles. Nombre d’institutions se sont engagées formellement en signant les six PRI des Nations Unies– Principles for Responsible Investment, qui ont posé le cadre, en phase avec leur vocation d’investisseur de long terme : « We believe that an economically efficient, sustainable global financial system is a necessity for long-term value creation. Such a system will reward long-term, responsible investment and benefit the environment and society as a whole.” Le reporting induit à l’adhésion aux PRI s’est d’ailleurs enrichi ces dernières semaines, puisque certains indicateurs de risque climatique seront obligatoires dans les rapports des signataires à compter de 2020.
Sur la réduction des gaz à effet de serre, les grands institutionnels français ont adhéré, aux côtés de fonds de pension, de fondations et de leurs homologues européens et nord-américains, au Montreal Carbon Pledge, qui acte la nécessité de mesurer l’empreinte carbone des portefeuilles, et de construire le chemin pour l’améliorer. L’engouement pour les actifs immobiliers à Haute Qualité Environnementale, et pour les Green Bonds est une application concrète de l’engagement dans les portefeuilles.
Mais une prise de conscience plus large s’installe. Accroître la part d’investissements responsables dans le portefeuille année après année relève désormais d’une conviction managériale.
C’est d’autant plus efficient dans un portefeuille institutionnel que la gestion est basiquement « buy-and-hold ». De fait, avec une duration moyenne proche de 7 ans, et en situation de flux entrants positifs, le renouvellement annuel des titres en portefeuille est de l’ordre de 15%. L’incarnation de la politique de développement durable se traduit alors par la fraction de nouveaux investissements affectées à la finance responsable, et plus encore par la pente de croissance des actifs ESG année après année.
La difficulté est que la notion d’ESG est diffuse, et relève d’un corpus de valeurs propre à chaque institutionnel. L’ISR n’est plus un critère relevant, le principe ayant été par trop galvaudé. L’ESG est muti—dimensionnel : climat, eau, recyclage pour le E, éducation, santé, intergénérationnel, politique sociale des entreprises pour le S, politique actionnariale et gestion managériale pour le G. C’est sur le critère de gouvernance que les choses évoluent le plus vite, par la généralisation de best practices : de fait, de manière mécanique, elle s’améliore.
Dès lors, la question centrale se porte sur la manière d’influer sur le portefeuille existant. Les moyens sont multiples.
L’exclusion a été la première voie explorée : la sortie de valeurs liées au tabac ou à l’armement non conventionnel est un premier pas, en acceptant de se priver du rendement attractif de ces titres.
La sortie des valeurs charbon et la décarbonation des portefeuilles (à savoir la réduction de l’empreinte carbone globale du portefeuille) est une seconde étape. Pour être efficace, il est important de programmer la trajectoire à cinq ans de réduction de l’empreinte carbone. La qualité des données impactera la fiabilité des calculs et la robustesse du modèle retenu. Le chemin, avec une permanence de la méthode, importe au moins autant que le calcul à l’instant T. Même si pouvoirs publics et régulateurs internationaux ne sont toujours pas parvenus à une définition commune et reconnue du prix tutélaire du carbone.
Le chantier qui s’ouvre désormais est celui de l’accompagnement des entreprises sur lesquelles on est investi, via actions ou dettes. L’objectif final d’une planète plus verte est acté, même si tous ne s’accordent pas sur l’horizon. Le défi réside dans la transition.
Si l’on acte du fait qu’on continuera à détenir des valeurs industrielles, qui produisent des voitures, du ciment, des pneumatiques, des produits chimiques, … l’objectif est d’encourager et de faciliter des processus de fabrication moins polluants, moins consommateurs d’énergie ou d’eau, des capacités et des moyens de recyclage intelligents.
Les sociétés elles-mêmes consacrent une part croissante de leur recherche-développement à ces questions. Citons quelques exemples.
La réduction de consommation d’eau par verre produit par Essilor est de 40% depuis dix ans.
Saint-Gobain réalise un quart de son chiffre d‘affaires sur son pôle « Matériaux Innovants » et fait partie des 100 entreprises « champions du prix du carbone » de Caring for Climate, une initiative lancée par le Pacte Mondial. À cet effet, dès janvier 2016, un prix interne du carbone a été mis en place dans l’ensemble des Activités du Groupe pour aider au pilotage des actions de réduction des émissions de CO2 portant sur les investissements et les projets de R & D.
Unibail-Rodamco s’engage pour réduire de façon significative d’ici 2030 sur un périmètre élargi son empreinte carbone liée à la construction, d’une part en réduisant de -35% son empreinte carbone sur la construction de nouveaux projets de développement, et d’autre part en abaissant de 70% les émissions carbone liées aux énergies consommées dans le cadre de l’exploitation des bâtiments. Cette baisse très significative s’appuie simultanément sur deux leviers : l’accélération des réductions de consommation énergétique, et la transition rapide vers des énergies moins ou non carbonées.
Le travail d’accompagnement des institutionnels est essentiel, en soutenant les progrès accomplis et les engagements pris. On ne peut plus faire l’économie de mesures quantitatives, qui traduisent les exigences et permettent la comparabilité.
L’investissement socialement responsable n’est plus une classe d’actifs à part, fraction définie du portefeuille, qui souvent se situait entre 5% et 10% du portefeuille. C’est désormais une composante transversale de l’ensemble des investissements, sur toutes les classes d’actifs, et même dans une dimension ALM. Les investissements sur l’environnement sont un moyen de prévention de potentielles catastrophes naturelles : ce sont donc des coûts futurs évités pour les assureurs-dommages. Les investissements liés à la télémédecine, en Haute Sécurité Santé (HS2) d’aujourd’hui préviennent le développement de maladies futures et de coûts élevés en santé et en dépendance.
La durabilité trouve ainsi durablement toute sa légitimité, puisque, sur la base de l’intégration de critères extra-financiers, elle contribue à l’amélioration de paramètres financiers, et se traduit comptablement par une solvabilité accrue de l’investisseur.