La crise du coronavirus a vu certaines sociétés de premier rang monter au créneau pour offrir leur soutien. Schroders a tenté de comprendre ce que cela signifie pour l’investissement durable et envisagé la possibilité d’un nouveau contrat social :
L’investissement durable s’est développé de manière exponentielle ces dernières années. Aux États-Unis, les flux nets vers les fonds durables ont atteint 20,6 milliards de dollars en 2019, soit plus de quatre fois le record annuel établi en 2018. Pourtant, la question de savoir comment ce segment se comporterait en cas de récession suscite une certaine nervosité depuis longtemps déjà – de la part des clients et, à vrai dire, des gérants de portefeuille également.
En termes de performance, nous avons longtemps soutenu que les entreprises durables enregistreraient des pertes inférieures en raison de la moindre incidence des controverses et des erreurs professionnelles, de la fidélité plus importante des clients, des employés et même des actionnaires, et de bilans généralement plus prudents.
Une autre question était de savoir si les détenteurs d’actifs continueraient de demander des fonds durables n période de récession, ou si l’investissement éthique est un luxe associé aux marchés haussiers.
La crise actuelle donne une douloureuse occasion de tester ces hypothèses
Jusqu’à présent, les faits constatés semblent encourageants. Même si nous restons sceptiques à l’égard des fonds ESG passifs, il est intéressant de constater que les indices MSCI ESG Leaders ont surperformé leurs homologues traditionnels dans la plupart des régions. Au Royaume-Uni, l’indice FTSE 100 ESG Leaders a subi un repli de -27,3 % depuis le début de l’année, contre -33,7 % pour l’indice FTSE 100 (source : BofAML European Equity Strategy, Bloomberg, au 24 mars 2020). L’indice MSCI ESG Leaders cible les sociétés présentant la meilleure performance ESG dans chaque secteur de l’indice parent.
Les recherches de BofAML montrent également que les 20 % des valeurs les plus ESG ont surperformé le marché américain de plus de cinq points de pourcentage lors de la récente correction (voir la ligne bleue du graphique ci-dessous). Il il ne s’agit pas seulement d’un biais sectoriel (les valeurs ESG sont moins susceptibles de faire partie du secteur de l’énergie, mais plutôt des biens de consommation courante/santé), mais d’une tendance qui persiste sur une base corrigée du secteur (cf. ligne verte).
Surperformance des 20 % des titres les mieux notés en matière ESG par rapport au marché actions américain
Source : Sustainalytics, FactSet, BofA US Equity and Quant Strategy, 25 mars 2020.
Cela s’explique en partie par le fait que les leaders ESG ont jusqu’à présent enregistré des baisses des bénéfices par action (BPA) plus faibles que les sociétés en retard sur les problématiques ESG. Ceci se reflète dans le graphique ci-dessous, qui rend compte des baisses du bénéfice par action au sein des entreprises américaines.
Les entreprises aux faibles scores ESG ont subi de plus fortes révisions à la baisse des BPA
Source : Refinitiv, Sustainalytics, IBES, BofA US Equity & Quant strategy. Le graphique représente le consensus sur les révisions de BPA pour l’année 2020 en cours, réalisées entre le 19 février et le 20 mars.
Les actifs ESG semblent également se montrer plus résilients en termes de flux d’investissement. Le graphique ci-dessous indique que les fonds indiciels cotés ESG ont enregistré des sorties de capitaux plus faibles le mois dernier, avec des flux nets qui demeurent positifs depuis le début de l’année par rapport aux sorties de capitaux enregistrées pour l’ensemble des actions.
Les encours ESG toujours en hausse depuis le début de l’année
Source : BofA Global Research, Bloomberg, 25 mars 2020. Le graphique représente les ETF ESG comparés aux ETF sur le S&P500.
En outre, il nous semble que cette crise a en réalité augmenté la visibilité et l’importance perçue des pratiques durables des entreprises. Dans un contexte d’actualité anxiogène et de perturbation sans précédent de notre vie quotidienne, nous repensons tous nos valeurs et nos priorités personnelles.
Le traitement des parties prenantes fait la une de l’actualité
De même, le rôle des entreprises à l’égard de la société dans son ensemble et le traitement des parties prenantes sont devenus des sujets de conversation quotidienne. Comme l’a écrit le président du Forum économique mondial dans le Financial Times, « la crise du Covid-19 est un test décisif qui montre qui a semblé adhérer au capitalisme des parties prenantes sans fournir les efforts nécessaires. »
Le traitement réservé par les entreprises à leurs clients, leurs employés et leurs fournisseurs est plus que jamais au centre de l’attention. Au-delà des pressions gouvernementales pour préserver les emplois, une importance particulière est accordée à la façon dont les entreprises traitent leur personnel en ces temps tumultueux.
On peut raisonnablement s’attendre à ce que les entreprises dont les efforts sont reconnus bénéficient d’une plus grande fidélité de leur personnel et attirent de nouveaux candidats après la crise. À l’inverse, les salariés pourraient quitter leur employeur s’ils ont le sentiment que celui-ci les a abandonnés pendant la crise (dès qu’ils pourront se le permettre). Les travailleurs pourraient se montrer moins enclins à céder sur la flexibilité en faveur de la sécurité, et rechercher un employeur qui offre des avantages solides plutôt qu’un salaire élevé.
Or chaque collaborateur est également un consommateur, aussi nous pourrions également voir les parts de marché revenir aux entreprises considérées comme ayant « fait leur part » pendant la crise. Les entreprises qui ont de bonnes relations et une bonne visibilité au sein de leur base de fournisseurs seront plus en mesure de gérer leur fonds de roulement et de minimiser les perturbations de leur activité.
Plus généralement, nous avons constaté que le secteur public et le secteur privé unissaient leurs forces pour protéger leurs communautés ; les gouvernements s’appuient sur les entreprises pour faire appliquer les directives relatives à l’accumulation des stocks, à la distanciation sociale, etc., et utilisent les capacités et les actifs du secteur privé pour répondre aux besoins de la population.
En contrepartie, les gouvernements et les organismes de réglementation accordent des allégements au secteur privé, par exemple en subventionnant les salaires ou en accordant des allégements fiscaux. Nous assistons à l’émergence d’un nouveau « contrat social », qui, nous l’espérons, fera évoluer les relations entre secteur public et secteur privé après le maintien d’une rhétorique anticapitaliste ces dernières années.
JUST Capital a observé la réaction des 100 plus grands employeurs américains face à la crise (cf. graphique ci-dessous) : seuls 36 % ont payé les congés maladie et 28 % ont garanti le maintien de la rémunération horaire des salariés. Dans le même temps, seuls 6 % d’entre eux se sont engagés à réduire les salaires des cadres dirigeants, et nous avons même constaté que des entreprises accordaient d’énormes primes à ces derniers tout en menant des actions de lobbying pour le soutien de l’État. Les mauvais élèves sont de plus en plus souvent nommés et pointés du doigt dans la presse, et pourraient se voir refuser l’accès aux fonds de secours du gouvernement.
Comment les plus grands employeurs américains répondent à la crise du Covid-19
Source : JUST Capital, 25 mars 2020.
Notre directeur général a mentionné l’importance du contrat social, et nous engagerons le dialogue avec nos sociétés en portefeuille afin de nous assurer qu’elles se comportent de manière appropriée. Nous reconnaissons également que la peine doit être partagée par les actionnaires, sous forme de baisse des cours des actions, de réductions des dividendes et d’augmentations de capital. En tant qu’investisseurs à long terme, nous sommes engagés à soutenir les entreprises pour lesquelles nous pensons que la croissance et les bénéfices perdureront au-delà de la crise.
Ci-dessous figurent de bons exemples d’entreprises qui se soucient de leurs parties prenantes et apportent un soutien face à la crise. Celles-ci méritent d’autant plus d’être mises en avant qu’elles ne sont pas (encore) légion.
Que font les entreprises pour aider à lutter contre la crise ?
Mannat Chopra, analyste durabilité, Actions européennes et Scott MacLennan, gérant actions européennes :
- LVMH a réorganisé ses usines de cosmétique en France pour produire du gel hydro alcoolique gracieusement offert aux hôpitaux français et aux collectivités locales. Cette transition a été relativement facile pour le conglomérat de luxe français, car ses usines étaient déjà approvisionnées en eau oxygénée, éthanol et glycérine – les trois principaux ingrédients du désinfectant pour les mains.
- La société pharmaceutique Novartis donnera 130 millions de doses d’hydroxychloroquine, un médicament antipaludique faisant actuellement l’objet d’essais cliniques en vue de servir de traitement potentiel contre le coronavirus. Novartis a également fait part de son désir de travailler avec l’Organisation mondiale de la santé pour déterminer quels canaux de distribution permettront de garantir un accès étendu aux patients qui ont le plus besoin de ce médicament à l’échelle mondiale.
- À un moment où l’accès aux conseils médicaux est essentiel, Vodafone offre à tous les clients mobiles britanniques un accès gratuit aux sites Web du NHS tels que nhs.uk et www.111.nhs.uk. Les clients peuvent accéder à ces sites sans utiliser leurs volumes de données, quel que soit leur mode de paiement. En outre, Vodafone a ajouté des capacités supplémentaires à ses réseaux à haut débit et mobiles pour pourvoir à la demande à l’heure où le nombre de télétravailleurs est en augmentation.
Jonathan Fletcher, analyste spécialisé sur les actions des marchés émergents :
- Alibaba soutient nombre de parties prenantes dans le cadre de la crise Covid-19. L’enseigne a pris des mesures pour aider les petites et moyennes entreprises chinoises, notamment en renonçant aux frais, en proposant des crédits avec des taux d’intérêt faibles, voire nuls, et en subventionnant la logistique pour les livraisons. Alibaba a également fourni des outils de télétravail pour aider les entreprises à faire face aux perturbations. En outre, en dehors de la Chine, l’entreprise a également fourni des technologies d’IA et des services de cloud computing gratuits aux chercheurs et aux médecins pour les aider à faire des prévisions concernant l’épidémie, des diagnostics accélérés et à développer des traitements contre le virus.
Un certain nombre d’autres entreprises chinoises ont apporté un soutien à ceux en ayant plus directement besoin pendant la pandémie. Ces aides comprennent des dons de plus de 100 millions de dollars de produits laitiers de la part de China Mengniu, un fonds de soutien de 200 millions de dollars constitué par Tencent et la fourniture de services logistiques par SF Holdings pour expédier plus de 3 000 tonnes de fournitures d’urgence vers la région de Wuhan. Un soutien considérable et de natures variées a été apporté dans la lutte contre le virus.
Katherine Davidson, gérante actions internationales :
Au Royaume-Uni, l’exemple le plus flagrant a été celui des supermarchés, qui ont fait de leur mieux pour appliquer les directives du gouvernement relatives à la distanciation sociale afin de protéger les clients et le personnel. (Mon Waitrose local applique une politique de « un client qui entre = un client qui sort » et a apposé des marques tous les 2 mètres pour la file d’attente extérieure). Les entreprises auront certes tiré un avantage financier de l’accumulation des stocks le mois dernier, mais elles agissent également dans l’intérêt national en rationnant certains articles et en limitant l’accès à leurs magasins aux personnes âgées et au personnel soignant pendant la première heure d’ouverture.
- Comme beaucoup de personnes confinées chez elles l’auront remarqué, Netflix et YouTube ont convenu de réduire la qualité des flux en Europe pendant au moins un mois, répondant aux appels des représentants de l’UE pour soulager la pression sur les réseaux à haut débit.
- Microsoft, premier du classement de JUST Capital, participe au maintien de la carte interactive de Johns Hopkins permettant de tracer le coronavirus, et fournit aux enseignants un accès et une formation à son programme Teams pour faciliter l’enseignement à distance.
- La compagnie de transport maritime Maersk offre un accès à ses navires et à sa capacité de fret pour le transport de fournitures d’urgence, ainsi que le maintien ou la création de voies de navigations qui ne sont pas commercialement viables.
- Les infrastructures d’Amazon sont devenues de plus en plus importantes à l’heure où les citoyens sont confinés chez eux et où les rayons des supermarchés sont vides. La société a réagi en donnant la priorité aux articles essentiels au sein de ses entrepôts. Cependant, comme à l’accoutumée, on constate des frictions autour de la gestion de la main-d’œuvre d’Amazon. Les employés de certains pays se sont plaints qu’en ne clôturant pas les entrepôts, l’entreprise ne prenait pas suffisamment de mesures pour les protéger contre l’infection. Mais Amazon essaye tant bien que mal d’équilibrer les besoins des clients et ceux du personnel compte tenu de l’envolée de la demande. L’enseigne a déclaré avoir recruté 100 000 nouveaux employés et avoir augmenté les salaires de 2 $/heure pour tous les employés nouveaux et existants.
Ce qui précède n’est en aucun cas une liste exhaustive des entreprises qui font leur possible pour soutenir la société face à cette crise, mais donne un aperçu de la façon dont les entreprises des différents secteurs et régions réagissent. La situation d’urgence actuelle met en lumière ces types d’actions.
En tant qu’investisseurs, notre rôle reste le même : nous nous efforçons d’identifier les entreprises qui ont le meilleur potentiel de croissance durable sur le long terme, porté par de solides relations avec leurs parties prenantes. Nous avons longtemps soutenu que les « entreprises n’opèrent pas en vase clos » – cela n’a jamais été aussi vrai.
Une analyse de Schroders