La Commission européenne a publié son acte délégué final sur l’ajout de l’eeesur l’ajout de l’énergie nucléaire et du gaz à la taxonomie de l’UE.Par Michael Oblin, analyste obligataire, et Gerrit Dubois, spécialiste de l’investissement responsale chez DPAM.
Une intégration qui fait débat ?
Les activités nucléaires susceptibles d’être incluses dans la taxonomie de l’UE sont les suivantes :
- Les nouvelles centrales nucléaires de production d’électricité ayant un permis de construire avant 2045
- Les modifications et les mises à niveau des centrales nucléaires existantes (c’est-à-dire l’extension de leur durée de vie) qui seront approuvées jusqu’en 2040
- Les activités liées à la recherche et à l’innovation en matière de normes de sécurité et de réduction des déchets
Les activités gazières qui pourraient être incluses dans la taxonomie de l’UE sont les suivantes :
- La production d’électricité ou la cogénération de chaleur/froid à partir de combustibles fossiles gazeux
- Les activités ayant obtenu un permis de construire avant 2030 seront incluses si les émissions directes sont inférieures à 270 grammes de CO2/kWh. Si ces activités sont destinées à la production d’électricité, elles seront incluses à condition que les émissions annuelles directes de gaz à effet de serre (GES) ne dépassent pas une moyenne de 550 kg CO2/kW sur 20 ans. A noter qu’après 2030, un seuil plus strict de 100 g CO2/kWh sera appliqué.
- Ces activités doivent remplacer une installation utilisant des combustibles fossiles solides ou liquides et préparer la transition vers des installations renouvelables ou bas carbone d’ici 2035. En outre, elles devront également être soumises à des contrôles de conformité réguliers.
Le principal argument utilisé par la Commission pour inclure ces activités dans la taxonomie est qu’elles favorisent un approvisionnement global stable en énergie qui permet de compenser l’intermittence des technologies renouvelables actuelles. En ce qui concerne la compatibilité du nucléaire avec l’exigence de “ne pas causer de préjudice important”, la Commission européenne a fondé sa proposition sur l’argument du Centre commun de recherche selon lequel les technologies existantes peuvent remédier aux impacts négatifs importants de l’énergie nucléaire à des coûts raisonnables.
Comment devons-nous comprendre ces critères ?
Les scénarios compatibles avec une hausse maximale de +1,5°C demandés par l’Agence internationale de l’énergie et l’UE soulignent que la demande pour le gaz doit diminuer après 2030. Les critères de sélection techniques abordent indirectement cette question en demandant aux opérateurs gaziers de démontrer que leurs installations sont techniquement équipées pour passer progressivement à des gaz renouvelables et à faible teneur en carbone. Cela permet de s’assurer que ces actifs sont suffisamment flexibles pour intégrer les futures évolutions technologiques (comme l’utilisation d’hydrogène vert dans les centrales à gaz au lieu du gaz naturel [méthane]) et leur compatibilité avec l’objectif de neutralité carbone de l’UE. S’il est très ambitieux, le délai proposé pour achever la transition d’ici 2035 est nécessaire pour respecter l’objectif “zéro émission nette” de l’UE d’ici 2050.
Si l’on considère les technologies actuelles et que l’on exclut l’hydrogène, le biogaz ou encore la capture et le stockage du carbone, atteindre le seuil de 270 g de CO2/KWh s’avérera un véritable défi. Les centrales à turbine à gaz à cycle combiné les plus récentes ont une intensité carbone d’environ 333 g de CO2/kWh. Des gains d’efficacité sont possibles, mais ils resteront probablement marginaux et demanderont du temps. La capture et le stockage du carbone sont une option, mais certains problèmes techniques et liés aux coûts restent des défis majeurs qui demanderont également du temps pour être relevés. Ainsi, les centrales électriques au gaz devront peut-être envisager de mélanger les gaz classiques avec du biogaz ou de l'”hydrogène vert” (c’est-à-dire de l’hydrogène produit grâce à des énergies renouvelables) pour réduire leur intensité carbone sur le court terme.
En se référant à une moyenne de 550 kg de CO2/kW par an sur une période de 20 ans, les producteurs d’électricité européens disposent de plus de temps pour décarboniser leur production d’électricité. Leurs activités resteraient conformes à la taxonomie à condition qu’ils réduisent suffisamment leurs émissions à l’avenir et qu’ils s’engagent à passer à des gaz renouvelables ou à faible teneur en carbone (comme l’hydrogène) d’ici 2035. De fait, ce critère d’émission annuelle de <550 kg de CO2e/kW limite l’utilisation des centrales à gaz à un usage de pointe uniquement et semble insuffisant pour garantir la sécurité d’approvisionnement à moyen terme, du moins jusqu’à ce que des niveaux de mélange appropriés soient possibles.
Dans la logique de la Taxonomie européenne, les centrales au gaz ne sont pas censées remplacer les centrales nucléaires. La construction par la Belgique de nouvelles centrales à gaz pour remplacer les réacteurs nucléaires n’est donc pas conforme à la taxonomie européenne.
Les dépenses d’investissement (CapEx) dans les infrastructures associées au transport, au stockage et à la distribution du gaz naturel ne sont pas incluses dans la taxonomie de l’UE, sauf si ces CapEx servent à adapter ces infrastructures pour couvrir le transport ou la distribution d’hydrogène.
Les échéances de 2030 (gaz) et 2040-2045 (nucléaire) soulignent la nature transitoire de ces technologies aux yeux de l’UE.
Il reste encore plusieurs défis à relever comme développer à grande échelle des technologies gazières à faible émission de carbone (hydrogène vert, biogaz) et prouver que l’exploitation du gaz compense directement la production de charbon.
Les prochaines étapes
Le Parlement européen et le Conseil ont 4 mois pour examiner le document, et pourront bénéficier de 2 mois supplémentaires à leur demande. Ils peuvent s’opposer à la proposition mais ne peuvent pas la modifier. Une majorité qualifiée renforcée est requise pour s’opposer au Conseil (au moins 20 États membres représentant 65 % de la population de l’UE) et une majorité simple est requise pour s’y opposer au sein du Parlement européen. L’opposition à la proposition a été vive. Toutefois, vu le soutien des plus grands pays d’Europe et les seuils élevés pour faire passer une opposition, on peut s’attendre à ce que le document soit adopté. L’énergie nucléaire, en particulier, recevra probablement un soutien, en raison de la crise énergétique et du projet de l’UE de réduire sa dépendance au gaz russe. S’il n’y a pas d’objections, la loi entrera en vigueur le 1er janvier 2023.
Publications d’informations relatives à l’alignement des entreprises sur la taxonomie
À court terme, les entreprises se préparent à recueillir des données en vue de publications plus détaillées à l’avenir. Ces déclarations détaillées d’alignement sur la taxonomie deviendront obligatoires au cours des deux prochaines années. Cela permettra non seulement aux entreprises d’accroître la transparence, mais aussi aux investisseurs qui détiennent des titres dans des sociétés européennes de déclarer plus facilement leur propre alignement taxonomique. Cela est devenu obligatoire pour les entreprises proposant des fonds ayant des objectifs de durabilité en vertu du règlement de l’UE sur la divulgation des informations relatives au financement durable (SFDR).
Les investisseurs sont-ils prêts à allouer des capitaux à la production d’énergie nucléaire et gazière ?
Fondamentalement, la décision de la Commission européenne sur les activités gazières et nucléaires reflète les préoccupations croissantes concernant les problèmes d’approvisionnement énergétique causés par l’intermittence des énergies renouvelables. En outre, l’abandon progressif des centrales au charbon et de la production d’énergie nucléaire dans des pays comme l’Allemagne ajoute à la complexité de la situation. Ces problèmes risquent de perdurer jusqu’à ce que l’Europe déploie un ensemble d’énergies renouvelables beaucoup plus important, qu’elle perfectionne des technologies flexibles de production décarbonée (comme la production d’électricité à l’hydrogène vert), ou qu’elle développe des technologies de stockage et de dépollution du carbone à grande échelle.
Cependant, même si la taxonomie de l’UE inclut désormais la production d’électricité à partir du nucléaire et du gaz, il n’est pas encore certain que les investisseurs soient prêts à allouer des capitaux à ces industries.
Dans une enquête récente de Barclays[, environ 60 % des répondants ont déclaré qu’ils utilisaient activement la taxonomie lors de l’élaboration de leurs politiques d’investissement. Cependant, pour la plupart des investisseurs, il semble que l’inclusion de la production d’électricité nucléaire et au gaz dans la Taxonomie de l’UE (sous certaines conditions) n’ait eu aucun impact sur leurs politiques d’investissement. En effet, de nombreux investisseurs (principalement européens) semblent avoir déjà adopté une position ferme sur le nucléaire et le gaz. À cet égard, seuls 9 % des répondants ont répondu positivement à la question « L’inclusion du nucléaire et du gaz dans la taxonomie de l’UE a-t-elle modifié votre politique d’investissement ? ».
Cela peut s’expliquer en partie par le fait que de nombreux investisseurs estiment que les seuils d’éligibilité appliqués à la production d’électricité nucléaire et gazière dans le cadre de la Taxonomie sont trop peu contraignants. Cela dit, il est possible que de nombreux investisseurs aient répondu “peu contraignants” car ils auraient préféré que ces combustibles ne figurent pas du tout dans la taxonomie. Sur l’ensemble des répondants, 22 % ont des critères d’exclusion relatifs aux centrales électriques au gaz, ce qui suggère que la majorité des investisseurs considèrent que le gaz a un rôle important à jouer dans la transition énergétique (notamment en ce qui concerne l’élimination progressive du charbon).
Les critères d’exclusion concernant le nucléaire sont plus courants (30 % des répondants). Enfin, les obligations vertes finançant la production d’énergie nucléaire et au gaz ne sont pas nécessairement à proscrire pour tous les investisseurs : environ 45 % des répondants seraient prêts à acheter une obligation verte finançant des projets de production d’énergie au gaz, et 60 % des sondés souscriraient à des obligations vertes finançant des projets de production d’énergie nucléair