Rassurés, mais prudents…
Par Jean-Marie MERCADAL, directeur Général Délégué en charge des gestions
Les performances 2019 ont été très positives, bien au-delà des attentes exprimées initialement. Les marchés ont pris acte du rétablissement macroéconomique, de politiques monétaires stimulantes, et delà désescalade des tensions commerciales. Il y a effectivement matière à être rassuré…Mais, autant il y a un an dans ces mêmes colonnes, nous estimions que la baisse des marchés intervenue au 4e trimestre 2018 constituait une opportunité d’investissement, autant, aujourd’hui, nous sommes plus prudents…
En un an, l’ambiance a complètement changé. Les marchés avaient connu un « trou d’air » fin 2018 sur des craintes de fort ralentissement économique, de surcroît dans un contexte de normalisation monétaire, c’est-à-dire de hausse des taux, et avec une guerre commerciale qui se profilait. Aujourd’hui, l’économie regagne du momentum positif, les Banques Centrales ont repris le chemin de politiques accommodantes,
et, enfin, une forme de pause semble s’opérer dans le conflit commercial entre la Chine et les États-Unis… Très bien ! Mais entre-temps, les actions ont progressé de 25 % à 30 % sur les grands indices alors que les bénéfices des entreprises ont stagné, les taux d’intérêt ont suivi les politiques monétaires et ont franchement baissé. Parallèlement, l’optimisme global a
nettement monté : selon les différents indicateurs de sentiment calculés par plusieurs organismes auprès des investisseurs, nous sommes aujourd’hui proches d’un record d’optimisme depuis près de 20 ans. Il est intéressant de remarquer qu’il y a presque un an, jour pour jour, c’était l’inverse ! Cela signifie donc que les marchés « pricent » déjà un scénario optimiste idéal. Or, il y a encore beaucoup de points d’interrogations qui provoqueront, tôt ou tard selon nous, des phases de volatilité compte tenu
de cette psychologie désormais proche d’un optimisme béat.
Soyons clairs, cela ne veut pas dire que nous nous attendons à un marché fortement baissier, mais il est temps de faire preuve d’un peu plus de prudence et d’agilité à notre avis.
Allocation d’ actifs
ECONOMIE
L’horizon économique semble assez lisible pour 2020
Le momentum économique est en effet en amélioration et la croissance mondiale poursuit son rebond depuis le trou d’air de mi-2019, mais à un rythme toutefois modéré.
Aux États-Unis, le record du plus long cycle de croissance est d’ores et déjà battu, avec plus de 10 ans désormais, et les fondamentaux semblent encore assez solides : il n’y aura donc pas de récession en 2020. La consommation, qui représente plus des 2/3 du PIB, se maintient à la faveur d’un très faible taux de chômage (3,5 %) et de salaires qui continuent à progresser, au rythme annuel de près de 3,0 % actuellement. La production industrielle, qui était pénalisée par la faiblesse des investissements ces derniers mois, rebondit, ce qui est encourageant après plusieurs mois de baisse. Cependant, de façon plus structurelle, l’écart entre l’indicateur ISM manufacturier et non-manufacturier est au plus haut depuis 5 ans : seules 3 industries sur 18 répertoriées ont enregistré une croissance positive en décembre. Enfin, l’immobilier confirme son redressement avec une hausse des dépenses de construction et une dynamique particulièrement positive dans le segment de la construction résidentielle. Au final, la croissance américaine devrait se situer entre 1,8 % et 2,0 % en 2020.
Les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine. Il s’agit d’un sujet de fond très important à long terme et qui reviendra sur le devant de la scène probablement. Mais à notre avis, à court terme, il y aura une sorte de trêve. Après l’accord a minima trouvé, Donald Trump ne voudra probablement pas provoquer de nouveaux troubles économiques et boursiers juste avant les élections. Et, du côté chinois, le pays vient de prendre plusieurs mesures de relance, le timing ne serait pas bon d’en gâcher les effets.
TAUX D INTERET
Il n’y a plus de baisse des taux dans le « tuyau »
En zone Euro, Christine Lagarde a pris ses fonctions et procède actuellement à un audit global de la Banque Centrale et de ses missions. Ses conclusions définitives ne sont pas encore connues, mais nous commençons à avoir quelques idées sur la nature de sa gouvernance, qui sera probablement plus politique. De ce fait, nous avons le sentiment que le marché a compris qu’il n’y aurait plus de nouvelles baisses des taux directeurs. Les effets néfastes de l’impact des taux négatifs sur les activités des banques et des compagnies d’assurance commencent à être bien compris. Dans ces conditions, les taux directeurs ne seront pas modifiés dans les prochains mois.
Nous pensons qu’un premier mouvement de hausse des taux monétaires à mi-2021 est possible, ce qui signifie que le discours commencera à changer à partir du second semestre de cette année. Il conviendra d’y prêter attention, les réactions du marché pouvant être inattendues. En revanche, la politique de « Quantitative Easing » sera probablement maintenue cette année. Aux États-Unis, la Fed a été pragmatique : elle a compris très rapidement que l’économie américaine (et mondiale) ne pouvait pas supporter des taux élevés. Après avoir remonté à 4 reprises le taux des Fed Funds de 25 points de base en 2018, elle a rapidement corrigé le tir en 2019 avec trois baisses de 25 points de base. Aujourd’hui, et alors que la récession sera largement évitée, elle va probablement marquer une pause et se garder des marges de manœuvre, dans un sens ou dans l’autre en fonction des événements. S’il n’y a pas de résurgence trop marquée de l’inflation, il y a de fortes chances que le statu quo l’emporte.
Sur ce sujet, si l’inflation « core » reste assez stable, l’indice des prix global a tendance à remonter sous l’effet de la hausse des prix de l’énergie, mais aussi de la hausse des salaires, qui ont progressé de 3,0 % en rythme annuel. Le constat est similaire en zone Euro, où les salaires ont tendance à accélérer dans les pays où le chômage est bas et dans lesquels il y a une pénurie de main-d’oeuvre qualifiée. Dans ce contexte de risque à la hausse des pressions inflationnistes, les obligations indexées (couvertes contre le risque de taux) constituent un actif de protection qui pourrait être efficace dans un portefeuille obligataire. En ce qui concerne la direction des taux d’intérêt longs, nous pensons que le rendement du Bund allemand à 10 ans pourrait revenir en territoire positif au cours des prochains mois et se stabiliser autour de 0,0 %. Il faudrait une accélération économique supplémentaire pour que les rendements montent davantage, ce qui n’est pas encore visible.
Aux États-Unis, notre raisonnement est proche et le rendement du T-Notes 10 ans pourrait revenir dans la zone de 2,0 % de rendement et se stabiliser autour de ce niveau. Concernant les obligations d’entreprise, les mieux notées du segment « Investment Grade » offrent peu de potentiel de rendement et ne nous semblent pas attractives, même si les spreads peuvent encore se réduire de quelques points de base avec l’amélioration macroéconomique. Pour le segment « High Yield », les rendements en absolu se situent globalement autour de 3,0 % selon les paramètres pris en compte pour le calcul, ce qui est assez faible mais intéressant en relatif.
Nous pensons qu’il convient de commencer à constituer des portefeuilles dans une stratégie de « Buy and Hold » sur des horizons de 3 ou 4 ans, quitte à renforcer en cas de tension ponctuelle. Sur les obligations émergentes en monnaies locales, les flux reviennent après les tensions sur les devises de ces derniers mois. Il s’agit de fait de l’un des derniers segments à offrir des rendements significatifs (autour de 5,0 % dans l’ensemble), avec des monnaies qui ne paraissent pas trop chères et qui pourraient bénéficier du manque d’orientation du dollar. La monnaie américaine risque en effet d’être plus faible cette année, par manque de catalyseur supplémentaire. Nous pensons qu’elle pourrait revenir dans la zone 1,15/1,20, ce qui serait une bonne nouvelle pour les actifs émergents dans l’ensemble, et aussi pour l’or. L’or présente actuellement plusieurs attraits.
Tout d’abord, les Banques Centrales sont revenues à l’achat sur l’or afin de constituer une diversification de leurs réserves de change. Ceci semble important à l’heure où la question de la valeur intrinsèque des monnaies peut se poser dans un contexte d’endettement public (et privé aussi d’ailleurs) record et de politiques monétaires innovantes, dont nous ne savons pas trop quelles en seront les conséquences à long terme. D’autre part, l’or permet de couvrir plusieurs scénarios de risque potentiels : valeur refuge en cas de crise géopolitique plus importante qu’anticipé, et regain significatif d’inflation. Et dans un contexte de taux réels négatifs, le coût de détention n’est pas prohibitif.
Après une forte accélération depuis le mois de décembre, l’once d’or se situe dans une phase de consolidation qui pourrait l’amener vers la zone de 1 500/ 1 550 dollars, niveaux d’achat selon nous.
2019 a été une très belle année de performances pour les actions, mais cela a été au final une année d’expansion des multiples de valorisation, parallèlement à la forte détente des taux d’intérêt qui a renchéri mécaniquement le prix de tous les actifs. Les marchés actions ont ainsi gagné dans l’ensemble entre 25 % et 30 % avec des profits quasi stables ou en très légère progression. Le PER 2019 de l’indice S&P 500 (donc sur des résultats quasi connus) se situe donc aujourd’hui à près de 20. Le même exercice sur l’indice EuroStoxx donne un multiple de près de 16 sur les résultats quasi connus de 2019. La poursuite d’une hausse significative des marchés actions nous semble donc aléatoire, surtout si les taux remontent légèrement. Cela nécessiterait un relais solide des croissances de bénéfices. De ce point de vue, les estimations de début d’année (autour de 10 % de progression aux États-Unis et en Europe) paraissent un peu optimistes et peu compatibles avec une croissance économique positive certes, mais modérée.
Une progression comprise entre 0 % et 5 % paraît à ce stade le scénario le plus raisonnable et crédible. Dans ces conditions, nous voyons peu de potentiel sur les grands indices, d’autant plus qu’ils ont rarement été aussi concentrés : par exemple, les 5 premières capitalisations de l’indice S&P 500 représentent près de 18 % de l’indice. C’est aussi le cas pour les indices européens : par exemple, le luxe et le cosmétique représentent plus de 30 % de l’indice CAC 40. En revanche, les actions sont intéressantes actuellement pour le rendement de leurs dividendes, qui sont supérieurs aux rendements obligataires, ce qui est le paradoxe de la situation actuelle. Le rendement des dividendes est de l’ordre de 3,5 % sur les actions européennes et de 2,0 % sur les actions américaines.
Notre scénario central
En synthèse, nous sommes dans une phase de croissance en amélioration, mais qui restera assez « molle », reflet du potentiel naturel des économies des grands pays, Chine comprise. Dans ce contexte, une forte progression des bénéfices des entreprises semble peu probable. Compte tenu du renchérissement significatif des valorisations, il y a peu de potentiel de progression significative des indices boursiers. Reste que les actions sont intéressantes pour leur rendement et qu’il y a peu d’alternative. Nous anticipons donc des marchés sans grande tendance, avec quelques phases plus volatiles liées potentiellement à des événements politiques. Il conviendra de les mettre à profit pour investir…