Depuis plusieurs semaines, les banques font connaître leurs craintes sur la transposition des règles mondiales de solvabilité négociées dans le cadre du Comité de Bâle. La raison ? Les nouvelles règles prudentielles dévieraient de leur objectif initial faisant notamment craindre un prix à payer trop fort et une baisse de leur compétitivité, dans un environnement toujours plus concurrentiel.
Ce n’est pas tout à fait la sortie du texte de Bâle 3 en 2018 qui a ouvert les hostilités. C’est réellement la publication des premiers impacts qui a déclenché des réactions rapides et coordonnées de la part des différentes fédérations bancaires. Depuis février 2019, les évaluations se succèdent. L’augmentation de 23,6 % des réserves minimales en capital, soit près de 125 milliards d’euros, publiée par l’Autorité bancaire Européenne (EBA) le 5 décembre dernier, est toujours perçue comme contradictoire avec la promesse initiale d’une réforme sans augmentation significative.
De cette bataille de chiffres, il est un premier enseignement qui doit interpeller. C’est la difficulté d’obtenir une estimation précise ou fiable par banque. Et pour cause, la réforme de Bâle 3 propose des évolutions sur tous les risques Tiers 1 et quasiment tous les segments à la fois. La lecture des impacts s’en trouve complexifiée. La fiabilité des prévisions est pourtant un enjeu majeur puisqu’en dépendent les orientations stratégiques des établissements financiers. Les experts du secteur ont déjà spéculé sur ce qu’elles pouvaient donner : resserrement du crédit, deleveraging, coûts additionnels de la réforme, arbitrage sur la composition du fonds propres. Toutes sont réalistes. L’amplitude de leur impact reste encore incertaine.
Un changement de paradigme mené par une simplification des modèles
Un deuxième enseignement, plus profond, naît du premier. Cette fois-ci, c’est l’objectif poursuivi par le Comité de Bâle qui n’est plus tout à fait compris. A l’origine, la réforme doit aider à l’adéquation entre le profil de risque d’une banque et son niveau de fonds propres durs. Sur ce point, et contrairement à 2003, les banquiers partagent le bienfondé d’une solvabilité renforcée du système financier. Mais aujourd’hui le paradigme a changé. A la précision des méthodes se substituent désormais les idées de simplification et de convergence de celles-ci. Les priorités réglementaires ont changé d’ordre. La prudence et le conservatisme sont de mise. Les injonctions du superviseur européen sur ce thème se payent plus cher qu’hier. C’est ce prix qui est considéré comme trop élevé par les banques aujourd’hui.
En réalité, cette question de prix est bien plus centrale et complexe qu’il n’y parait. Et c’est le dernier enseignement que l’on peut tirer des réactions actuelles : l’agenda de la réforme interpelle. Même si 2022 est la cible (avec des ajustements jusqu’en 2027), le contexte de taux structurellement négatifs en Europe et la déformation des bilans bancaires associée exercent une pression inquiétante et continue sur la marge nette d’intérêt. Ce qui est relativement nouveau aujourd’hui, c’est la corrélation négative persistante entre la croissance du capital exigible et sa rentabilité. Les niveaux de ROE des banques européennes sont durablement installés sous la barre des 10%. La mise en réserve des bénéfices futurs pour absorber les effets attendus de Bâle 3 ne va pas inverser la tendance.
La compétitivité de la place européenne peut être en risque
Deux conséquences commencent à inquiéter jusqu’à la sphère publique. La première, c’est le risque de désinvestissement des banques européennes dans la recherche, l’évolution technologique et les transformations dont elles ont besoin pour s’adapter. La deuxième c’est la perte de compétitivité, avec les banques américaines notamment, et les politiques de réduction des coûts. Les banques entament depuis quelques mois des programmes d’« offshoring » de leur fonction risque. Le Portugal, l’Espagne, l’inde, la Pologne ou encore la Hongrie sont les nouveaux lieux où s’expatrient des métiers originellement au siège des établissements.
Dans ce contexte, l’équilibre qui se négocie aujourd’hui reste bien celui d’un renforcement de la place européenne tout en laissant aux banques les moyens pour des investissements stratégiques évitant de les « uberiser » davantage. Pour la première fois depuis 2008, cela semble passer (ou non) par quelques concessions du superviseur européen que le texte de Bâle 3 ne contient pas.