L’inaction politique se justifie principalement par le coût excessif de la transition écologique et sociale. Pourtant, des mesures simples permettraient de mobiliser rapidement des centaines de milliards d’euros pour financer les investissements fondamentaux pour atteindre la neutralité carbone.
L’objectif de l’accord de Paris, adopté en décembre 2015 par la COP21, est de maintenir l’augmentation de la température globale par rapport à l’ère préindustrielle. C’est-à-dire « bien en-dessous » de 2°C – en s’engageant à « continuer tous les efforts » pour la limiter à 1,5°C.
Le GIEC, dans son rapport sur le réchauffement planétaire de 1,5°C, estime que les activités humaines ont provoqué un réchauffement de 1°C par rapport à la température préindustrielle, qui continue d’augmenter à raison de 0,2°C par décennie. On en déduit qu’à ce rythme, le plafond de 1,5°C sera donc dépassé dans moins d’un quart de siècle, exacerbant les risques pour la santé, la sécurité alimentaire, la sécurité humaine et l’économie, notamment suite aux chaleurs extrêmes dans la plupart des régions habitées, aux précipitations intenses, aux sécheresses et à l’élévation du niveau de la mer.
Finalement, le GIEC conclut que limiter le réchauffement à 1,5°C implique de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’environ 45% en 2030 par rapport à 2010, dans le but d’atteindre des émissions nettes nulles dès 2050. Une telle perspective nécessite des transitions rapides et d’envergure en matière énergétique, industrielle, urbaine et d’infrastructures.
La nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est engagée à adopter un « Green New Deal » au cours des 100 premiers jours de son mandat, dans le but d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Les solutions pour relever un tel défi sont connues. Une conversion complète de nos modes de production et de consommation est nécessaire. Elle doit s’accompagner de mesures d’accompagnement social et d’une politique de lutte contre les inégalités.
Ce sont en effet les plus riches qui polluent le plus : les 10% les plus riches émettent près de la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Par contre, les plus pauvres, qui polluent le moins, sont les plus exposés aux dommages sociaux provoqués par ces crises, car leurs capacités d’adaptation aux crises environnementales sont faibles. En outre, comme l’a démontré Elinor Ostrom, les inégalités accroissent l’irresponsabilité environnementale des plus riches, alors que les sociétés plus égalitaires ont tendance à gérer les ressources de manière plus durable.
En définitive, la production d’énergie renouvelable, la rénovation et l’isolation du parc immobilier, le développement de moyens de transport durables, la protection sociale et, plus largement, la conversion écologique de nos économies nécessitent des investissements de plusieurs centaines de milliards d’euros au cours des prochaines décennies. Alors que les gouvernements sont soumis à la rigueur budgétaire et que l’économie n’est guère florissante, la question du financement de la transition est cruciale. L’argument du coût excessif de la transition est en effet le principal argument avancé pour justifier l’inaction. Pourtant, des solutions existent.
Employer LA BCE AU SERVICE DU CLIMAT
Outre l’instauration de taxes européennes sur le carbone, les transactions financières internationales et les profits des sociétés, ce Pacte propose de mettre la création monétaire au service de la lutte contre le dérèglement climatique, en incitant la Banque centrale européenne (BCE) à mettre à disposition de la Banque européenne d’investissement (BEI) des financements à taux zéro, en vue de financer un plan pluriannuel de 1 000 milliards d’euros pour la transition écologique. Le Pacte Finance-Climat européen propose ainsi plusieurs sources novatrices de financement.
Cette proposition originale pourrait facilement être mise en œuvre. La BCE a en effet lancé un programme d’assouplissement quantitatif qui a entraîné entre début 2015 et fin 2018 l’injection de 2 600 milliards d’euros dans l’économie européenne. Cette création monétaire a principalement consisté à l’achat par la BCE d’obligations d’Etat auprès d’institutions financières. Cette mesure exceptionnelle a eu pour aboutissement de réduire les taux d’intérêt et la pression sur les dettes publiques.
Toutefois, la reprise est restée faible et fragile, tandis que les liquidités injectées par la BCE ont également eu pour effet de nourrir de nouvelles bulles financières. En effet, en l’absence de politique de relance budgétaire, l’impact de l’austérité sur la demande a réduit les opportunités d’investissements, avec pour conséquence qu’une part considérable des nouvelles liquidités créées par la BCE sont restées dans les bilans des banques ou ont été investies dans des opérations risquées.
La proposition du Pacte Finance-Climat est de demander à la BCE d’acheter des obligations émises non plus par les banques, mais par la BEI pour financer des projets environnementaux. Cela impliquerait de transformer la BEI en une véritable Banque d’investissement pour le climat. Comme l’a dénoncé un rapport publié conjointement par les Amis de la Terre, Oxfam et le Réseau Action Climat, les investissements de la BEI dans les énergies fossiles ont représenté 21% de ses investissements dans le secteur de l’énergie entre 2015 et 2018. Il va de soi qu’une Banque pour le climat devrait cesser tout investissement dans les énergies fossiles.
La principale objection adressée par les économistes est qu’une telle création monétaire risque d’alimenter l’inflation. Pourtant, il existe une solution simple pour garantir que le financement par la BCE de la transition écologique ne crée pas la moindre inflation : il suffirait que la BCE remplace les anciennes obligations arrivées à échéance par de nouvelles obligations environnementales émises par la BEI. Il n’y aurait dans ce cas aucune création de nouvelle monnaie, et donc aucun risque d’inflation.
Cela aurait simplement pour effet de réorienter les fonds existants vers le financement de la transition écologique. Comme l’a souligné Paul De Grauwe : « Il est donc parfaitement possible pour la BCE d’utiliser l’instrument de création monétaire pour favoriser les investissements environnementaux sans mettre en péril la stabilité des prix. Pourquoi attendre plus longtemps ? »
Il est en effet possible de démarrer un tel programme dès maintenant : plus de 150 milliards d’euros d’obligations émises par la BCE dans le cadre de son programme d’assouplissement quantitatif arrivent à échéance en 2019. Il suffirait de les remplacer par des obligations vertes pour disposer de ces moyens pour financer la transition écologique. Une telle opération pourrait être répétée chaque année, avec pour effet de mobiliser sur une base pluriannuelle des centaines de milliards d’euros garantis sans inflation.
LES RÈGLES BUDGÉTAIRES doivent être révisées
Une telle mesure pourrait s’accompagner de projets financés par les investissements publics. Les taux d’intérêt sont en effet à un niveau plancher. Ils sont même passés en territoire négatif pour la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, qui peuvent donc s’endetter à dix ans sans frais. Or, selon le FMI, la conjonction du faible coût de l’endettement public, de la faiblesse de la demande et des besoins en infrastructures doit inciter les Etats à financer des projets par l’endettement public, car de tels investissements peuvent bénéficier à l’économie sans pour autant augmenter le poids de la dette.
Ce qui demeure problématique c’est que les règles budgétaires instaurées par l’Union européenne limitent les capacités d’endettement des Etats membres. Ces règles ne font en effet aucune distinction entre les dépenses courantes et les investissements, car elles imposent aux Etats membres de maintenir le budget en équilibre structurel – ce qui interdit de facto le financement des investissements publics par des obligations dont le remboursement est étalé sur plusieurs années.
C’est pourquoi Olivier Blanchard, ex-économiste en chef du FMI, recommande de revoir les règles budgétaires européennes. Cet avis est partagé par Jean Pisani-Ferry, selon qui la législation européenne qui régit la dette et le déficit public « ignore à la fois l’urgence écologique et, très largement, l’impact des taux d’intérêt sur la soutenabilité de l’endettement ». A défaut d’être en mesure d’adopter une telle réforme à court terme, l’Union européenne devrait au minimum exclure les investissements durables du calcul des déficits publics – ce qu’elle peut faire sans modifier les traités européens.
Finalement, l’argument du manque de moyens disponibles pour investir dans la transition écologique n’en est pas un. Des mesures simples pourraient être prises rapidement pour mobiliser des centaines de milliards d’euros. Il ne manque que la volonté politique.