Assurance et changement climatique

Assurance

Assurance : le dérèglement climatique n’est plus une menace abstraite mais une réalité tangible, dont les effets bouleversent en profondeur de nombreux secteurs économiques, au premier rang desquels figure celui de l’assurance. En 2023, les sinistres climatiques ont représenté un coût de 6,5 milliards d’euros en France, faisant de cette année l’une des plus onéreuses jamais enregistrées. D’ici 2050, les projections annoncent une aggravation de cette tendance, avec une augmentation potentielle des dommages comprise entre 27 % et 85 % selon les scénarios étudiés. Face à cette intensification des risques, les fondements même du système assurantiel – la mutualisation et la diversification des risques – sont mis à rude épreuve. Comment, dans un contexte de bouleversements climatiques systémiques, préserver l’assurabilité des biens et des personnes, et adapter les mécanismes assurantiels à une nouvelle donne environnementale ?

Un climat en mutation : la pression monte sur les équilibres économiques

L’évolution rapide et souvent imprévisible des aléas climatiques transforme profondément le paysage du risque. Les événements extrêmes deviennent à la fois plus fréquents et plus intenses, provoquant des dégâts matériels considérables et récurrents. Cette situation inédite entraîne une montée en puissance des coûts pour les assureurs, qui doivent faire face à une sinistralité désormais quasi structurelle.

Au-delà de la simple fréquence des événements, c’est aussi la concentration des richesses dans certaines zones exposées qui amplifie les pertes potentielles. La valeur des actifs assurés ne cesse de croître, en particulier dans les zones urbaines et littorales, ce qui augmente mécaniquement les indemnisations à verser en cas de catastrophe. Cette combinaison de facteurs – fréquence, intensité, concentration – remet en cause l’équilibre économique des modèles actuels d’assurance.

L’essoufflement du modèle de mutualisation face à la systémicité des risques

Depuis ses origines, l’assurance repose sur un principe de solidarité : chacun contribue, par sa prime, à un fonds commun qui indemnise ceux frappés par un sinistre. Ce système suppose que les risques soient dispersés dans l’espace et dans le temps. Or, avec les effets du changement climatique, cette hypothèse est de moins en moins vérifiée.

Les événements climatiques majeurs affectent désormais simultanément de larges portions du territoire et un nombre important d’assurés. Ce phénomène de corrélation accrue affaiblit le principe même de mutualisation, car il ne s’agit plus de répartir un dommage ponctuel, mais d’absorber des chocs collectifs et systémiques. L’assurance devient alors plus coûteuse, moins accessible, voire techniquement inopérante dans certaines zones particulièrement exposées. Il devient donc indispensable de réfléchir à des dispositifs complémentaires, plus souples, capables de s’adapter à la nouvelle nature des risques.

Prévention et adaptation : des leviers sous-exploités mais indispensables

Dans un contexte où le transfert du risque par l’assurance atteint ses limites, la prévention apparaît comme un levier stratégique de premier ordre. En anticipant les catastrophes plutôt qu’en se contentant de les indemniser, les acteurs du secteur peuvent réduire considérablement les coûts futurs. Les études montrent qu’un euro investi dans la prévention permet d’en économiser six à long terme.

Cela suppose cependant un changement de paradigme. Il faut passer d’une logique de réparation à une logique de résilience. Les actions de prévention peuvent prendre des formes variées : renforcement des bâtiments, aménagements urbains adaptés, dispositifs anti-inondations. Ces investissements doivent être évalués économiquement, afin de démontrer leur rentabilité et leur efficacité. Mais pour qu’ils soient réellement efficaces, ils doivent être pensés collectivement, en impliquant l’ensemble des parties prenantes : collectivités locales, entreprises, citoyens, mais aussi les assureurs eux-mêmes.

Le rôle clé de la Caisse Centrale de Réassurance dans la stabilité du système

Face à ces défis, la Caisse Centrale de Réassurance (CCR) joue un rôle pivot dans la gestion de l’assurabilité en France. Créée en 1946, elle a pour mission de protéger la capacité du marché à offrir des solutions assurantielles, même en cas de catastrophes majeures. Grâce au régime des catastrophes naturelles (Cat-Nat), la CCR garantit une couverture minimale à tous les assurés français, quel que soit leur profil ou leur exposition au risque.

Ce régime repose sur une surprime prélevée sur chaque contrat d’assurance dommages. En contrepartie, les assureurs peuvent se réassurer auprès de la CCR, qui intervient en cas de sinistre majeur, avec la garantie financière de l’État. Cette architecture permet d’amortir les chocs, mais elle suppose aussi une gestion rigoureuse des engagements financiers. C’est pourquoi la CCR s’appuie sur une stratégie d’investissement prudente et une modélisation fine des risques, fondée notamment sur des partenariats avec Météo France.

L’adaptation du régime, comme le montre le relèvement récent de la surprime de 12 à 20 %, illustre la nécessité d’ajuster en permanence les outils de solidarité aux évolutions du climat. En parallèle, la CCR s’est vue confier de nouvelles missions, telles que la cartographie de l’assurabilité du territoire ou l’accompagnement de projets de prévention à travers le fonds Barnier.

Repenser l’assurabilité : une démarche systémique et prospective

La soutenabilité de l’assurance dans un monde confronté aux dérèglements climatiques ne pourra reposer uniquement sur des mécanismes financiers. C’est l’ensemble de la chaîne de gestion du risque qui doit être repensée. Cela implique une meilleure évaluation des vulnérabilités, une intégration des normes de résilience dans la construction, et une mobilisation accrue de la donnée pour modéliser les aléas et anticiper les impacts.

Il devient également crucial d’articuler les stratégies assurantielles avec les politiques publiques d’aménagement du territoire et de transition écologique. L’enjeu dépasse la simple protection des biens : il s’agit de préserver la valeur économique des territoires, la stabilité des investissements, et plus globalement la cohésion sociale face à des événements climatiques de plus en plus disruptifs.

Une transformation inévitable pour un avenir assurantiel durable

L’assurance, en tant qu’infrastructure sociale essentielle, est aujourd’hui confrontée à une épreuve majeure. Le dérèglement climatique oblige le secteur à se réinventer, à intégrer pleinement la prévention, à renforcer sa capacité de résilience, et à redéfinir les règles du jeu de la mutualisation. Si cette transformation est menée avec lucidité, concertation et innovation, l’assurance pourra non seulement survivre au défi climatique, mais aussi en devenir un acteur clé de la transition vers un modèle de société plus durable et plus solidaire.

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