Aramco, la grande compagnie pétrolière nationalisée de l’Arabie Saoudite, est à court d’argent et emprunte désormais des milliards de dollars pour payer les dividendes promis à ses actionnaires. Les dividendes sont normalement le moyen de partager les profits d’une entreprise. Cependant, Aramco ne cesse de l’argent depuis le début d’année 2020. De plus, elle est liée par un engagement à verser 75 milliards de dollars par année en dividendes.
“Les données disponibles donnent un ordre de grandeur”
Le montant exact de l’emprunt n’est pas public, mais les données disponibles donnent un ordre de grandeur. Pour les deux premiers trimestres de 2020, le flux de trésorerie disponible d’Aramco s’est élevé à 21,1 milliards de dollars. Ce montant ne couvre que 63 % 37,5 milliards de dollars promis en dividendes pour cette période, sans parler des autres investissements prévus. Aramco a mis sur la glace plusieurs projets importants, dont une usine pétrochimique en Arabie et un terminal méthanier au Texas, ce qui tend à confirmer qu’elle rencontre des problèmes de trésorerie.
Dans le passé, la manne pétrolière apportait pourtant des revenus prodigieux à l’Arabie saoudite. Comment en est-on arrivé là? L’histoire du dividende garanti remonte à janvier 2016, lorsque le souverain saoudien, Mohammed ben Salmane, annonce qu’il vendra 5 % des actions d’Aramco au public. Cette vente partielle de l’entreprise nationalisée doit rapporter 100 milliards de dollars et permettre au pays de financer d’importantes réformes économiques et sociales.
Mais les investisseurs internationaux ne se montrent pas intéressés. La guerre du pétrole avec la Russie plombe les revenus de l’entreprise, dont le manque de transparence et d’efficacité fait également fuir les capitaux. Lorsque les actions sont finalement mises en circulation, le 11 décembre 2019, seulement 1,5 million d’entre elles a trouvé preneur, ne rapportant que 26 milliards de dollars. De plus, la plupart ont été achetées par des Saoudiens : la propriété étrangère d’Aramco n’atteint que… 0,19 %. Pour en arriver à ce maigre résultat, Aramco s’est engagé à payer au moins 18,5 milliards de dollars par trimestre en dividendes.
Des investisseurs méfiants
La méfiance des investisseurs s’explique en partie par la controverse entourant les réserves pétrolières de l’Arabie. Aramco a estimé sa réserve pétrolière entre 260 et 270 milliards de barils en 1990 et celle-ci n’a pas évoluée depuis. Ces données sont invérifiables, car l’Arabie tient secrètes les données sur les puits et la production depuis 1982. On sait toutefois que le pays a extrait 132 milliards de barils depuis trente ans et que le pays a annoncé peu de découvertes importantes. L’agence de renseignement pétrolier Rystad évalue les réserves réelles à 163 milliards de barils. Cependant une chose est sûr, il n’est pas facile d’évaluer la valeur d’une entreprise pétrolière lorsque tant d’incertitude entoure ses réserves.
Mais il y a pire. Selon le journaliste et écrivain Simon Watkins, spécialiste des enjeux pétroliers, les revenus d’Aramco ne correspondent tout simplement pas à son niveau d’activité. Les états financiers de l’entreprise montrent qu’elle a des bénéfices comparables à ceux de la pétrolière Shell. Toutefois, Aramco pompe quatre fois plus de pétrole que Shell à profit égal, même si l’exploitation des puits d’Aramco ne coûte que quatre dollars par baril, contre 20 dollars pour ceux de Shell. D’où vient la différence? La bureaucratie de la firme saoudienne est notoirement lourde et redondante. Mais l’État saoudien s’en sert aussi pour financer divers grands projets d’intérêt public, qui siphonnent les fonds sans apporter de bénéfice à Aramco.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les investisseurs se soient montrés méfiants, en dépit des promesses de dividendes garantis. En conséquence, Aramco se trouve en situation plus précaire que jamais : revenus pétroliers à la baisse en raison de la crise, projets de développement à l’arrêt et endettement croissant pour payer des dividendes sur un premier appel public à l’épargne raté. Elle est bien loin, l’époque où vendre du pétrole revenait presque à imprimer de l’argent!