Le 4 octobre 2022. Du solaire aux batteries en passant par l’hydrogène, aucune solution énergétique n’a de secret pour Florence Lambert.
Une énergie sans cesse renouvelée
Qui est Florence Lambert ?
Après avoir œuvré à développer les énergies renouvelables au CEA, elle dirige aujourd’hui l’entreprise Genvia, créée en 2021 par l’industriel Schlumberger, le CEA et leurs partenaires. Objectif : industrialiser la fabrication d’électrolyseurs haute température pour produire en masse de l’hydrogène décarboné, une première en France, et contribuer ainsi à atteindre les objectifs de neutralité carbone à horizon 2050. Des enjeux totalement en phase avec les convictions de sa présidente, déterminée à mettre le savoir-faire technologique d’excellence du CEA au service de la transition énergétique.
Florence Lambert partage ses semaines entre Grenoble et Béziers. Avec parfois des sauts de puce à Paris, comme aujourd’hui au Salon Hyvolution, rendez-vous incontournable des acteurs de l’hydrogène, où elle enchaîne les rendez-vous. Son temps est compté à la seconde près. Ce rythme effréné ne l’empêche pas de rester souriante et enthousiaste avec chacun de ses interlocuteurs. Surtout lorsqu’elle se met à parler de son entreprise novatrice qui a pour vocation de décarboner les industries : aciéries, cimenterie et chimie.
Genvia est un modèle unique de partenariat privé-public. D’un côté, 40 brevets développés au CEA. De l’autre, les savoir-faire de l’usine Schlumberger à Béziers. Ça, c’est pour l’attelage. Mais pour rentrer dans une trajectoire industrielle et permettre davantage de rendement, il faut un cavalier. Ou plutôt une cavalière. « C’est un message fort de mettre une ancienne chercheuse à sa tête », admet la présidente.
Sa nomination n’est pas que le fruit d’un consensus. Elle s’appuie aussi sur les compétences et la vitalité communicative de cette femme de 49 ans. Depuis 22 ans au CEA, la chercheuse a su prendre sa place dans un milieu majoritairement masculin.
Une soif d’apprendre et de comprendre
Sa vocation remonte à ses années collège à Grenoble, où elle est née. Quand d’autres de son âge se passionnent pour le ski alpin, elle rêve d’énergie et de technologie. Visiter une centrale hydroélectrique en Tarentaise la fascine. « Fille d’ouvrier et première génération à avoir le bac, je n’étais absolument pas conditionnée, reconnaît-elle. Mais je voulais comprendre l’atome, la matière et l’énergie. »
Cette soif de connaissance guide toutes ses études jusqu’à un doctorat en électrochimie. Curieuse et bosseuse, Florence Lambert est aussi une pionnière. En témoigne son sujet de thèse financée par l’Ademe, le premier en France et au CEA sur le stockage des énergies renouvelables. « En 1996, ce n’était pas du tout au cœur de la stratégie du CEA », rappelle-t-elle. Elle quitte alors sa ville natale de Grenoble pour rejoindre le centre CEA de Cadarache, où elle commence à creuser le sillon des énergies renouvelables. « C’est un peu l’histoire de ma vie », sourit la bâtisseuse.
« Depuis sa thèse jusqu’à sa prise de fonction à Genvia, Florence est une actrice du futur, confirme Patrice Tochon, proche collaborateur au CEA de Grenoble qui l’a suivie chez Genvia pour prendre la fonction de responsable de la R&D. Les énergies renouvelables sont ancrées en elle. C’est elle qui a influé et orienté pour que l’hydrogène soit considéré. Les graines qu’elle a semées font le Genvia d’aujourd’hui et la filière nationale hydrogène de demain. »
Son carburant : l’énergie
Précurseur oblige, Florence Lambert est une fonceuse qui carbure à l’énergie. « C’est mon moteur. Je crois en la complémentarité de toutes les énergies. Mais ce qui m’interpelle surtout, c’est l’impact de l’énergie sur les populations, souligne-t-elle. Son adrénaline ? « Des projets novateurs dans lesquels j’embarque des femmes et des hommes, s’anime-t-elle les yeux brillants. Je vis de ça. » Cette appétence, elle la découvre à peine embauchée en 2000 comme ingénieur-chercheur au CEA de Cadarache et la transforme en compétence. « Je voulais bouger, ne pas en rester là, décrit-elle avec un enthousiasme qui semble inépuisable. J’ai entraîné un laboratoire de Fribourg pour répondre à un appel d’offres en Allemagne. Nous avons proposé une vision coordonnée de nos deux laboratoires pour apporter des solutions au stockage des énergies renouvelables. Notre dossier a été retenu par le ministère de la Recherche allemand et nous avons décroché un financement. »
Du management par l’envie
De meneuse à manageuse, il y a une marche qu’elle gravit rapidement au sein du CEA en devenant cheffe de laboratoire à 29 ans. « En 2006, j’ai suivi Jean Therme, alors directeur de la recherche technologique et du centre CEA de Grenoble, à l’Institut national de l’énergie solaire (INES) à Chambéry. J’ai pu développer le laboratoire idéal pour travailler sur le stockage des énergies renouvelables. » Elle a aussi fait ses preuves, car trois ans plus tard, Jean Therme lui propose de prendre en charge la création d’un premier département de transport. Renault se lance alors dans les véhicules électriques et demande au CEA de développer une plateforme pour traiter le sujet de la batterie lithium. « J’ai carte blanche. Je pars de rien et je me retrouve à la tête d’une plateforme de 40 millions d’euros et de 200 personnes à manager. » À partir de 2013 – elle a alors 40 ans – c’est désormais 1 000 personnes qu’elle dirige à la tête du CEA-Liten, à Grenoble, laboratoire dédié à la transition énergétique et qu’elle ouvre sur l’hydrogène.
« Par son enthousiasme, elle entraîne les troupes, analyse Patrice Tochon qui était à l’époque chef de département au Liten et donc sous sa direction. Elle fait aussi beaucoup confiance en ses collaborateurs. Quand il y a des besoins de recadrage, elle sait aussi se montrer ferme mais sa façon de faire, c’est d’abord de « donner envie ». Quand on a une locomotive devant, on est aspiré et on avance. »
Inauguration de Genvia, 30 mars 2021. A gauche, Florence Lambert, Présidente de Genvia. A droite, Luc Mas, Directeur général de Cameron-Schlumberger. © F. Ardito
Une force puisée dans le socle familial
Son ascension fulgurante au sein du CEA a de quoi donner le vertige. Mais Florence Lambert a un remède implacable pour éviter de se brûler les ailes. « Je n’oublie pas d’où je viens », insiste la Grenobloise. Dans le socle familial, elle puise sa force, son intégrité mais aussi son sens du pragmatisme. « Mes parents, et c’est important, m’ont toujours permis de garder les pieds sur terre. C’est vrai que j’ai fait des choses incroyables mais ce n’est pas une raison pour perdre la tête. » Le regard rempli de gratitude, elle évoque comment, petite, sa mère canalisait subtilement son énergie mais aussi le long temps qu’a mis son père à être fier de son parcours. « Il a fallu attendre les articles du Dauphiné Libéré, sourit-elle . Et c’est bien. Ça m’a forgé. Je connais la réalité d’un ouvrier et je ne veux pas m’en déconnecter. » Cette source est une ressource qui lui permet d’avancer avec ses tripes, sans langue de bois et en préservant sa neutralité. Avec ténacité aussi. « Je n’ai pas le profil politique et je n’en ferai pas. Je ne peux pas faire de compromis. Soit la techno marche, soit elle ne marche pas », résume cet esprit pratique qui ne s’interdit pas en revanche de travailler avec des politiques, si cela peut faire bouger les lignes.
« Florence est un exemple de la méritocratie au sens noble du terme », commente son ami Christian Contzen. L’ancien directeur de Renault Sport l’a rencontrée en 2010, à l’époque où son laboratoire travaillait sur la batterie Lithium. Sincèrement admiratif de son parcours et « de ses compétences incontestées et incontestables », il avoue faire partie de son fan-club : « Elle a la capacité d’innover et de prendre des risques, ce qui est rare dans le contexte actuel. Face à des opposants, elle a cette faculté de défendre ses idées sans jamais vexer la personne en face d’elle. Elle sait aussi transmettre son énergie sans écraser les autres. »
Engagée dans la transition énergétique
Femme de convictions, la Grenobloise croit aussi dur comme fer au trio énergie, technologie et emploi pour réindustrialiser le pays comme l’illustre Genvia. Elle croit aussi à la transition énergétique. « C’est une opportunité d’emplois avec des trajectoires et du sens. C’est mon engagement. La transition énergétique, c’est aussi faire rêver les gens avec le projet Energy observer, navire qui a fait le tour du monde en utilisant uniquement des sources d’énergie renouvelable », argumente la marraine du bateau. En mars, elle a revêtu un nouveau costume, celui de membre de l’Académie des Technologies. Elle compte bien l’honorer en s’impliquant dans au moins deux nouveaux projets qui lui tiennent à cœur : susciter de nouveau des vocations dans la filière scientifique et rassembler les sciences en les décloisonnant.
Système électrolyseur – pile à combustible haute température réversible © D. Guillaudin/CEA