Matthieu Silva Santos, directeur de l’investissement responsable chez Goodvest a échangé avec Bruno Boggiani, CEO de Green Strateggyz. Un échange mettant en lumière la récente décision controversée de l’initiative Science Based Targets (SBTi) d’envisager l’utilisation de crédits carbone pour la réduction des émissions du Scope 3. Cet échange explore les implications de cette décision sur les objectifs climatiques et la crédibilité des stratégies de décarbonation.
Réduire avant de compenser
Voilà le credo que chaque acteur économique devrait adopter pour atteindre les ambitions de l’Accord de Paris. Cependant, la décision récente de l’initiative Science Based Targets (SBTi) d’envisager l’utilisation de crédits carbone pour la réduction des émissions du Scope 3 semble aller à l’encontre de cette philosophie essentielle. Que faut-il penser de cette décision ? Matthieu Silva Santos, directeur de
l’investissement responsable chez Goodvest, revient sur les objectifs et le fonctionnement de SBTi ainsi que les conséquences d’une telle décision.
Une initiative robuste ébranlée par un coup de tonnerre
Depuis sa création, le SBTi s’est positionné comme un précurseur et LA référence en incitant les entreprises à élaborer des objectifs climatiques alignés sur la science. Là où les objectifs du secteur privé n’étaient pas directement reliés aux connaissances scientifiques, le SBTi permettait justement de valoriser l’engagement des entreprises à se fixer une stratégie climatique crédible et des objectifs fondés sur la science. Depuis 2015, plus de 5 000 entreprises au niveau mondial ont ainsi pu faire valider leurs stratégies climatiques à moyen et à long terme par l’initiative SBTi. Néanmoins, cette noble intention a été récemment remise en question.
Le 9 avril dernier, l’annonce du conseil d’administration du SBTi a suscité un tumulte sans précédent. L’éventuelle intégration des crédits carbone dans l’élaboration des plans de réduction des émissions de gaz à effet de serre (et notamment du scope 3) serait une véritable concession aux entreprises les plus polluantes, leur permettant d’acquérir le tampon “SBTi” sans réaliser de véritables efforts de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.
Les crédits carbone, une solution de facilité
Le principe des crédits carbone est simple : il s’agit de compenser ses émissions de gaz à effet de serre par l’achat de crédits issus de projets qui permettent de les diminuer “indirectement”, comme des projets de reforestation. L’objectif est louable. Néanmoins, cette méthode doit être envisagée dans un second temps pour compenser les émissions ne pouvant être évitées, c’est-à-dire après avoir mis en place une stratégie crédible de réduction de leurs émissions.
Or, en permettant l’utilisation des crédits carbone de manière élargie, le SBTi donne l’impression de placer la compensation comme un pilier de la décarbonation, indépendamment de la réduction effective de l’empreinte carbone.
Autoriser les entreprises à s’aider des crédits carbones pourrait potentiellement remettre en question la crédibilité non seulement des entreprises concernées mais aussi de l’initiative SBTi elle-même, en laissant penser que des raccourcis sont possibles dans la lutte contre le changement climatique. Encore faut-il que la compensation carbone soit efficace.
À ce titre, une enquête publiée en 2023, par des journalistes de The Guardian, Die Zeit et SourceMaterial, démontrait que 90% des crédits carbone REDD+ du plus gros label de compensation du monde n’avaient en réalité aucun impact positif sur le climat. Ce constat soulève des doutes sérieux sur l’efficacité de ces mécanismes, souvent perçus comme des palliatifs permettant aux entreprises de “payer pour polluer”.
Vers une perte de confiance des particuliers
Il est impératif de revenir à l’essence de ce que devrait être une stratégie de décarbonation : une série de réductions tangibles et mesurables des émissions de gaz à effet de serre. La compensation carbone n’implique pas une réduction absolue des émissions de GES et ne peut pas se substituer à la réduction des émissions de GES.
La compensation ne doit arriver qu’à la fin de la stratégie pour compenser les émissions qui ne peuvent pas être éliminées, à savoir les émissions non évitables. Seules les vraies réductions d’émissions de scope 1, 2 et 3 peuvent être comptées comme un progrès vis-à-vis des objectifs internationaux. Réduire avant de compenser n’est pas seulement une stratégie ; c’est une nécessité si l’on souhaite préserver l’intégrité et la crédibilité de notre engagement contre le changement climatique.
L’introduction de ces nouvelles règles pourrait éroder la confiance des citoyens et des investisseurs envers des initiatives qui se veulent gages de confiance. Alors que ces reconnaissances sont utiles pour orienter les choix des particuliers, alors que le label ISR vient de gagner en crédibilité et que l’Europe s’efforce d’établir un cadre clair et harmonisé grâce à la taxonomie européenne, des décisions comme celles-ci sont un pas en arrière.
Nous avons besoin d’initiatives qui encouragent les réelles réductions d’émissions, et non qui offrent des échappatoires. Seul un cadre strict et authentiquement basé sur la science peut garantir la transition vers une économie bas carbone.
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