Au Japon, nombreuses sont les composantes culturelles mettant en avant l’harmonie dans les rapports que les personnes entretiennent avec la nature et la société. Cependant, selon le regard porté sur l’archipel, la notion d’harmonie peut parfois être interprétée comme de la maîtrise. Mais cela suffit-il à reléguer le Japon au rang des cancres en termes de considérations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) ? La maîtrise prend-elle le pas sur la pérennité, qui finit par passer après les impératifs de croissance à tout prix ? Nous partirons ici d’un constat plus positif, car les notions liées à l’ESG ne sont pas nouvelles au Japon. Elles y trouvent par ailleurs un écho favorable et sont ainsi de plus en plus intégrées au sein des entreprises.
Ce qui a profondément changé à partir de 2012, à savoir depuis l’accession au pouvoir du gouvernement Abe et la promotion en force de ses Abenomics, c’est l’intérêt des investisseurs institutionnels – et notamment du plus grand fonds de pension, le GPIF (Government Pension Investment Fund), – pour des entreprises qui intègrent et développent les critères ESG dans la conduite de leurs affaires. Si ces sociétés partaient de zéro comme d’aucuns le pensent, la marche serait bien trop haute pour que l’on puisse, en 2019, articuler un discours sur l’investissement responsable au Japon.
A ce titre, le meilleur exemple, et de loin le plus cité, est celui de Hiro Mizuno, le CIO du GPIF, qui est devenu l’un des plus fervents défenseurs de l’investissement responsable. Il est le grand supporter du lancement d’un indice qui n’incorpore que les 400 plus fortes entreprises du point de vue de la gouvernance et du respect des investisseurs minoritaires (à savoir l’indice JPX 400). Pourrait-il en être autrement quand on est responsable des investissements pour le plus grand portefeuille d’épargne de retraite au monde ? Mais Hiro Mizuno n’en est pas resté là. Avec ses équipes, il s’emploie à orienter ses investissements à l’aide de nouveaux indices, comme le FTSE Blossom Japan (fondé sur des entreprises affichant un solide engagement envers les pratiques ESG), le MSCI Japan ESG Leaders, et le non moins important MSCI Japan Empowering Women. A la fin 2017, Hiro Mizuno a tenu un discours encore plus radical en annonçant, lors de la conférence PRI (Principles for Responsible Investment), que le GPIF allait intégrer des critères ESG dans tous les investissements qui seraient faits.
Il va sans dire que la direction prise par le GPIF a un immense impact sur la marche opérationnelle des entreprises, sur la manière d’opérer des conseils d’administration (où des membres indépendants sont désormais requis), mais également sur les politiques en matière de recrutement et de salaires, ainsi que sur la façon de rémunérer les plus hauts dirigeants. Et cet impact se ressent d’autant plus au sein de la communauté des investisseurs, qu’ils soient institutionnels ou non. Au-delà d’un effet de mode ou de l’influence que peut avoir le GPIF, la conséquence pour les investisseurs se matérialise dans l’amélioration de la gouvernance d’entreprise grâce à l’intégration de critères ESG. La manifestation la plus évidente de ces changements concerne une meilleure utilisation des excès de liquidités dans les bilans au travers de rachats d’actions et de dividendes qui sont en constante augmentation. Socialement, la participation des femmes dans la vie active et leur accession à des positions managériales de haut niveau contribuent progressivement à ce changement de cap initié par le GPIF dans le sillage des Abenomics. Enfin, sur le plan environnemental, la pénalisation des mauvais acteurs se traduit directement par le fait qu’ils ne sont pas admis à faire partie des divers indices précités, mais aussi par des valorisations qui reflètent de plus en plus l’attention portée à l’empreinte écologique des sociétés par une communauté d’investisseurs devenue plus critique, et surtout plus sélective.
S’agissant de l’intégration de critères ESG en tant que nouvelle norme pour les entreprises japonaises, les récents développements partagés plus haut nous laissent donc penser que tout changement de cap au Japon passe par une mue structurelle.