Si l’ impératif de confinement est maintenu, c’est l’ économie chinoise qui va se retrouver en quarantaine.
De nombreux chefs d’entreprise redoutent la faillite. Jia Guolong, patron de Xibei, une chaîne qui compte 400 restaurants en Chine, a alerté dans la presse chinoise : si la crise dure, il pourrait mettre la clé sous la porte d’ici trois mois. L’entreprise emploie 20 000 salariés dans 60 villes de Chine. Avec 150 millions de yuans de dépenses par mois et aucune recette ou presque, les rares enseignes ouvertes ne proposent que des plats à emporter, le groupe ne peut tenir longtemps.
A chaque jour qui passe, l’inquiétude augmente. Alors que le bilan de l’épidémie du coronavirus, avec au moins 20 438 personnes contaminées en Chine continentale et 425 décès, a dépassé celui du SRAS en 2002 et 2003, les fermetures d’usines et les mesures de confinement paralysent un peu plus la deuxième économie de la planète au risque de ralentir la croissance mondiale. La Bourse de Shanghaï était sur le point de clôturer en légère hausse mardi 4 février, après avoir dévissé de 7,7 % la veille malgré l’annonce par la banque centrale chinoise d’injecter 157 milliards d’euros de liquidités. Le cabinet Oxford Economics a abaissé lundi sa prévision de croissance chinoise à 4 % au premier trimestre 2020, contre 6 % prévus initialement. Il table désormais sur une croissance à 5,4 % pour l’ensemble de l’année 2020, loin des 6,1 % enregistrés en 2019.
Sur Weibo, Sun Dawu, patron d’un des principaux groupes agricoles de Chine, déjà durement frappé par la crise porcine en 2019, accuse, lui aussi, le coup : « Les blocages des routes et des villes dans tout le pays déstabilisent l’industrie de l’élevage. » Sa société qui produit des œufs, des poussins et des plats cuisinés ne peut pas les livrer à cause des barrages routiers. « Si les poussins ne sont pas livrés aux fermes à temps, après l’éclosion, la plupart vont mourir de faim. Et un grand nombre de poulets vont aussi devoir être tués et cela va affecter la production », s’alarme-t-il.
L’impact sur l’économie, qui dépend du rythme de propagation du virus et de son traitement, est toutefois difficile à prévoir. Pour l’instant, vingt-quatre provinces chinoises ont décidé d’allonger les congés du Nouvel An jusqu’au 9 février inclus. Ensemble, elles représentent 80 % du PIB chinois et 90 % des exportations du pays.
Les manques à gagner seront difficilement compensés : dans des secteurs du transport aérien ou des loisirs, les consommateurs reportent rarement leurs achats. « Le secteur des services sera le plus impacté », estime Julien Marcilly, chef économiste de Coface. Plusieurs enseignes comme Apple, Starbucks ou encore Ikea, ont annoncé la fermeture temporaire de leurs magasins. Une dizaine de compagnies aériennes ont suspendu pour plusieurs semaines leurs vols vers la Chine, dont l’allemande Lufthansa qui a annoncé lundi que les siens ne reprendront pas avant le 28 février. « Tous mes investisseurs étrangers ont annulé leurs voyages en Chine », se désole Deng Yubao, le patron d’une entreprise de 150 personnes installée dans la zone économique spéciale du port de Shanghaï.
Dans une économie chinoise en plein ralentissement, qui a connu, en 2019, la pire performance de ces trente dernières, certains secteurs industriels comme celui de l’automobile, en surcapacité, devraient être moins touchés par la fermeture d’usines. A Wuhan, Nissan a annoncé, mardi, un report de la reprise de sa production, « après le 14 février ». En revanche, la suspension de leur activité risque de perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales dont la Chine est devenue l’épicentre, comme en témoigne la dégringolade boursière, lundi, du sous-traitant électronique, et important fournisseur d’Apple, Foxconn. Le géant taïwanais, qui a annoncé qu’il ne redémarrerait pas ses usines chinoises avant la mi-février, a vu son cours boursier s’effondrer de 10 %.
Dans le Henan, Chu Weixiang, propriétaire d’un petit élevage de pigeons, pourra continuer à les alimenter grâce à la production de grain locale, mais ne peut plus vendre. « Les marchés sont fermés, les routes bloquées, et j’ai peur que les marchés aux volailles restent fermés plus longtemps [l’épidémie a été associée aux animaux vivants], s’inquiète l’éleveur, et quand ça rouvrira, les prix seront au plus bas. »
Seule certitude pour l’ensemble des observateurs, l’impact sera au moins aussi important que celui de l’épidémie de SRAS. En 2003, l’économie chinoise avait vite rebondi et la production industrielle avait compensé en grande partie les pertes enregistrées pendant l’épidémie. Dix-sept ans plus tard, la demande intérieure est devenue le nouveau moteur de l’économie chinoise or l’épidémie tombe au pire moment : en plein Nouvel An lunaire, une période où les Chinois consomment et voyagent plus qu’à l’accoutumée.
Le cabinet Euler Hermès note que les secteurs du textile et de l’informatique-électronique, dont la Chine contribue à hauteur de 19 % et 17 % de la valeur ajoutée mondiale, seront particulièrement touchés. « Etant donné le niveau relativement bas des inventaires dans le secteur de l’électronique, des pénuries sont possibles », ajoute le cabinet dans une note publiée lundi 3 février.
Pour alléger le fardeau des entreprises, les autorités ont d’ores et déjà annoncé des mesures d’aides, invitant les banques à donner du temps aux entreprises en difficulté pour rembourser leurs emprunts. La municipalité de Shanghaï a, pour sa part, annoncé que certaines cotisations patronales seraient remboursées, et d’autres paiements pourraient être échelonnés.
« Le scénario le plus probable aujourd’hui est celui d’un choc temporaire », relativise toutefois Isabelle Mateos y Lago, la directrice adjointe du BlackRock’s Official Institutions Group, qui souligne la capacité du pays à relancer son économie. « La puissance économique de la Chine et sa capacité à répondre aux crises sont significativement supérieures à celles de 2003 », juge Lian Weiland, le responsable adjoint de la Commission chinoise pour la réforme et le développement, ajoutant que les secteurs et entreprises touchées par l’épidémie recevraient le soutien de l’Etat.
Le cabinet Oxford Economics a ainsi abaissé de 0,2 point de pourcentage ses prévisions de croissance dans la zone euro et de 0,25 point dans le monde. Des estimations qui restent provisoires et vont dépendre de la durée de l’épidémie et de sa progression. Avec la montée en puissance de la Chine dans l’économie mondiale, les effets de l’épidémie du coronavirus seront planétaires. La banque Goldman Sachs estime qu’elle diminuera la croissance américaine de 0,4 à 0,5 point de pourcentage au premier trimestre. Le ralentissement de l’activité chinoise affecte également le cours des matières premières, avec une baisse des prix du pétrole de 15 % enregistrée en janvier.
Enfin le nombre de touristes chinois à l’étranger, le plus élevé du monde, va chuter avec la suspension par Pékin des voyages organisés hors de Chine. Cette baisse des visites va entraîner une réduction des dépenses dans le secteur du luxe en France et au Japon, et freiner l’activité touristique surtout en Asie.