La crise mondiale provoquée par la pandémie du coronavirus sera profonde, sans commune mesure avec celle de 2008, estime Dominique Strauss-Kahn. Dans ce contexte, la zone euro, notamment sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, est peut-être en train d’accomplir sa mue tant attendue en faisant un pas vers la mutualisation des dettes et la constitution de ressources propres. Une sortie de crise par le haut, qu’il détaille dans cet entretien exclusif, et dans un long texte.
Les économistes ne semblent pas tous d’accord sur l’ampleur de la crise économique qui va suivre l’épidémie de Covid-19. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?
Dominique Strauss-Kahn : La crise qui s’annonce sera très profonde. Les derniers indicateurs fournis par la plupart des instituts économiques du monde le prouvent.Les dégâts seront bien pires qu’en 2008, où le problème à résoudre était essentiellement financier. Cette fois, c’est le système de production qui a été bloqué à l’échelle de la planète. C’est inédit. Devant un tel choc, les mesures à prendre sont par nature exceptionnelles. En 2008, nous nous en étions sortis dès lors que le G20 avait accepté les mesures de relance préconisées par le FMI, à savoir l’équivalent de 2 % du PIB mondial. Ce ne serait pas suffisant dans le contexte d’aujourd’hui.
DSK estime qu’on «assiste à un coma organisé et à un délitement subi, mais sans doute durable, des chaînes d’approvisionnement» provoqués par l’épidémie et les mesures confinement, il souligne que l’action des grandes banques centrales (en plus de celle des gouvernements) pour éviter un affaissement de la demande «n’atteindra que par ricochet les économies émergentes» pour lesquelles il est particulièrement inquiet.
Il est indispensable que le Fonds monétaire international (FMI) utilise ses droits de tirage spéciaux (DTS), sorte de monnaie créée par le FMI pour soutenir des États, afin d’atténuer les effets de la crise du Covid-19, estime son ancien secrétaire général Dominique Strauss-Khan (DSK). «Allègement des dettes des pays à bas revenus et émission massive de DTS sont aujourd’hui un passage obligé pour contribuer à éviter une catastrophe économique»
«En revanche, il est possible d’utiliser un mécanisme qui a déjà fait preuve de son efficacité dans la crise financière mondiale: les Droits de tirage spéciaux du FMI. Rien n’empêche de les réactiver; rien, sauf l’allergie américaine à tout ce qui ressemble à une action multilatérale, allergie que la tiédeur des Européens n’aide pas à contrebalancer», juge l’ancien secrétaire général de 2007 à 2011, reconverti dans le conseil.
Qu’en sera-t-il lorsque, poussés par l’effondrement de leurs économies nationales, ils seront des millions [e migrants] à tenter de forcer le passage?Dominique Strauss-Kahn
Dans les pays dépendant de leurs exportations de matières premières ou de la manne touristique, l’effondrement économique «risque de replonger des millions de personnes de la ‘classe moyenne émergente’ vers l’extrême pauvreté. Or, plus de pauvreté, c’est aussi plus de morts». DSK anticipe également un déferlement migratoire vers l’Europe. «Avant la crise actuelle, l’Europe avait déjà le plus grand mal à gérer l’afflux de quelques centaines de milliers de migrants se pressant à ses portes. Qu’en sera-t-il lorsque, poussés par l’effondrement de leurs économies nationales, ils seront des millions à tenter de forcer le passage»?