Porter l’espoir d’un nouveau modèle de société

Climat : les 50 propositions de la convention citoyenne pour « porter l’espoir d’un nouveau modèle de société »

Logement, voitures, publicité, innovation : les mesures, que « Le  Monde » s’est procurées, doivent encore être amendées et votées par  l’assemblée plénière :


Comment « porter l’espoir d’un nouveau modèle de société », répondant tant au défi climatique que sanitaire et économique ?  Réunis en visioconférence les 3 et 4 avril, les membres de la  convention citoyenne pour le climat ont décidé d’envoyer, jeudi 9 avril,  cinquante pistes de mesures à l’exécutif mais sans les rendre  publiques. Les 150 Français ont sélectionné celles qui permettent de répondre à un  triple objectif : avoir un effet positif sur le climat, sur l’économie à  court ou moyen terme dans un esprit de justice sociale ainsi que sur la  santé et le bien-être des populations.

20 millions de logements à rénover

« Notre ambition, écrivent-ils, est de passer d’une  rénovation par petits gestes et à petits pas à une rénovation globale  (toit, isolation, fenêtres, chauffage et VMC), en multipliant par trois  le rythme des rénovations. »Cela  représente environ 20 millions de logements à rénover de manière  globale, dont environ 5 millions de « passoires thermiques », ainsi que  des bâtiments tertiaires et publics, qui devront atteindre un niveau de  performance énergétique A, B ou C.Les citoyens proposent tout d’abord de  rendre obligatoire la rénovation énergétique globale des bâtiments d’ici  à 2040, et d’ici à 2030 pour les « passoires thermiques », ces  logements étiquetés F et G pour leurs faibles performances énergétiques. Actuellement, la loi énergie-climat, promulguée en novembre 2019,  prévoit l’obligation de travaux dans les « passoires thermiques » à  partir de 2028, mais sans rénovation globale et avec des objectifs de  résultats moins ambitieux (pour atteindre au moins la classe E).Pour réaliser ce « grand chantier national », qui permettrait de créer des emplois, de réduire la facture énergétique  et les dépenses de santé, les citoyens proposent des leviers incitatifs  mais aussi des sanctions (par exemple un malus sur la taxe foncière),  et des mesures d’accompagnement comme une « aide minimum pour tous » et un réseau de guichets uniques.
Les citoyens souhaitent ensuite lutter contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain « de manière beaucoup plus efficace », afin d’agir en faveur de la biodiversité et de réduire les  consommations d’énergie liées aux déplacements. Il s’agirait notamment  de limiter, entre 2021 et 2030, le nombre d’hectares artificialisés par  commune au quart de ce qui a été artificialisé entre 2000-2020, de  stopper « immédiatement » les aménagements de nouvelles zones commerciales périurbaines « très consommatrices d’espaces » ou encore d’autoriser les réquisitions de logements et de bureaux vacants.


Interdire la vente de véhicules neufs très émetteurs

Les « 150 » se sont également attaqués au  chantier des transports et en particulier de la voiture individuelle,  qui représente 16 % des émissions de gaz à effet de serre du territoire.Pour  encourager d’autres modes de transport, le groupe « se déplacer »  propose de rendre obligatoire et d’augmenter (entre 500 et 1 800 euros  par an) la prime de mobilité durable prévue par la loi d’orientation des  mobilités pour qu’elle bénéficie à l’ensemble des Français qui  effectuent leur trajet domicile-travail à vélo ou par le biais du  covoiturage.Ils veulent  aussi augmenter les montants du fonds vélo de 50 à 200 millions d’euros  par an pour financer des pistes cyclables et interdire l’accès aux  centres-villes pour les véhicules les plus polluants. Les citoyens  souhaitent également accroître l’usage du train, notamment en réduisant  la TVA sur les billets de 10 % à 5,5 %.La convention propose de nombreuses mesures visant à faire évoluer  rapidement le parc automobile français, majoritairement thermique et  composé d’une part croissante de SUV. Il s’agit, entre autres,  d’interdire dès 2025 la commercialisation de véhicules neufs très  émetteurs (plus de 110 g de CO₂/km), de proposer des prêts à taux zéro  pour l’achat d’un véhicule propre et d’augmenter les bonus pour les  véhicules peu polluants et, dans le même temps, de renforcer « très fortement » les malus pour ceux qui polluent.

Création de fermes municipales

La crise sanitaire et ses effets sur le mode de vie, le confinement en  premier lieu, ont évidemment donné plus de force à l’une des mesures du  groupe de travail « se nourrir », avec le développement des circuits  courts. La mesure n’est pas nouvelle puisqu’elle figure déjà dans la loi  Egalim d’octobre 2018, mais, selon les citoyens de la convention, le  changement de pratiques est insuffisamment mis en œuvre. Ils souhaitent  promouvoir des outils comprenant « la création de fermes municipales et de plates-formes de regroupement des productions ». Il faut aussi, écrivent-ils, « utiliser  le levier de la commande publique pour valoriser les produits issus de  circuits courts, locaux, durables et à faible coût environnemental, sous  la forme d’un “guide d’achat” à adresser aux acheteurs publics ».Dans ce chapitre consacré à l’alimentation, les citoyens mettent encore  en avant le développement des pratiques agroécologiques, et de « renégocier le CETA [traité de commerce entre l’Union européenne et le Canada] au niveau européen ».


Réguler la publicité

La volonté de tourner la société vers des  modes d’alimentation et de production plus sains se retrouve aussi dans  les nombreuses propositions issues du groupe de travail « consommer ».  L’essentiel porte sur l’éducation et la formation du consommateur aux pratiques de « sobriété numérique », ainsi qu’à l’environnement et au développement durable. Afin d’« encourager la participation citoyenne », les membres de la convention proposent de décliner celle-ci dans de « miniconventions  citoyennes pour le climat, pour élaborer collectivement des  propositions concrètes pour l’environnement dans nos villes, nos  campagnes, nos quartiers, nos régions »…Surtout, les citoyens appellent à réguler la publicité pour « mettre un frein à la surconsommation ». Il s’agirait, dès 2023, d’interdire la publicité sur les produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre (« une sorte de loi Evin sur le climat ») mais aussi, de manière plus générale, de « limiter fortement les incitations quotidiennes et non choisies ».Les panneaux publicitaires seraient ainsi prohibés « dans les espaces publics extérieurs », hors l’information locale ou culturelle. De même, proposition est faite  que soit rendue obligatoire dans toutes les publicités une mention de  type « En avez-vous vraiment besoin ? La surconsommation nuit à la planète ».


Sortir de l’innovation pour l’innovation

La sortie de crise devrait aussi être  l’occasion, estiment les membres de la convention citoyenne, de  revisiter les modes de production et de travail. L’objectif est  d’accélérer la transition vers une économie décarbonée, un objectif  européen et français fixé à 2050. Pour l’atteindre, les citoyens proposent que « d’ici à 2025, tout soutien à l’innovation s’inscrive dans une logique de sortie d’un modèle basé sur le carbone ».  La recherche publique doit être financée dans les secteurs de  l’innovation ayant un intérêt environnemental et écologique. Il faut « sortir de l’innovation pour l’innovation ». Ainsi pointent-ils le passage de la 4G vers la 5G qui générerait plus de 30 % de consommation d’énergie carbonée en plus, « sans réelle utilité (pas de plus-value pour notre bien-être) ».Parmi  les cinquante propositions transmises, se trouvent aussi l’augmentation  de la longévité des produits et la réduction de la pollution liée aux  modes de production et de fonctionnement : écoconception, développement  des filières de réparation et de réemploi, du recyclage aussi, d’ici à  2023.Même si l’impact de  ces mesures est moins important sur les émissions de gaz à effet de  serre, elles touchent aux ressources et aux pollutions. Elles sont donc « emblématiques d’un changement de société que nous souhaitons », écrivent les conventionnels.

Par Audrey Garric et Rémi Barroux (publié par Joëlle Leconte)