Ulrich Gerhard, geérant du fonds BNY Mellon Global Short-Dated High Yield Bond Fund chez Insight Investment. Contrairement à une conception très répandue, l’investissement obligataire en tant que classe d’actifs permet de s’engager efficacement auprès des entreprises, notamment en ce qui concerne les thématiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG).
En ce qui concerne la mise en œuvre de changements au sein des organisations, beaucoup partent du principe que ce secteur est moins puissant que l’investissement en actions, alors que les investisseurs obligataires se focalisent généralement davantage sur la gestion des risques à long terme.
Depuis la création du marché il y a plus de 20 ans, l’investisseur en haut rendement (ou high yield) se concentre traditionnellement sur les « piliers » S et G et, de ce fait, les règles thématiques limitent ce qui est permis dans le cadre de notre documentation juridique standard. Il existe une forte corrélation entre mauvaise gouvernance et risque de défaillance, raison pour laquelle la culture d’une entreprise est depuis toujours au cœur de notre analyse. Cependant, une évaluation des risques à long terme qui ignore le changement climatique, le stress hydrique et les autres enjeux environnementaux est incomplète.
L’investissement en obligations d’entreprises high yield selon les critères ESG présente ses propres exigences. L’absence de rapports, de mesures et de notations uniformes ainsi que la moindre transparence et la rapidité d’adaptation des petites entreprises rendent le besoin d’engagement actif encore plus important dans le segment du haut rendement.
À la recherche de l’ESG dans les obligations d’entreprises high yield
Dans le segment obligataire, les critères ESG n’ont rien de nouveau pour les investisseurs. En ce qui concerne le crédit investment grade, l’évaluation du caractère approprié de la gouvernance d’entreprise est relativement simple, car les rapports transparents et la communication régulière nous permettent de connaître les principes des différentes sociétés, mais investir dans le segment high yield avec les mêmes exigences en matière d’analyse ESG rigoureuse constitue un défi quelque peu différent.
Un grand nombre d’entreprises dans le segment du haut rendement sont des sociétés privées beaucoup plus petites, ce qui pose la question de l’accès à des rapports ESG réguliers, quand ils ne sont pas purement et simplement inexistants. Cela ne signifie toutefois pas que l’alignement des critères ESG avec des investissements high yield est hors de portée, mais que cela nécessite un niveau d’engagement élevé.
Dans le haut rendement, les investisseurs représentent souvent la source de financement externe unique ou majoritaire d’une entreprise et de son équipe de direction. Dans de nombreux cas, nous formons un partenariat alors que l’entreprise grandit et, par conséquent, notre dialogue concernant les critères ESG est plus ouvert, plus détaillé et a plus d’impact.
En premier lieu, il est utile d’assimiler et d’analyser les données fournies par les agences de notation de crédit et les fournisseurs de données ESG. Une démarche plus avancée consiste à recourir à des analystes sectoriels qui poseront les bonnes questions en matière de thématiques ESG lors de leurs échanges directs avec les émetteurs. Il s’agit d’une opportunité unique d’encourager un changement de comportement des entreprises ou, si cela s’avère impossible, de s’assurer que les détenteurs d’actifs perçoivent une rémunération équitable pour les risques encourus.
En tant qu’investisseurs, nous sommes conscients des avantages qu’offre le développement de nos propres outils de modélisation du risque afin d’évaluer correctement les entreprises susceptibles d’être ajoutées au portefeuille. La première étape consiste à concevoir des questionnaires personnalisés et détaillés afin de comprendre la position de l’entreprise à l’égard de l’ESG et de la durabilité. La question de savoir si l’entreprise est sur la bonne voie en ce qui concerne le respect des exigences strictes des investisseurs pèse également dans la décision d’investir. Dans notre cas, si nous décidons de procéder à l’investissement, nous créons un programme d’engagement régulier afin d’aider l’entreprise à répondre à ces exigences ESG dans la durée et dans le respect de nos propres principes.
Des mesures contradictoires peuvent engendrer des lacunes en matière d’information
L’utilisation de notations de tiers et d’une approche intégrée avec une analyse ESG et « top-down » mesurées simultanément permet d’obtenir un aperçu plus précis de l’entreprise afin d’évaluer la pertinence de l’investissement par rapport à nos propres critères. Chez Insight, nous avons développé des outils ESG en nous appuyant sur nos connaissances des équipes de direction et des partenariats que nous avons formés avec la société.
C’est pourquoi le dialogue est primordial pour comprendre les motivations de certaines décisions. Par exemple, les petites entreprises qui se développent ont tendance à changer plus fréquemment et ce changement peut être significatif à court terme, si bien qu’une évaluation annuelle risque de nuire à la compréhension de l’évolution de l’entreprise, de passer à côté de certains progrès et de générer des rendements moindres.
Par exemple, Wirecard était bien notée par plusieurs agences de notation — il s’agissait même d’une société Investment Grade. Or, nous l’avons considérée comme non adaptée à l’investissement bien avant que le scandale concernant ses comptes éclate. Même si nous accordons de l’importance à ces notations et que nous n’investirions pas dans une entreprise mal notée et sans perspective d’amélioration, c’est notre vérification approfondie et notre analyse intégrée qui déterminent au final si nous allons investir ou non dans une entreprise.
Une méthode intégrée pour des décisions mieux informées
Selon nous, pour mieux comprendre une entreprise, il faut constituer une équipe capable d’effectuer en parallèle une analyse ESG et une analyse d’investissement, surtout dans le segment du high yield.
Disposer de spécialistes sectoriels et des entreprises à même de prendre en compte les composantes ESG présente des avantages extraordinaires et garantit la synergie de l’engagement auprès des entreprises et de la stratégie d’investissement.
Nous ne pouvons pas sous-estimer l’importance de la chaîne d’approvisionnement d’une entreprise dans nos décisions d’investissement. Il est essentiel d’examiner la chaîne concernée par nos prêts du début à la fin dans le cadre d’une analyse holistique des critères ESG et de l’entreprise, qui nous aidera à déterminer quels sont les points faibles et les opportunités.
Par exemple, un fabricant de produits chimiques pourra être pénalisé sur le plan des critères ESG pour ses émissions de CO2 élevées, alors qu’un producteur de semences qui utilise ses produits ne sera peut-être pas sanctionné si la chaîne d’approvisionnement n’a pas été prise en considération. En revanche, il est possible que le fabricant de produits chimiques ait l’intention de réduire ses émissions de CO2 et qu’il les compense en partie grâce à différentes initiatives ou encore qu’il fournisse des produits à des entreprises plus respectueuses de l’environnement.
Le défi que nous devons relever dans le haut rendement consiste à mesurer les avancées réalisées, suivre les initiatives ESG et évaluer la pertinence de l’investissement dans les entreprises en prenant en compte les mesures ESG. Cela s’avère plus compliqué compte tenu de la nature des entreprises du segment. Cependant, des échanges réguliers et actifs visant à garantir une compréhension, des avancées et une responsabilité globales permettent de trouver des entreprises durables de qualité. Il s’agit bien souvent de la seule manière de trouver de la valeur ESG dans le segment du haut rendement.