Les marchés continuent de voir le verre à moitié plein, avec une nouvelle hausse nette des actions sur la semaine et un resserrement des primes de crédit alors que les taux d’intérêt longs se sont stabilisés après leur récente décrue.
Anticipations des marchés
Il est vrai que certains risques négatifs pour l’économie mondiale ont légèrement baissé depuis deux mois : le prix du pétrole est repassé sous les 95 dollars par baril pour la première fois depuis le début de la guerre ; la baisse des taux d’intérêts longs et le rebond des actifs risqués font que les conditions financières pour les entreprises, les ménages et les Etats sont moins défavorables ; et le risque de crise sur la dette italienne semble moins élevé grâce à l’absence de discours (trop) anti-européen durant le début de la campagne électorale et au fait que la BCE ait déjà commencé à acheter plus de dette italienne en juillet. Les dernières données économiques indiquent d’ailleurs que le ralentissement de la croissance mondiale au début de l’été a été moins abrupt que ce que l’on pouvait craindre. Toutefois, notons que la toile de fond macro, si elle est moins défavorable qu’en juin, reste bien plus défavorable qu’en début d’année après le premier semestre très difficile.
Le marché semble acheter le scénario d’un atterrissage en douceur de l’économie qui serait suffisant pour faire revenir l’inflation vers les cibles au cours de 2023 et permettrait aux banques centrales d’adopter des politiques plus accommodantes dès le début 2023. Cela nous semble être un scénario un peu trop « parfait » et restons prudent quant à ce rebond de l’appétit pour le risque.
La réunion de la Banque d’Angleterre hier suggère que cette dernière anticipe un scénario plus proche du notre (si ce n’est pire). Comme la Fed et la BCE, la BOE a accéléré sa hausse des taux (+50pb à 1,75%) et, tout en indiquant que la suite du resserrement monétaire dépendrait désormais des données, a clairement indiqué qu’elle restait concentrée sur la reprise de contrôle de l’inflation. Surtout, le BOE prévoit que l’inflation ne revienne vers les 2% que mi-2024 et ce après une récession assez longue entre fin 2022 et fin 2023 qui verrait une baisse cumulée du PIB de 2%.
Les marchés continuent de voir le verre à moitié plein. Il est vrai que la toile de fond macro-économique est moins dégradée qu’il y a deux mois, ce qui pourrait retarder et limiter l’ampleur du ralentissement global. Notons toutefois qu’elle reste bien plus dégradée qu’en début d’année. Au total, cela renforce notre vue que si une récession est probable fin 2022/début 2023, elle ne devrait être que légère.
Au niveau global, le prix du pétrole est retombé sous les 95 dollars par baril pour la première fois depuis le début de la guerre. Cela reflète la légère hausse des quotas de production de l’OPEP+ annoncé cette semaine (+100 milles barils pour septembre, soit 0,1% de la production mondiale) et surtout la baisse des anticipations de demande, qui est soutenue par la demande étonnamment faible d’essence au Etats-Unis.
Les conditions financières se sont nettement détendues depuis mi-juin, avec un rebond de plus de 10% des actions, une baisse de plus de 75pb des taux 10 ans américains et européens (et des taux hypothécaires aux Etats-Unis) et un net resserrement des spreads de crédit. Les conditions de financement restent toutefois bien moins favorables qu’en début d’année après leur dégradation marquée au 1er semestre. Ainsi, les actions restent en baisse de 15% par rapport à fin 2021, les taux d’intérêt de long terme sont 100pb supérieurs et les spreads de crédit deux fois plus large. Au total, les conditions financières pèseront donc bien sur la croissance dans les prochains trimestres mais moins violemment que ce qu’on pouvait craindre il y a 2 mois et avec des risques de chocs financiers moins importants. Notons aussi que si les conditions financières s’améliorent trop, les banques centrales pourraient craindre que leur politique ne soit suffisante pour faire baisser l’inflation et donc adopteraient des politiques monétaires encore plus restrictives… ce qui dégradera de nouveau les conditions financières.
Pour la Zone Euro, la crise énergétique reste extrême comme le montrent les prix du gaz qui restent au-dessus de 200 euros par MWh. Mais le risque de crise sur la dette italienne se réduit grâce à l’absence de discours contre les règles européennes lors de ce début de campagne électorale et au soutien actif de la BCE en juillet. En effet, les tensions sur la dette italienne se sont un peu détendues avec un écart des taux italiens par rapport aux taux allemands revenu en baisse de 25pb sur la semaine, à un niveau encore élevé de 215pb. La chef du parti Fratelli d’Italia, qui est en tête dans les sondages et pourrait prendre la tête d’un gouvernement de coalition après les élections du 25 septembre, devrait respecter les conditions fixées par l’UE pour bénéficier des fonds du plan “Next Generation EU”. Aussi, la publication des données de la BCE montre que cette dernière a utilisé sa première ligne de défense contre le risque de fragmentation dès le premier mois après la fin du Quantitative Easing. Ainsi, la BCE a suracheté en juillet près de 10Mds de dette Italienne, 6 Mds de dette Espagnole et 1 milliard de dette Grèce en sous-achetant la dette allemande (-14Mds), des Pays bas (-3,5Mds) et dans une moindre mesure française (-1,2Mds). Si nous restons prudents sur les dettes des pays périphériques, le fait que la BCE mette de l’argent sur la table renforce sa crédibilité et réduit les risques d’écartement massif des spreads.
Les dernières données économiques sont moyennes, confirmant le ralentissement global généralisé mi-2022 mais pas plus abrupte que l’on pouvait le craindre. Ainsi, Le PMI composite global a baissé nettement en juillet, de 53.5pt à 50.8pt. Il est au plus bas depuis les confinements généralisés de mi-2020 et sa baisse est généralisée en termes de secteurs et géographiquement, ce qui indique une tendance globale au ralentissement. Cela dit, les PMI restent globalement toujours en zone d’expansion et l’ISM services américains a étonnement rebondit en juillet et reste élevé à 56,7pt. Contrairement à l’indicateur PMI de S&P global, l’ISM suggère que l’économie américaine résiste bien, même si elle ralentit.
Malgré ces nouvelles moins mauvaises, les anticipations du marché nous semblent trop optimistes. Il achète le scénario d’un atterrissage en douceur de l’économie qui serait suffisant pour permettre un atterrissage rapide de l’inflation en 2023. Ce scénario serait permis par des banques centrales qui continueraient à remonter rapidement leur taux jusqu’à la fin de l’année, et leur permettraient de s’arrêter là, et même de rebaisser leurs taux dès le 2ème trimestre 2023. Cela nous semble être un scénario un peu trop « parfait ». Nous pensons qu’il sera plus difficile de reprendre le contrôle de l’inflation, et que cela nécessitera une période plus longue de stagnation économique et des taux directeurs qui resteront élevés au moins jusqu’en 2024. Pour les scénarios alternatifs, nous pensons qu’une baisse de l’inflation rapide en 2023 nécessiterait une récession abrupte, alors qu’un scénario dans lequel les banques centrales deviennent rapidement plus accommodantes face au ralentissement économique réduirait ce ralentissement mais ne permettrait pas de ramener l’inflation durablement vers les cibles de 2%.
La Banque d’Angleterre apparaît plutôt d’accord avec nous.
Après la BCE puis la Fed, elle a accéléré son resserrement monétaire. Pour sa cinquième hausse de taux de l’année, la BoE a remonté son taux directeur de 50pb, une première depuis 27 ans. Seulement un des neufs membres du comité souhaitait grader le rythme de hausse de 25pb. Le taux directeur atteint 1.75%, un plus haut depuis début 2009. Comme pour les autres grandes banques centrales, le marché anticipe une poursuite des hausses de taux agressive jusqu’à début 2023 (vers les 3%) avant des baisses de taux dès le T2 2023.
Surtout, la BoE reste en mode de resserrement monétaire marqué malgré un scénario macro-économique encore plus stagflationiste. En effet, la BoE a revu fortement ses anticipations d’inflation par rapport à mai, en anticipant un pic d’inflation au-dessus de 13% au cours du 4ème trimestre, soit 3pt de plus que les précédentes prévisions. Dans le même temps, la dégradation des perspectives de croissance en Europe et la baisse du pouvoir d’achat des ménages conduisent la BoE à anticiper que l’économie entrera en récession plus tôt et pour plus longtemps (dès le T4 2022 avec une baisse de plus de 2% du PIB jusqu’à mi-2024).
Les révisions d’inflation et de croissance de la BoE, qui sont dues à la hausse du prix du gaz, augmentent temporairement l’inflation et ont un impact récessif qui devrait réduire les pressions inflationnistes à moyen terme. Mais la BoE note que les pressions sur les salaires et les prix domestiques sont également très élevés et que ces pressions pourraient s’estomper avec retard sur l’activité et plus lentement qu’espéré.
Dans ce contexte, la BoE s’engage moins sur les hausses de taux futurs (elle décidera « du niveau approprié du taux d’escompte à chaque réunion ») mais avec un biais clair pour s’assurer qu’elle reprend le contrôle de l’inflation. En effet, la BoE rappelle « la primauté de la stabilité des prix dans le cadre de la politique monétaire du Royaume-Uni » et dit qu’elle restera « particulièrement attentive » au risque que l’inflation soit plus persistante et qu’elle réagira, si nécessaire, « de manière énergique ».