
Le 3ᵉ baromètre sur les achats responsables révèle une transformation des relations client-fournisseur : exigences RSE accrues, décalage entre discours et pratiques, impact des crises géopolitiques, mais aussi volonté croissante de collaboration. Les directions achats sont appelées à devenir des leviers d’innovation, de confiance et de résilience durable.
En 2025, les directions achats se trouvent à la croisée des chemins. Entre tensions géopolitiques, instabilité économique et mutation réglementaire rapide, leur rôle dépasse désormais la simple fonction de négociation. Les acheteurs deviennent les garants de la résilience, de la durabilité et de l’innovation dans les organisations.
Le dernier baromètre sur les achats responsables met en lumière une transformation profonde des relations entre donneurs d’ordres et fournisseurs — une mutation où la responsabilité sociale et environnementale s’impose comme un levier stratégique de performance collective.
Depuis quelques années, la fonction achats vit un basculement silencieux : celui d’un métier historiquement centré sur le coût et la conformité, vers une approche fondée sur la valeur, la collaboration et la transparence. Cette évolution n’est pas un simple ajustement conjoncturel, mais une réponse structurelle aux nouveaux défis du XXIᵉ siècle.
Les résultats de cette troisième édition dressent un constat clair : la durabilité n’est plus un supplément d’âme, mais un pilier central de la compétitivité.
Une édition charnière pour les relations client-fournisseur
Cette nouvelle édition du baromètre arrive à un moment clé : après la succession de crises sanitaires, géopolitiques, énergétiques et climatiques, la notion de résilience est devenue une priorité absolue. Les chaînes d’approvisionnement ont été ébranlées, révélant la dépendance et la fragilité des modèles existants. Parallèlement, les réglementations sur la durabilité se multiplient — qu’il s’agisse du devoir de vigilance, de la CSRD ou des nouvelles exigences de traçabilité environnementale et sociale.
Dans ce contexte, les entreprises n’ont plus d’autre choix que de concilier performance économique et responsabilité. L’achat responsable devient non seulement un outil de gestion des risques, mais aussi un moteur d’innovation et de transformation.
L’étude s’articule autour de trois axes :
- Donner la parole aux fournisseurs, pour comprendre leurs attentes et leurs contraintes.
- Croiser leurs retours avec un panel d’experts, issus d’organisations privées, publiques et associatives.
- Identifier des leviers de transformation concrets à destination des directions achats.
Une nouveauté marquante : le focus sur la commande publique, qui représente près de 10 % du PIB national. En intégrant cet angle, l’étude élargit le champ d’analyse à la puissance publique, acteur clé dans la diffusion des pratiques d’achats responsables.
Cinq enseignements majeurs sur l’état des relations client-fournisseur
Les résultats du questionnaire adressé aux fournisseurs mettent en évidence plusieurs tendances fortes, parfois contrastées.
1. Les sollicitations RSE restent élevées
66 % des fournisseurs affirment être régulièrement sollicités par leurs clients sur les questions environnementales, sociales ou éthiques. Les thèmes les plus abordés restent inchangés : éthique, anticorruption, empreinte carbone, gestion des déchets, santé et sécurité, conditions de travail ou encore respect des droits humains.
Mais un angle mort persiste : seuls 8 % des fournisseurs sont interrogés sur leurs propres sous-traitants au-delà du premier rang. Autrement dit, la traçabilité des chaînes d’approvisionnement reste partielle. Ce manque de profondeur crée une limite dans la maîtrise réelle des impacts et fragilise la cohérence des démarches RSE.
2. Des exigences concentrées au moment de l’appel d’offres
41 % des entreprises interrogées déclarent que les exigences RSE apparaissent surtout au stade de la sélection initiale, rarement dans le suivi opérationnel. En clair, les acheteurs demandent des engagements, mais les dispositifs d’accompagnement restent faibles.
Les démarches se traduisent souvent par la signature de chartes, de questionnaires ou de clauses contractuelles, mais sans suivi concret dans la durée. Ce déséquilibre renforce le sentiment, chez les fournisseurs, d’une transposition unilatérale du risque.
3. Le décalage entre discours et pratiques
Près de six fournisseurs sur dix estiment qu’il existe une dissonance entre les ambitions RSE affichées par leurs clients et leurs pratiques commerciales.
Les pressions les plus souvent citées concernent :
- la politique de prix,
- les délais de paiement,
- les changements fréquents de cahiers des charges,
- les durées contractuelles trop courtes,
- et les délais de livraison irréalistes.
Autre signal inquiétant : près d’un répondant sur deux dit ne pas savoir comment les critères RSE sont réellement pondérés dans les appels d’offres. Ces zones d’ombre nourrissent la méfiance et limitent l’efficacité des démarches.
4. Les crises géopolitiques fragilisent la continuité des engagements
60 % des fournisseurs indiquent que les crises internationales ont eu un impact direct sur leurs relations commerciales. Ajustements de volumes, retards de paiement, volatilité des coûts logistiques : ces phénomènes ont érodé la confiance et mis en péril la continuité des engagements RSE.
Les effets de « stop & go » constatés dans la commande privée comme publique engendrent une précarisation des fournisseurs :
moins de marge pour investir dans des initiatives durables, plus de contraintes court-termistes et une performance sociale parfois dégradée.
5. Un appel clair à la collaboration
Face à ces constats, les fournisseurs formulent un message sans ambiguïté : la RSE ne peut plus être un exercice descendant.
Ils plaident pour un rééquilibrage entre exigences et accompagnement, entre contrôle et coopération.
Leur souhait : que la durabilité devienne un outil de progrès partagé, pas une contrainte imposée.
Vers un modèle d’achat plus collaboratif et stratégique
Pour compléter l’enquête quantitative, le baromètre s’est enrichi d’une consultation d’experts, menée entre janvier et juillet 2025.
Une vingtaine d’acteurs issus d’horizons variés ont partagé leurs analyses : ONG, coalitions d’entreprises, acteurs publics, cabinets spécialisés, PME, directions achats de grands groupes… Tous convergent vers une idée commune : la transformation des achats responsables ne se décrète pas, elle se construit collectivement.
De cette concertation sont ressortis neuf leviers stratégiques pour les directions achats :
- Prioriser les impacts sociaux et environnementaux, plutôt que de se limiter au reporting.
- Renforcer la cartographie des chaînes de valeur, afin d’aller au-delà du rang 1 et de mieux identifier les risques.
- Encadrer les pratiques métiers (prix, délais, modifications contractuelles) pour éviter qu’elles n’affaiblissent les engagements RSE.
- Mettre en place des outils partagés de transparence et de suivi, pour fluidifier le dialogue.
- Former les acheteurs à la compréhension des enjeux ESG et à la gestion responsable des relations commerciales.
- Repenser le contrat comme un outil de collaboration, et non de transfert du risque.
- Partager la responsabilité des risques entre clients et fournisseurs — un passage du “risk cascading” au “risk sharing”.
- Renforcer la communication interne entre les directions achats, RSE, juridiques, logistiques et financières.
- Impliquer les instances dirigeantes, afin d’intégrer pleinement la durabilité dans la stratégie d’entreprise.
Ces leviers traduisent une conviction forte : les achats responsables ne doivent plus être pilotés uniquement sous l’angle du risque juridique ou de la conformité, mais comme un vecteur de création de valeur et d’innovation.
Du contrôle au partenariat : une nouvelle culture de la relation fournisseur
L’un des enseignements majeurs du baromètre réside dans la nécessité de repenser la relation client-fournisseur.
Pendant longtemps, la logique dominante a été celle du contrôle : audits, questionnaires, chartes, certifications… Autant d’outils utiles mais insuffisants s’ils ne s’accompagnent pas d’un vrai dialogue.
Aujourd’hui, les directions achats sont invitées à co-construire des trajectoires d’amélioration continue avec leurs partenaires.
Cela suppose d’accepter une certaine transparence sur les difficultés, de cofinancer parfois les plans de transformation, et de repenser la notion même de “performance fournisseur”.
L’étude plaide ainsi pour une approche collaborative et évolutive :
- Définir des objectifs progressifs plutôt qu’imposer des seuils figés.
- Reconnaître les efforts engagés, même partiels.
- Favoriser l’innovation via des partenariats durables.
Cette approche change le paradigme : le contrat n’est plus un instrument de contrainte, mais un outil de dialogue.
Un mandat élargi pour les directions achats
Les directions achats sont désormais au carrefour de multiples enjeux : économiques, environnementaux, sociaux, réglementaires.
Leur mandat évolue. Elles ne se limitent plus à négocier des prix ou sécuriser des volumes — elles deviennent des acteurs centraux de la stratégie d’entreprise.
Cette évolution appelle plusieurs transformations :
- Une intégration accrue avec les autres fonctions : RSE, juridique, finance, conception, marketing.
- Un dialogue renforcé avec les dirigeants, afin d’ancrer les enjeux d’approvisionnement durable au plus haut niveau.
- Une professionnalisation des acheteurs, via la formation et la montée en compétences ESG.
- Une démonstration financière claire du lien entre achats responsables et performance globale (résilience, image, fidélisation, innovation).
Les directions achats doivent ainsi passer d’une posture défensive à une logique proactive : anticiper les risques, co-créer les solutions et prouver la valeur économique des démarches responsables.
En conclusion : de la conformité à la confiance
Ce troisième baromètre consacre une évolution majeure : la RSE n’est plus seulement une exigence réglementaire ou morale, mais un levier de résilience collective.
Les fournisseurs, longtemps perçus comme de simples exécutants, se révèlent être des partenaires stratégiques de la transformation durable.
Les enseignements de cette édition appellent à un changement de posture :
- Du contrôle à la coopération,
- Du court terme à la relation durable,
- Du “contrat défensif” à la confiance active.
Les achats responsables deviennent ainsi un terrain d’innovation managériale.
Dans un monde incertain, ils constituent un langage commun entre acteurs économiques, une passerelle entre performance et sens.
Et si la véritable compétitivité de demain résidait non plus dans la capacité à acheter moins cher, mais dans celle à acheter mieux, ensemble ?








