L’Union européenne, porteuse de valeurs démocratiques et gardienne du droit, se retrouve parfois confrontée à une réalité qui met en lumière les dysfonctionnements de ses propres institutions. Les procédures d’infraction. Pourtant essentielles pour garantir le respect des lois européennes, sont souvent marquées par des retards significatifs, voire par une inaction inquiétante. Ce phénomène soulève des questions quant à l’efficacité de la Commission européenne dans son rôle de garante des traités. Entre complexités administratives et influences politiques, la gestion des infractions révèle des failles profondes. En particulier dans le domaine de l’environnement.
Bruno Boggiani, directeur de Green Finance, souligne que “L’Europe et la justice sont bien sûr des principes de droit, mais aussi une pratique très politique, pas toujours en phase.” Une déclaration qui reflète bien l’état actuel des choses, notamment dans le cadre de notre enquête menée en collaboration avec Investigate Europe.
Ceci est un extrait d’une interview, sélectionné par votre média Green Finance, qui donne la parole à tous, même si cela peut vous déplaire et nous déclinons toutes responsabilités sur la source et les propos de cet extrait.
La lenteur des procédures judiciaires : un frein à la justice européenne
Les principes fondateurs de l’Union européenne, tels que le respect des décisions de justice, ne devraient pas être discutables. Les présidents de la Commission le rappellent souvent dans leurs discours. Pourtant, si la théorie est claire, la pratique l’est beaucoup moins. La Commission européenne, gardienne des traités, montre parfois des faiblesses lorsqu’il s’agit de lancer des procédures d’infraction. Ou de faire appliquer les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne.
En 2023, 1482 procédures d’infraction étaient ouvertes. Cependant, derrière ce chiffre se cachent des dysfonctionnements majeurs. Parmi ces procédures, 118 sont ouvertes depuis plus de 10 ans et 44 ont fait l’objet de condamnations par la Cour de justice, sans que des mesures concrètes aient été prises. Dans certains cas, ces délais peuvent atteindre jusqu’à 25 ans. Un tel délai est loin d’être raisonnable et soulève des interrogations sur l’efficacité du système judiciaire européen.
Ces retards sont parfois dus à des erreurs de gestion. Il arrive que des dossiers ne soient pas traités du tout. Alors que des informations précieuses se perdent avec le temps. Cette situation illustre la discrétion dont dispose la Commission européenne dans le traitement des infractions. La procédure d’infraction se décompose en plusieurs étapes. De la simple demande d’explication à la mise en demeure, puis à la saisine de la Cour de justice. Voire à l’imposition d’amendes de plusieurs millions d’euros. Toutefois, la volonté de ne pas froisser les États membres semble prendre le dessus, transformant une procédure judiciaire en un processus de négociation politique.
L’environnement : la grande oubliée des procédures d’infraction
Notre enquête révèle un fait troublant : parmi les infractions qui stagnent, une majorité concerne l’environnement. Sur les 118 infractions ouvertes, 55 sont liées aux politiques environnementales. De plus, sur les 44 arrêts non exécutés, 33 concernent la protection de l’environnement. Ces dossiers traînent plus longtemps que les autres affaires, avec une durée presque deux fois supérieure.
Pourquoi l’environnement est-il autant délaissé ? L’Union européenne, pourtant pionnière dans les initiatives écologiques, semble avoir du mal à imposer le respect de ses propres normes. “L’environnement est le domaine où l’on constate le plus grand nombre d’infractions,” admettent les représentants de la Commission. La complexité de ces dossiers, qui nécessitent la collecte d’un grand volume d’informations, est souvent invoquée pour justifier ces retards.
Les États membres les plus concernés par ces manquements ne sont pas des surprises. La Grèce se distingue tristement avec 7 condamnations non exécutées, suivie de près par l’Espagne avec 5 condamnations. L’Italie, l’Irlande, la Pologne et le Portugal complètent le tableau avec 3 condamnations chacun. Les infractions les plus fréquentes concernent les violations des normes sur la pollution de l’air. La France et l’Allemagne, pourtant considérées comme des moteurs de l’Union, n’ont toujours pas appliqué 15 arrêts de la Cour sur ce sujet.
L’influence des lobbies industriels et politiques
Les retards et les dysfonctionnements dans la gestion des affaires environnementales sont également liés à la pression des lobbies. Ce phénomène est devenu presque évident pour les observateurs. Alors que certaines ONG militent pour une meilleure protection de l’environnement, le lobbying le plus puissant provient des grandes industries. Ces dernières disposent de moyens financiers et humains colossaux, leur permettant d’exercer une influence considérable sur les décisions de la Commission européenne.
Ces industries détiennent souvent une expertise technique dont la Commission a besoin pour traiter certains dossiers, ce qui rend leur influence d’autant plus forte. Ce processus de lobbying, en grande partie opaque, accentue le caractère politique de la gestion des infractions. Malgré la promesse de transparence, de nombreuses demandes d’informations ont été rejetées par la Commission, invoquant des raisons telles que l’absence d’intérêt public ou la confidentialité des échanges en cours.
La politisation croissante de la Commission depuis le traité de Lisbonne en 2009 est également un facteur à prendre en compte. Soucieuse de ne pas provoquer un rejet des gouvernements nationaux, fatigués de devoir se défendre devant la Cour de justice, la Commission semble parfois préférer le compromis à l’application stricte des règles. Cette approche opportuniste, bien que compréhensible dans un contexte politique tendu, compromet l’efficacité de l’institution en tant que gardienne du droit européen.
Des solutions existent, mais manquent de volonté politique
Face à cette situation, des solutions existent. Le Parlement européen pourrait exercer un contrôle démocratique plus rigoureux sur la Commission en utilisant les outils à sa disposition, comme les auditions publiques. Toutefois, cette approche reste encore largement sous-utilisée.
Certains préconisent même des réformes plus radicales. L’idée de confier la gestion des infractions à une institution indépendante, telle qu’un procureur public européen, commence à faire son chemin. Cela permettrait de retirer ces décisions cruciales des mains de la Commission, désormais trop influencée par des considérations politiques. Cependant, la mise en place de telles réformes nécessite une volonté politique forte, aussi bien de la part des États membres que de la Commission elle-même.
En conclusion, l’état de droit en Europe est à un tournant. L’application des règles européennes, en particulier dans le domaine environnemental, laisse à désirer. Si des solutions existent pour remédier à ces dysfonctionnements, la volonté politique semble faire défaut. L’ambition politique et démocratique de l’Union européenne dépend désormais de sa capacité à surmonter ces défis et à garantir que les principes de justice s’appliquent de manière équitable et rapide dans l’ensemble des États membres.
A lire aussi :