Le XXème Congrès national du Parti Communiste et les dernières données publiées plaident toutes pour une prolongation du ralentissement. Au-delà de ces explications très conjoncturelles, ne doit-on pas se rendre à l’évidence que le modèle de développement du pays de la chine tel que nous l’avons connu au cours des dernières années est à bout de souffle ?
Par Laetitia Baldeschi, Responsable des Etudes et de la Stratégie, CPR AM
Chine :une situation économique inquiétante
Plusieurs facteurs viennent perturber la dynamique d’activité en Chine.
Le premier d’entre eux est très certainement la gestion de la situation sanitaire par les autorités. Et le choix politique de la tolérance zéro face au virus. Ceci implique des fermetures récurrentes de villes, d’usines ou d’infrastructures, des politiques de tests particulièrement contraignantes pour tout déplacement et toute activité sociale. En conséquence, l’activité dans les services est encore largement contrainte et l’industrie manufacturière soumise aux aléas d’approvisionnements chaotiques. Il s’agit d’un marqueur politique fort, d’un argument de propagande sur le rôle essentiel du Parti et surtout d’un engagement personnel de Xi Jinping, s’appuyant sur les écarts de mortalité constatés entre l’occident et la Chine. Il sera dès lors très difficile de sortir de cette politique, en tout état de cause avant le Comité central du Parti d’octobre mais même au-delà, avant les « deux sessions » du mois de mars 2023. D’autres raisons plus pragmatiques expliquent le maintien de la politique du 0 Covid ; la faible efficacité des vaccins chinois, le faible taux de vaccination des personnes à risque et les capacités limités des infrastructures sanitaires dans le pays pour faire face à un afflux de malades.
La multiplication des aléas climatiques dans le pays est venue compliquer la dynamique de reprise et pourrait contribuer à remettre en cause l’autosuffisance alimentaire, l’un des socles du « contrat social » liant le Parti au peuple chinois. A l’été 2022, certaines régions de la Chine ont connu leur plus longue vague de chaleur depuis le début de la tenue des registres en 1961, selon le Centre national du climat de Chine, entraînant des arrêts de production en raison du manque d’électricité hydraulique. Dans le centre et le sud-ouest de la Chine, les autorités ont déclaré une sécheresse dans six juridictions provinciales, qui représentaient ensemble un quart de la production céréalière de la Chine l’année dernière. La province du sud-ouest du Sichuan a été la plus durement touchée par la baisse des précipitations, car elle est très dépendante de l’hydroélectricité. Les autorités privilégient l’alimentation en énergie des ménages et donnent instruction à de nombreuses usines de fermer ou de réduire leur production.
La crise de l’immobilier prend de l’ampleur. Une régulation accrue du secteur par les autorités début 2021, avec l’imposition des « 3 lignes rouges », a entrainé un arrêt brutal des capacités d’endettement des promoteurs immobiliers particulièrement endettés. Ce secteur, qui, pris dans son ensemble représente quelques 25 % du PIB, a fait face à un ajustement majeur qui s’est traduit par une première vague de faillites, un arrêt brutal des chantiers et une chute des ventes et des prix. Le secteur fait face des difficultés croissantes malgré les mesures politiques d’assouplissement annoncées depuis quelques mois face aux effets en cascade de cette crise.
L’accession à la propriété fait partie intégrante du modèle de réussite chinois. Pour autant le paiement anticipé de logements neufs par les ménages, système qui permettait la survie des promoteurs, étrangle aujourd’hui ces ménages alors même que les constructions sont stoppées. Certains d’entre eux n’hésitent pas à interrompre le règlement de leurs mensualités de crédits, mettant à mal les petits établissements financiers. D’autres ménages, pour lesquels l’immobilier est depuis de longues années le principal support d’épargne, décident de rembourser par anticipation leurs prêts en réalisant l’épargne financière disponible, épargne faiblement rémunérée. Ils mettent fin ainsi à un effet de levier qui ne reposait que sur le principe d’une hausse de la valeur de revente du bien immobilier sous-jacent. Au total, les ménages subissent un effet richesse négatif considérable, qui n’est absolument pas de nature à les inciter à consommer plus !
L’autre « victime » collatérale de cette crise immobilière, est le système des administrations publiques locales qui voit l’une de ses principales sources de financement disparaitre. En effet, celles-ci reposent pour une grande partie sur le produit de la vente des terrains aux promoteurs immobiliers et sur l’ensemble des taxes liées au foncier, depuis la réforme fiscale de 1994. Ces ventes représentaient 1400 milliards de rmb en 2009, et ont atteint 8700 mds, soit 7,6 % du PIB en 2021. Les recettes liées au transfert des propriétés foncières représentaient 5,9 % du total des recettes locales en 2000. En 2020, c’était 42 %, et même 52 % si on inclut toutes les recettes dérivées. L’effondrement des transactions a entrainé une chute de ces recettes. En août, elles ne reculaient plus que de 5,2 % sur un an (en raison de l’effet de base) mais c’était encore une chute de 33,2 % sur un an en juillet. Selon un article du Financial Times, les véhicules de financement des gouvernements locaux (LGFV) se précipitent pour acheter de vastes quantités de terres avec des fonds empruntés, renflouant les villes et les provinces en difficulté. Usuellement, ces LGFV étaient utilisés pour le financement des infrastructures par les gouvernements locaux. Ces achats auraient atteint 400 mds de rmb fin juillet, soit +70 % sur un an ! Mais rappelons-nous qu’une des priorités des autorités était d’assainir la structure financière de ces fameux LGFV…
L’efficacité des politiques économiques en question
L’un des sujets d’inquiétude face à la situation économique actuelle réside dans le fait que l’efficacité des politiques économiques mises en œuvre par les autorités semble s’émousser. Par le passé, les plans de relance chinois, notamment celui de 4000 mds de rmb débloqués en 2009, passaient par deux vecteurs essentiels qui étaient les infrastructures d’une part et l’immobilier d’autre part. Le levier de l’investissement en infrastructures a de nouveau été largement sollicité. Une grande partie des différentes mesures annoncées depuis quelques mois vise à libérer des capacités de financement pour stimuler ces investissements, notamment au travers des émissions obligataires spéciales par les gouvernements locaux. L’enveloppe initiale de 3650 mds a ainsi été augmentée de 500 mds de rmb. Des projets pharaoniques sont mis en œuvre à travers le pays visant le développement des énergies renouvelables, les réseaux d’eau, l’aménagement du territoire, le train à grande vitesse ou encore le développement des data centers.
Mais l’investissement en infrastructures représente au mieux 10 % du PIB et ne peut donc à lui seul compenser l’effondrement de l’immobilier. Les dernières mesures annoncées afin d’assouplir quelque peu les contraintes de financement des promoteurs ou d’accompagner la livraison des chantiers commencés pourront au mieux stopper la dégradation. Un rebond de ce secteur apparaît à court terme difficile sans retour de la confiance.
Malgré une succession sans précédent de mesures visant à soutenir les entreprises et renforcer l’offre, la croissance ne ré-accélère pas. Les autorités, dès la fin du mois de mai dernier, semblaient d’ailleurs renoncer à leur objectif de croissance autour de 5,5 % pour 2022. Le Premier ministre, Li Keqiang avait à l’époque tenté de remobiliser l’ensemble des fonctionnaires du pays pour contribuer à relancer la machine. Un premier plan en 33 mesures a été annoncé fin mai, suivi d’un plan en 19 mesures fin août. Ce dernier était encore majoritairement orienté vers le soutien de l’offre, avec un accent mis sur la mise en œuvre effective des mesures par les autorités locales.
Cela illustre l’une des faiblesses actuelles de la politique économique chinoise, décidée à Pékin par l’administration centrale mais dont la mise en œuvre effective repose sur l’implication des degrés inférieurs de l’administration publique. Il semble que cela soit un des points de blocage identifié comme tel par l’administration centrale si l’on en croit les récentes communications et l’envoi dans les provinces de brigades d’inspection.
L’autre sujet de préoccupation reste l’absence de grande politique de soutien à la demande finale. En effet, seules quelques incitations notamment en faveur de l’automobile électrique, ou quelques distributions locales de bons d’achats ont été mises en place. Le Premier ministre lui-même avoue son impuissance en mettant en avant le fait que la Chine est un pays trop vaste et trop inégalement développé pour pouvoir subventionner directement les ménages… Il apparait dès lors utopique en l’absence d’une réforme globale du système de protection sociale d’envisager un rebond marqué de la demande finale des ménages, et ce d’autant que les indicateurs du marché de l’emploi se sont nettement grippés avec la crise sanitaire.
Un ralentissement économique expliqué également par des facteurs structurels
L’enrichissement du pays a longtemps reposé sur une croissance forte. Cette croissance était le fruit d’une main d’œuvre abondante, du progrès technique et des gains de productivité.
Sur le premier point, les dernières données démographiques ont de quoi alerter les autorités. En effet, selon le 7ème recensement du Bureau National publié le 11 mai 2021, la population chinoise est estimée à 1411,78 millions d’habitants en 2021, une modeste hausse de 0,53 % sur un an, le plus faible taux de croissance annuelle enregistré depuis l’époque de la Grande Famine du début des années 1960. Surtout le nombre de naissances rapporté à la population ne cesse de décroitre pour atteindre 7,52 naissances pour 1000 habitants. Selon la Banque mondiale, le taux de fécondité par femme en Chine atteint 1,7, peu ou prou ce que l’on observait au début des années 1990. Cela montre l’échec des politiques de natalité mises en œuvre par les autorités depuis l’abandon de l’Enfant unique.
La conséquence est un vieillissement rapide de la population chinoise, avec 14,2 % de celle-ci ayant plus de 65 ans en 2021. Avec la décroissance de la population active, la croissance potentielle est donc déjà amenée à diminuer, alors même que le PIB par tête vient à peine de rattraper la moyenne mondiale (selon les estimations du FMI), et reste très en deçà de ce que l’on observe dans les grandes économies développées confrontées également au vieillissement.
L’affrontement commercial avec les Etats-Unis, la multiplication des mesures de régulation à l’encontre des géants de la technologie chinoise sont autant de facteurs pouvant entrainer un ralentissement de l’innovation technologique à l’origine du formidable développement économique du pays. Les entreprises étrangères et les échanges internationaux avaient nettement bénéficié à la Chine lui permettant de rattraper son retard dans de nombreux secteurs, avec certes des pratiques parfois abusives en matière de transferts de technologies. Il semble que les échanges soient de moins en moins nombreux aujourd’hui. La grande interrogation porte sur la capacité endogène d’innovation de la Chine. La liberté accordée au développement des grandes entreprises d’internet sur les 20 dernières années a largement contribué à encourager l’innovation. Mais depuis deux ans, l’environnement réglementaire s’est largement durci et le contrôle étatique réaffirmé pourrait freiner cette dynamique d’innovation. D’autres entreprises ne fonctionnent qu’avec le soutien et les subventions de l’État ce qui remet en question leur efficacité en matière de recherche et développement. Certes, les autorités affichent d’ambitieux objectifs dans le plan quinquennal mais jusqu’à présent la stratégie retenue pour le développement n’incorporait pas une aussi nette mainmise du politique sur l’économique.
Ces questions sont essentielles pour l’avenir du pays. En effet, la croissance forte, synonyme d’enrichissement pour le plus grand nombre est en quelque sorte à la base du contrat tacite qui existe entre le parti unique et la population. Le Parti garantit la sécurité (physique, sanitaire, alimentaire) et la prospérité à la population qui reconnait en retour sa légitimité. La question sanitaire, la politique de sécurité alimentaire et la prospérité sont autant de piliers du modèle social en difficulté à ce jour.
Une économie chinoise moins vigoureuse signifie que le Parti aura moins de marge de manœuvre. Avec moins de pouvoir d’achat pour la population, les dirigeants chinois devront se soucier davantage de la stabilité sociale. Au-delà de la situation intérieure, moins de capacité budgétaire signifie moins de ressources pour les investissements à l’étranger et l’aide publique au développement. C’est à ce moment-là toute la politique de la « Belt and road Initiative » initiée et portée par Xi Jinping qui pourrait être remise en cause. Ainsi, les choix concernant les priorités des dépenses publiques deviendront plus difficiles. D’ores et déjà la forte progression de la dette publique commence à inquiéter, atteignant 72,2 % du PIB fin 2021, sachant que la partie endettement du secteur privé est particulièrement élevée, avec 61,6 % du PIB d’endettement pour les ménages et 152,8 % du PIB pour les entreprises.
Qu’attendre du XXème congrès ?
Si la reconduction de Xi Jinping à la tête du pays ne semble pas faire de doute, un grand nombre de questions se posent. A l’occasion du XXème Comité central du PCC, un nouveau Bureau politique sera nommé (aujourd’hui il comporte 25 membres) ainsi que le comité permanent du bureau politique (aujourd’hui 9 membres), véritable instance dirigeante du Parti et du pays. Ainsi le Comité central est avant tout une affaire de nominations et non pas une redéfinition des grands objectifs économiques et politiques du pays. Ceci viendra dans un deuxième temps, d’ici le mois de mars 2023.
La pratique veut qu’habituellement un membre du Bureau politique serve au maximum deux mandats de 5 ans. De fait, ce XXème Comité devrait entrainer plus de changement que le précédent. Formellement, seul le Président et le vice-président étaient concernés par une limite de 2 mandats inscrite dans la Constitution de 1982, mais suspendu en 2018. Le mandat de Premier ministre est également visé par la limite des 2 mandats et Li Keqiang a régulièrement indiqué qu’il quitterait son poste en mars prochain. Pour les autres charges, notamment dans le Parti et à la Commission militaire, il n’y a pas de limite, et juste une jurisprudence. De même, concernant la limite d’âge, il s’agit d’une convention tacite observée depuis le début des années 1990 selon laquelle tout membre du Politburo âgé de 68 ans ou plus au moment du Comité central se retire. Difficile toutefois cette fois-ci d’anticiper la mise en œuvre effective de cette jurisprudence. Selon toute vraisemblance, cela relèvera du choix de Xi Jinping, et des rapports de force au sein du parti entre les différentes factions. En effet, la plupart des membres du Bureau politique sortant ont été nommés sous son autorité en 2017…
Techniquement parlant, la nomination des membres de l’exécutif du pays sera réalisée au moment des « deux sessions » (Assemblée populaire nationale (APN) et Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC)) en mars 2023. A cette occasion également les objectifs politiques à moyen et à long terme devraient être réaffirmés avec en particulier la modernisation de la production, la sécurité des chaînes d’approvisionnement, la décarbonation et la promotion de la prospérité commune… A plus court terme, difficile d’envisager l’abandon des deux axes de politiques économiques majeurs que sont : le « housing is for living in, not for speculation » qui gère la politique immobilière et le 0 Covid côté sanitaire. Les grandes orientations économiques du nouveau mandat ne seront vraisemblablement pas discutées à l’occasion de ce Congrès. Il faudra attendre la tenue de la Conférence centrale de travail sur l’économie (CEWC), qui devrait avoir lieu autour de la mi-décembre pour en avoir les prémisses.
La question de Taiwan en ligne de mire
Depuis quelques temps, le discours officiel sur Taiwan a largement évolué. Auparavant la « ligne rouge » imposée par la Chine à Taiwan était la déclaration d’indépendance de Taiwan. Tant que Taiwan ne réclamait pas son indépendance, l’ile pouvait se développer économiquement. Les récentes interventions de Xi Jinping sur Taiwan indiquent une « réunification complète » de la Chine d’ici 2049, avec la suppression de la mention « réunification pacifique » du discours officiel.
Les interventions médiatiques de Joe Biden sur le sujet, semblant ouvrir la possibilité d’une intervention des Etats-Unis pour défendre Taiwan placent cette question au centre de la relation Etats-Unis – Chine. Les enjeux sont pour les deux puissances considérables à la fois, de nature militaire, géopolitique, diplomatique et bien entendu économique. En effet, Taiwan jouent un rôle central dans la production de semi-conducteurs, cruciaux dans plusieurs secteurs industriels (automobiles, ordinateurs, réfrigérateurs, stockage de données, téléphones, etc.).
Si aujourd’hui les spécialistes de la question militaire indiquent que la Chine n’est a priori pas prête à envahir et occuper Taiwan, les derniers développements du conflit ukrainien peuvent entrainer un durcissement chinois et nous conduisent à l’humilité. Plus encore, face à une situation économique intérieure compliquée comme nous l’avons évoqué précédemment, la réunification de la grande Chine pourrait être un dérivatif politique en relançant le sentiment nationaliste !
Habituellement, les responsables chinois ont tendance à donner la priorité à la stabilité avant le Congrès. Ces derniers jours, les mesures de contrôle sanitaire pour limiter la circulation du Covid se sont multipliées, les mesures pour garantir l’achèvement des projets de construction en cours également et un accent est clairement mis sur la stabilité du taux de change, face à une dépréciation continue depuis plusieurs semaines. Il s’agit donc de tenter de retrouver la maitrise des évènements.
Comme nous avons pu le voir la situation conjoncturelle est particulièrement complexe avec l’impact négatif de la politique du Zéro Covid, des conditions climatiques et de l’ajustement majeur dans le secteur de l’immobilier.
Des facteurs structurels et des choix de politiques économiques spécifiques contribuent également à anticiper une croissance bien moins vigoureuse dans les prochaines années. Ceci sera sans aucun doute une nouvelle donne pour la nouvelle équipe à la tête du Parti et du pays à l’issue du prochain Congrès du parti, en octobre. Il sera donc particulièrement intéressant de suivre les déclarations et les nominations qui seront faites à cette occasion, en attendant d’avoir une nouvelle orientation économique en mars 2023.