Les « vents sont contraires » actuellement à l’investissement en Chine : impact moral du cas de la Russie, vague réglementaire qui pose question sur le degré de liberté d’entreprendre en Chine, et maintenant Covid qui menace la
croissance avec une politique très stricte de contrôle de l’épidémie.
Par Jean-Marie MERCADAL Directeur Général SYNCICAP AM
La question de l’ESG
L’investissement responsable se trouve brutalement confronté à des enjeux très complexes qui ne sont pas faciles à trancher depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le monde est en effet composé de démocraties et de « démocratures » ou dictatures, les premières étant les moins nombreuses. Faut-il dès lors n’investir que dans les pays vertueux ? C’est ce qu’un certain nombre d’acteurs semblent promouvoir désormais au vu des réactions observées au sujet de la Russie. Mais dans ce cas, comment par exemple acheter des matières premières à certains pays, aux régimes douteux et corrompus, ou y investir ? Chacun est libre d’avoir son opinion et ses critères éthiques et de choisir l’orientation de ses flux d’investissements en conséquence.
Cependant, pour ce qui est de l’investissement vert, ces considérations nous semblent moins pertinentes. En effet, la forte croissance des émissions de CO2 dans le monde provient essentiellement des pays en plein développement vers un mode de vie occidental, très consommateur d’énergie : augmentation de la consommation de viande, tourisme, automobile… Aux premiers rangs de ces pays figurent l’Inde et bien sur la Chine. C’est dans ces régions que des efforts très importants sont nécessaires pour notre futur à tous, bien davantage que dans nos pays globalement déjà vertueux.
De ce point de vue, le Président Xi Jinping a ainsi déclaré à l’Assemblée Générale de l’ONU en septembre 2020 que la Chine atteindrait la neutralité carbone en 2060. Le pays s’engageait pour atteindre cet objectif dans des programmes ambitieux dans le domaine des énergies propres : amener la part du renouvelable dans le mix énergétique à 25%, fermeture des centrales à charbon pour les remplacer par du nucléaire, augmenter la capacité totale du solaire et de l’éolien à 1,2 Md de kilowatts, accroître la part des véhicules électriques à 40% du parc automobile d’ici 2030… Par ailleurs, le pays s’est lancé dans des projets énormes de plantation de millions d’hectares de forêts, notamment dans les zones sujettes à la désertification. De nombreuses entreprises de ces secteurs vont ainsi trouver naturellement matière à se développer.
La Chine deviendra probablement le leader des émissions obligataires à impact au cours des prochaines années. En 2020, 71% des émissions d’obligations « vertes » sur les marchés émergents proviennent de la Chine. C’est dans ce domaine de l’environnement que se porteront particulièrement nos analyses en matière de gestion responsable en Chine. C’est également sur ce sujet que nous pensons apporter une valeur ajoutée dans l’analyse et l’impact des entreprises chinoises.
La question sur la prospérité commune et mesures réglementaires
Après être passée en près de 50 ans du Moyen Âge à la deuxième économie mondiale, la Chine prend une nouvelle orientation et s’engage à essayer de corriger les quelques effets négatifs engendrés par cette réussite indéniable. La société chinoise est aujourd’hui fragmentée entre ceux qui ont bénéficié largement de cette croissance et les autres : l’immobilier est inaccessible pour beaucoup de ménages, accéder aux universités nécessite de lourds investissements en éducation assistée…
Le gouvernement a ainsi lancé un projet de société : la prospérité commune. Ce plan à long terme vise à accroître la cohésion sociale, apporter davantage de stabilité et créer une société où « tout le monde est riche », ce qui favorisera naturellement le thème de la consommation domestique au cours des prochaines années.
L’un des principaux problèmes de la Chine est sa natalité, parmi la plus faible du monde. La politique de l’enfant unique a été abandonnée il y a plus de 5 ans, sans résultats, et les dernières incitations sociétales (abaissement de l’âge légal du mariage, les femmes qui ont des enfants sans être mariés vont voir leurs droits calqués sur ceux des mères mariées…) et financières ne donnent pas de résultats.
Le pouvoir a mis sous pression les figures emblématiques du pays qui ont réussi à bâtir des fortunes dans le secteur de la technologie et d’internet. Pourtant sources d’exemples pour une jeunesse hautement diplômée et attirée par ce secteur et qui a quelquefois du mal à trouver un premier emploi : le taux de chômage des jeunes diplômés de 16 à 24 ans a progressé, s’établissant dernièrement à 16,2%.
Par certains aspects, nos pays occidentaux sont confrontés aux même problématiques, et s’attaquer à ces questions de natalité, d’éducation, de logement, de moralité quelquefois, peut être légitime en vue d’infléchir l’orientation du pays. Mais la « brutalité » des mesures prises ont étonné et déstabilisé les marchés immobiliers et la Bourse. Dans ce domaine, nous pensons que l’essentiel a été fait et qu’une pause dans les mesures réglementaires devrait être observée, la priorité étant cette année la croissance. De ce point de vue, le pouvoir vient de montrer un premier signe positif d’assouplissement avec l’autorisation donnée à 45 entreprises de développer de nouveaux jeux en ligne.
L’objectif de croissance
Le gouvernement a confirmé en février dernier l’objectif de 5,0 à 5,5% de croissance pour 2022. Cela signifie qu’il va falloir générer cette année pratiquement 900 Mds$ de richesse, soit l’équivalent du PIB annuel d’un pays comme les Pays-Bas. Cet objectif paraît impossible à atteindre dans le contexte actuel de diffusion du virus Omicron et de maintien d’une politique de zéro Covid, qui oblige à procéder à de nombreuses mesures de restrictions dans plusieurs grandes villes. Des cas d’infection ont déjà été détectés localement dans 30 des 31 provinces depuis le début du mois de mars, ce qui a entraîné des restrictions de circulation entre régions avec la fermeture d’autoroutes : le « Logistic Prosperity Index » est ainsi retombé à son plus bas niveau depuis 2 ans.
Le cas de Shanghai est sans doute le plus révélateur de la situation actuelle. Décidées pour 4 jours initialement, les mesures de confinement sont maintenues pour une durée inconnue. Shanghai représente un peu moins de 4% du PIB de la Chine, mais est très importante dans plusieurs domaines particuliers : l’industrie des véhicules électriques, des semi-conducteurs, de la finance. Shanghai et la ville de Jilin, aussi en confinement, représentent 20% de la production de véhicules en Chine. Enfin, il s’agit du plus grand port du monde en termes de débit de containers.
Les problèmes de fonctionnement de l’activité portuaire se répercutent ainsi sur l’ensemble de la chaîne mondiale de production. De ce point de vue, l’indice « Supplier Delivery Time Index » est tombé à son plus bas niveau depuis 2 ans, ce qui illustre le ralentissement dans la distribution de marchandises.
La croissance de la Chine semble loin du rythme de 5,0 à 5,5% visé. Des mesures gouvernementales sont urgentes, sinon l’objectif ne sera pas atteint, ce qui ternirait l’image du Président Xi Jinping dans cette année très importante : le XXe congrès du Parti communiste aura lieu en novembre prochain et le Président vise une reconduction pour un troisième mandat de 5 ans, voire plus.
Les mesures de relance économiques pressenties recoupent plusieurs domaines :
- baisse des taux d’intérêt
- baisse des réserves obligatoires des banques
- émission de nouvelles dettes par les gouvernements locaux en vue de financer des projets d’investissement bien ciblés pour 575 Mds USD (« Local Government Purpose Debts »)
- baisses d’impôts pour près de 400 Mds USD
- mise en œuvre de 102 « mégaprojets » qui avaient déjà été identifiés et qui vont être avancés et financés par les quelques 200 banques contrôlées par l’État
- déficit budgétaire public maintenu autour de 2,8%.
Pour financer ces dépenses de soutien, la Banque de Chine (PBOC) va verser près de 155 Mds USD de ses profits aux comptes publics et les entreprises détenues par l’État (les « State Owned Entreprises », SOE) devront augmenter leurs dividendes. Le reste sera emprunté… Il est encore trop tôt pour se prononcer sur l’efficacité globale de cette politique. Les montants de stimulation envisagés sont cohérents avec l’objectif de croissance mais c’est la durée et la fermeté de l’application de la politique de zéro Covid qui pose question pour l’économie.
Le secteur de l’immobilier
La mise en place des « 3 lignes rouges » sur le secteur immobilier décidée par le gouvernement en août 2020 ont lourdement pesé. Le but était d’éviter un risque systémique sur le secteur lié à un excès d’endettement généralisé. L’objectif était également de freiner la hausse des prix liée à une frénésie d’achats spéculatifs afin de favoriser un accès au logement pour les classes moyennes. Pour corriger ces excès, le gouvernement a choisi de prendre des mesures chocs en une fois plutôt que d’étaler dans le temps la correction de certains excès.
Le marché a donc été déstabilisé et, finalement, toute l’industrie en subit les conséquences actuellement. Les acteurs les plus importants, comme China Evergrande et Kaisa Group Holdings, ont fait défaut sur leurs dettes l’année dernière et ce n’est pas fini : il y a en effet de bonnes chances pour que d’autres acteurs importants, comme Sunac China Holdings et Shimao Group Holdings, rejoignent cette liste d’opérateurs en détresse financière.
Sur le marché immobilier, la confiance semble donc rompue : au cours des deux premiers mois de cette année 2022, les ventes de logements neufs ont baissé de plus de 40% et les prix commencent à baisser dans les plus grandes villes. La décision de confiner plusieurs grandes villes en raison d’une vague de Covid ne va pas améliorer la situation. Le gouvernement a, là aussi, pris conscience du problème, le secteur au sens large représentant près de 30% du PIB chinois. Il a donc annoncé le 16 mars dernier que « pour l’immobilier, il est nécessaire d’étudier et de suggérer en temps opportun des solutions efficaces de prévention et d’atténuation des risques ».
Des décisions plus concrètes ont donc été prises, notamment au niveau des gouvernements locaux : assouplissement de la définition de « deuxième maison », autorisation d’acheter dans une autre région, diminution de l’apport initial de 60% à 30%, et à 10% dans certains cas, baisse des taux d’hypothèque de 20 points de base dans plusieurs villes… Par ailleurs, le pouvoir central a demandé aux gouvernements locaux de financer l’achèvement des constructions en cours qui avaient été initiées par les développeurs en faillite afin de ne pas compromettre la situation financière des ménages qui avaient fait l’acquisition d’un logement, ce qui aurait eu des conséquences sociales et économiques dévastatrices. Il est encore trop tôt pour évaluer l’efficacité de ces mesures, mais il s’agit également d’un enjeu majeur pour le pouvoir.
La monnaie
Il y a trois grandes monnaies dans le monde qui représentent les trois zones économiques les plus puissantes et près de 80% du PIB mondial : le dollar, l’euro et le Yuan. Aujourd’hui, le Yuan est clairement sous représenté au regard de son poids économique, ce qui peut se comprendre car la monnaie chinoise n’est pas librement convertible. Cet inconvénient majeur s’estompe cependant progressivement avec la mise en place de systèmes de « connect » qui donnent des quotas sur les échanges de valeurs mobilières avec la Chine. Le cycle monétaire chinois est par ailleurs complètement décorrélé du cycle américain et européen : les taux d’intérêt sont orientés à la baisse en Chine.
Le marché obligataire chinois pourrait donc cette année être un ilot de stabilité dans le contexte de remontée rapide des taux d’intérêt dans le monde, et ainsi constituer une diversification intéressante. Après avoir progressé de plus de 10 % contre le dollar depuis ses plus bas de mi-2020, le Yuan pourrait se déprécier quelque peu contre la monnaie américaine, mais dans des proportions limitées. Cela pourrait constituer une opportunité pour constituer des positions de long terme en obligations chinoises, ce qui rendrait un portefeuille global plus robuste. Les programmes d’ouverture « stock et bond connect » ont connu un grand succès ces dernières années et, par ailleurs, le gouvernement réfléchit à faire de Hong Kong une place de négociation plus importante pour le RMB « off shore » de façon à également améliorer sa liquidité et son accessibilité.
Le poids des actifs chinois
Le poids des actifs financiers chinois dans les indices internationaux actions et obligations est faible par rapport au poids économique du pays. Un phénomène de rattrapage a commencé depuis quelques années et pourrait s’accélérer, ce qui devrait amener des flux vers les marchés locaux.
La capitalisation totale des actions chinoises est de l’ordre de 15 000 Mds$, soit à peu près le tiers de la capitalisation des actions américaines. Or, les actions chinoises ne représentent aujourd’hui que 0,5% de l’indice des actions internationales, contre près de 65% pour les actions américaines. Ce déséquilibre devrait être corrigé au cours des prochaines années, ce qui amènera des flux d’investissements internationaux. Le raisonnement est identique sur le marché de la dette, gouvernementale ou d’entreprises où le gisement est très important.
Dans un autre domaine, d’actif immatériel, notons que le nombre le plus élevé de brevets en 2020 a été déposé par les États-Unis (3,3 millions) suivi de la Chine (3,1 millions) qui a connu la plus forte croissance en 2020.
Les valorisations boursières
Les indices larges des actions chinoises, cotées localement ou à Hong Kong, ont perdu de l’ordre de 30% depuis 1 an, l’indice des valeurs technologiques chinoises près de 50%. Durant le même temps, l’indice S&P 500 a gagné 6%, l’indice Nasdaq recule de 3%. Cette contreperformance des actions chinoises est ainsi largement due à la baisse des grandes valeurs de la technologie et d’internet qui ont été particulièrement visées par la vague réglementaire.
Les valorisations atteintes paraissent désormais très basses et intéressantes dans une optique moyen terme : PER à 12 mois de l’ordre de 8,5 pour l’indice Hang Seng et l’indice MSCI China, de 12,5 pour l’indice China Internet Retail. Certes les croissances de bénéfices pourraient être revues à la baisse compte tenu de l’incertitude qui pèse sur l’économie. Mais les attentes sont assez modérées : de l’ordre de 15% pour l’ensemble du marché et les premiers résultats publiés sont plutôt corrects et en ligne avec les attentes, hormis pour le secteur immobilier.
Par ailleurs, les dividendes pourraient être favorisées cette année : d’une part, le gouvernement va inciter les entreprises d’État à accroître leur taux de distribution car il a besoin de revenus pour soutenir l’activité. D’autre part, les investisseurs privés sont désormais davantage tournés vers la recherche de dividendes et de revenus réguliers dans ces marchés volatils : les dividendes payés par les entreprises de l’indice CSI 300, représentatif des principales valeurs cotées en Chine, ont progressé de plus de 150% au cours des 10 dernières années, et de 17% en 2021. Cette augmentation du taux de distribution est par ailleurs également encouragée par le pouvoir.
Le « payout ratio » est ainsi actuellement proche de 30% et le rendement global du marché de 3%. Les grandes banques publiques ont des rendements de 6% à 7%.
Notons également que quelques grandes entreprises, notamment dans le domaine de la technologie, ont annoncé des programmes de rachats de leurs titres à ces niveaux.
Le régulateur chinois vient d’encourager les investisseurs institutionnels (fonds de pension, social security fund compagnies d’assurance etc) à accroître leurs allocations en « actions chinoises de qualité » cotées localement.