
Au Népal, la jeunesse a fait chuter le gouvernement après l’interdiction de 26 réseaux sociaux. Une insurrection numérique, symbole d’une fracture générationnelle mondiale. En France, les débats sur la régulation du web résonnent étrangement. Et si la démocratie de demain se jouait dans les algorithmes plutôt que dans les urnes ?
Une insurrection née d’un clic
Fin août 2025, Katmandou s’est embrasée.
Le gouvernement népalais, dirigé par K. P. Sharma Oli, a choisi d’interdire 26 plateformes de réseaux sociaux : Facebook, Instagram, X, TikTok, YouTube, WhatsApp… tout un pan de la communication mondiale rayé d’un décret.
Ce n’était pas un conflit territorial, ni un affrontement religieux.
C’était un choc générationnel, entre une élite politique déconnectée et une jeunesse privée de sa voix.
Les étudiants, les jeunes travailleurs, les créateurs de contenu se sont mobilisés pour défendre leur espace d’expression.
Ce mouvement, rapidement baptisé « Révolution Gen Z », a pris une ampleur historique.
Les chiffres d’une révolte générationnelle
- 26 plateformes interdites par décret.
- 19 morts dès les premiers jours de répression.
- 170 000 jeunes mobilisés, selon les ONG locales.
- 70 morts au total, et la démission du Premier ministre le 9 septembre 2025.
- De nouvelles élections prévues pour mars 2026.
Derrière ces chiffres, une évidence : cette jeunesse n’était pas manipulée par un parti ou une idéologie.
Elle était animée par le rejet du népotisme, de la corruption et de l’immobilisme.
Les slogans ciblaient les « Nepo Kids » – les enfants de ministres et d’élites, perçus comme les héritiers d’un système verrouillé.
Un cri d’émancipation numérique
Le mouvement népalais a prouvé que, pour la génération Z, les réseaux sociaux ne sont pas un loisir, mais une respiration démocratique.
C’est par eux que circule l’information, que se tisse la solidarité, que s’expriment les colères et les espoirs.
En coupant ces canaux, le gouvernement a voulu éteindre le feu ; il a soufflé sur les braises.
Privée d’Internet, la jeunesse a transformé les rues de Katmandou en agora :
les places publiques ont remplacé les timelines,
les slogans ont remplacé les stories,
et la rue a remplacé le flux numérique.
Ce soulèvement, à la fois politique et symbolique, interroge tous les pouvoirs du monde :
que se passe-t-il quand l’expression numérique devient un droit fondamental ?
France : la tentation du contrôle doux
À 7 000 kilomètres de là, la France regarde ce mouvement avec une gêne certaine.
Le débat sur la régulation des plateformes numériques s’intensifie :
sécurité, désinformation, protection des mineurs, responsabilité algorithmique…
Autant de préoccupations légitimes qui, mal dosées, peuvent devenir des instruments de contrôle politique.
Ces derniers mois, plusieurs initiatives ont marqué cette tendance :
- Le renforcement de la loi SREN (Sécurité et Régulation de l’Espace Numérique).
- De nouvelles restrictions d’accès pour les mineurs.
- Des pouvoirs élargis à l’ARCOM pour suspendre ou sanctionner les comptes.
- Et, en toile de fond, la volonté de certains élus de « rééquilibrer le débat public en ligne ».
Sous couvert de bienveillance, se dessine une forme de « contrôle doux » de la parole citoyenne.
Un encadrement progressif, souvent justifié par de bonnes intentions, mais qui risque de confondre régulation et limitation.
La frontière est fine entre protéger et censurer.
Et, à mesure que les gouvernements multiplient les garde-fous, la jeunesse perçoit un risque d’étouffement démocratique.
Quand l’Histoire bégaie
L’épisode népalais a valeur de parabole.
Le pouvoir pensait pouvoir gouverner sans écouter ; la jeunesse lui a rappelé que le silence imposé n’est jamais durable.
À chaque époque, les moyens changent, mais la mécanique reste la même : quand les canaux d’expression se ferment, la rue devient le dernier espace d’écoute.
En France, les signaux faibles sont là :
une défiance croissante envers les institutions,
une jeunesse désabusée, politisée autrement,
et un pouvoir parfois tenté de « moraliser » la parole numérique.
Personne ne parle de révolution.
Mais le terrain est fertile :
inflation démocratique, fracture générationnelle, sentiment d’un dialogue vertical entre gouvernants et gouvernés.
Les parallèles sont troublants : ce que Katmandou a vécu dans la rue, Paris le vit dans les forums, les communautés Discord, les comptes militants ou les vidéos TikTok.
La jeunesse s’exprime ailleurs, autrement — mais elle s’exprime.
Leçon de Katmandou : l’oxygène démocratique
Le Népal rappelle une vérité essentielle : dans le XXIᵉ siècle, réseaux sociaux = respiration démocratique.
Les couper, c’est priver un peuple d’oxygène.
Les contrôler, c’est tenter d’écrire l’Histoire à la place de ceux qui la vivent.
Les pouvoirs publics, qu’ils soient asiatiques ou européens, peuvent tirer une leçon simple :
la liberté d’expression numérique n’est plus une extension de la démocratie — elle en est le cœur battant.
Tenter de la limiter, c’est risquer de transformer la défiance en révolte.
Le « printemps numérique » n’est pas terminé.
Il s’est simplement déplacé.
Des places de Katmandou aux débats français sur la SREN, la même question résonne :
qui contrôle la parole dans un monde où chacun peut devenir média ?
Et si, demain, les hashtags remplaçaient les pavés ?
À lire aussi : ESG et ISR : 2025, l’année de la consolidation pour les fonds immobiliers








