Le commerce international de biens et services est entré en 2019 dans un cycle de croissance basse. C’est la conclusion du dernier EH Global Trade Report publié par Euler Hermes. Dans cette étude, le leader mondial de l’assurance-crédit fait état des conséquences des tensions commerciales sino-américaines, et livre ses prévisions pour l’année 2020. Dans un contexte d’incertitude persistante, de remise en cause du multilatéralisme et d’émergence de la conscience environnementale et des nouvelles technologies, quel sera le visage du commerce mondial en 2020 ?
Malgré des tensions commerciales sino-américaines pesantes, la France tire son épingle du jeu
L’année 2019 marque l’entrée du commerce international dans un cycle de croissance basse. Selon Euler Hermes, les échanges commerciaux à l’échelle mondiale ne devrait croître que de +1,5% en volume cette année (+3,8% en 2018). En cause évidemment, les tensions commerciales sino-américaines qui ont plongé l’économie internationale dans l’incertitude, et ainsi entrainé une décélération de la demande mondiale, mais également des chocs spécifiques dans les secteurs de l’automobile et de l’électronique.
« Même si un premier accord est en bonne voie entre la Chine et les USA, le mal est déjà fait : depuis l’élection de Donald Trump, les taxes américaines sur les importations ont cru de +5 points en moyenne, ce qui les amène au même niveau qu’à la fin des années 1970. Ce retour en arrière a créé un fort choc d’incertitude qui a touché de nombreux pays, et s’est propagé à l’économie réelle, avec une croissance économique mondiale qui devrait ralentir à +2,5% en 2019 (+3,1% en 2018) », analyse Georges Dib, économiste chez Euler Hermes et co-auteur du rapport.
Le ralentissement de la croissance du commerce international a forcément laissé des traces sur les économies les plus ouvertes et exposées aux échanges internationaux. C’est notamment le cas de l’Allemagne, dont la croissance économique devrait être limitée à +0,6% en 2019. Les trade hubs asiatiques, dont la Corée du Sud, le Japon, Singapour et Hong-Kong, n’ont pas été épargnés.
La France, en revanche, fait partie des pays qui ont su tirer leur épingle du jeu en 2019. « Depuis le début de l’année, les entreprises françaises se sont substituées aux entreprises chinoises comme fournisseurs des entreprises américaines à hauteur de 3,8 Mds EUR et en parallèle, elles ont captées 1,4 Mds EUR de débouchés chinois. Cela s’explique en grande partie par la performance du secteur aéronautique », justifie Georges Dib.
Au total, les exportations françaises devraient croître de +16 Mds EUR en 2019. Un léger recul par rapport à 2018 (-2 Mds EUR), qui reste modéré au vu de la situation économique et commerciale internationale (Brexit, crise allemande, tensions commerciales mondiales). Le grand export est le débouché le plus porteur pour les exportateurs français, avec +10 Mds EUR à saisir en 2019.
En 2020, pas d’accélération notable du commerce mondial à prévoir
L’année 2020 ne devrait être guère plus porteuse pour le commerce international de biens et services, qui il devrait croître que de +1,7% en volume selon Euler Hermes. Un cycle de croissance basse s’amorce.
« Nous pensons que l’incertitude commerciale persistera en 2020, car l’administration américaine en place est imprévisible et fait du commerce extérieur un argument électoral en vue des prochaines présidentielles. Face à cette situation, les agents économiques devraient à nouveau se montrer prudents l’année prochaine : nous estimons que la demande et les investissements internationaux n’accéléreront pas, et que la croissance économique mondiale ralentira encore (+2,4%). D’où une nouvelle année de faible croissance des échanges commerciaux internationaux », développe Alexis Garatti, Directeur de la recherche macroéconomique chez Euler Hermes.
L’optimisme pourrait être de rigueur après l’accord signé entre la Chine et les Etats-Unis, mais ces derniers ont décidé de reporter leur attention sur l’Union Européenne. En effet, il y a quelques semaines, une hausse des taxes américaines sur les importations en provenance d’UE a été mise en place par l’administration américaine. Parmi les pays les plus touchés par cette décision, on retrouve le Royaume-Uni, pour qui le manque à gagner à l’export sera de -1,3 Md EUR, l’Allemagne (-0,8 Md EUR) et l’Espagne (-0,4 Md EUR). La France sera le deuxième pays le plus affecté, avec un manque à gagner à l’export de -1 Md EUR, particulièrement pour les producteurs de vins et le secteur aéronautique.Manque à gagner à l’export suite à la hausse des taxes américainessur les importations en provenance d’UEen milliards d’eurosRoyaume-UniFranceAllemagneEspagne0
Les États-Unis et la Chine devraient encore bénéficier de gains à l’exportation en 2020 (+78 Mds EUR et +81 Mds EUR respectivement). Cependant, leur querelle commerciale a fait des ravages : la demande additionnelle à l’export adressée à la Chine et aux Etats-Unis représentera l’an prochain environ la moitié de celle de 2018. Les autres gagnants sont le Canada (gains à l’export de +31 Mds EUR en 2020), le Royaume-Uni (+23 Mds EUR) ou les Pays-Bas (+19 Mds EUR). Les principaux perdants de 2020 pourraient être l’Inde (-4,5 Mds EUR), l’Afrique du Sud et la Suède (-3,6Mds EUR chacun).Gains (et pertes) à l’export en 2020en milliards d’eurosIndeAfrique du SudPays-BasCanadaEtats-UnisChine050100
En France, l’année 2020 sera moins porteuse pour les exportateurs, avec une demande externe additionnelle à saisir de seulement +10 Mds EUR (-6 Mds EUR par rapport à 2019). Entre les taxes américaines, le Brexit et la faible croissance économique en zone euro, les débouchés externes additionnels seront moins nombreux l’année prochaine pour nos exportateurs. Les Etats-Unis resteront, malgré tout, le principal marché à opportunité, avec +1 Md EUR à saisir en 2020. Suivent l’Espagne (+0,9 Md EUR) et la Chine (+0,8 Md EUR). Les équipements de transport, la chimie et la joaillerie seront les secteurs qui bénéficieront le plus du surplus de demande externe en 2020.Principaux marchés à l’export en France en 2020Demande externe additionnelle en milliards d’eurosChineEspagneEtats-Unis00.51
Vers un nouveau modèle de commerce international ?
Dans ce cycle baissier du commerce international, le visage des échanges commerciaux pourrait bien varier, et à trois égards.
(i) Le bilatéralisme en pleine ascension
Le multilatéralisme subit actuellement une vague de défiance de la part de nombreux pays. Cette tendance est visible tant par la remise en cause des traités existants (renégociation de l’ALENA, Brexit) que par l’émergence de nouveaux accords commerciaux bilatéraux (USA-Chine, USA-Japon, …). Le rythme de croissance du nombre d’accords commerciaux régionaux est en effet à un niveau historiquement faible : +0,7% en 2019 seulement par rapport à l’année précédente contre +4,4% en 2016 et +12,4% en 2006.
« Sous l’impulsion de la Chine et des Etats-Unis, le bilatéralisme gagne du terrain. Entre 2017 et 2019, on a observé la signature de trois fois moins de grands accords régionaux qu’entre 2015 et 2017. Certes, cela offre plus de flexibilité aux signataires, puisque ces accords sont plus faciles à mettre en place et à rompre. Mais c’est justement cette flexibilité qui ajoute de l’incertitude au commerce international. D’autant que le bilatéralisme profite souvent aux pays les plus puissants », prévient Alexis Garatti.
(ii) Un protectionnisme environnemental émerge
A moyen terme, les nouvelles règles du jeu du commerce durable pourraient changer la donne du commerce mondial. Premièrement, la réglementation du transport commercial : des limitations plus strictes de la vitesse des navires permettraient d’économiser des coûts, mais le besoin de nouveaux équipements pourrait exercer une pression sur les entreprises de transport déjà très endettées.
Deuxièmement, la réglementation sur les émissions de carbone des produits échangés. Et si les pays et organisations commerciales décidaient d’infliger des pénalités à leurs partenaires commerciaux qui ne respectent pas l’environnement ? Selon les calculs d’Euler Hermes, si l’UE augmente ses taxes à l’import d’un point pour les entreprises ne respectant pas ses normes environnementales, les exportations vers l’UE reculeraient de -7 Mds EUR. Dans le même temps, cette taxe pourrait renforcer la compétitivité des entreprises de l’UE, tout en augmentant la demande de produits de substitution respectueux de l’environnement.
« Un protectionnisme environnemental émerge, et il va jouer un rôle de plus en plus important dans le commerce international et la répartition des flux commerciaux. Par exemple, lors des discussions menées avec le MERCOSUR, l’UE a fait du respect de l’Accord de Paris une condition de négociation sine qua non », illustre Georges Dib.
(iii) Le développement technologique, vecteur de concentration des chaînes de valeur
De nombreuses innovations technologiques, portées par les entreprises de la trade tech, pourraient bouleverser la façon dont les entreprises échangent dans le monde. Le développement des plateformes de commerce en ligne, qui facilitent l’accès à un marché pour les exportateurs, et l’émergence de la blockchain, qui réduit le coût d’une transaction tout en la sécurisant, sont de nature à intensifier le développement du commerce international, car elles le rendent plus sûr et plus accessible aux entreprises.
Toutefois, le développement technologique peut également représenter un frein aux échanges commerciaux entre pays et poser de nouveaux défis. La généralisation de la 5G à l’internet des objets devient un enjeu géopolitique et sécuritaire important tant le risque de cyberattaques augmente. Les savoirs faire composant les chaines de la valeur pourraient être regroupés au profit d’une production internationale moins éclatée, et plus concentrée. Pour prendre un exemple concret, une pièce produite au Vietnam et entrant dans la composition d’un smartphone coréen pourrait désormais être produite directement en Corée du Sud grâce à une imprimante 3D. Certains pays sous-traitant seraient ainsi exclus de la chaîne de valeur internationale, et les échanges commerciaux entre pays ralentiraient à nouveau.
« Néanmoins, de plus faibles échanges ne seraient pas forcément négatifs pour tout le monde : plus les chaînes de valeur sont courtes, et plus les risques opérationnels pour les entreprises sont réduits », conclut Alexis Garatti.