Biodiversité : il faut une action urgente !

Le 29 septembre 2022 : Il est aussi urgent et nécessaire de protéger la biodiversité que de lutter contre les changements climatiques. Et les investisseurs ont un rôle à jouer. Par Robeco Am

Biodiversité : les points clés

  • Le développement non durable crée des problèmes en matière de biodiversité
  • Les mesures incitatives doivent être harmonisées pour stopper la disparition des ressources naturelles 
  • Passer à une économie circulaire est compliqué mais les petites victoires sont possibles 

Les investisseurs peuvent jouer un rôle en vérifiant que les entreprises dans lesquelles ils investissent contribuent à réduire ou à inverser les facteurs responsables de la perte de biodiversité. En octobre, Robeco lancera une stratégie actions axée sur la biodiversité qui identifiera les entreprises dont les activités favorisent la nature, par exemple le reboisement ou la conservation de l’eau.

Dans le cadre de sa feuille de route pour la biodiversité, Robeco élabore un cadre d’investissement plus large pour évaluer dans tous ses portefeuilles d’investissement comment les entreprises contribuent à la biodiversité, tant positivement que négativement.

Il est urgent de le faire. « Nous consommons les ressources de la Terre à un rythme qui ne permet pas à la planète de les reconstituer. Dans la mesure où nous dépendons de la nature pour tout ce que nous faisons, c’est un gros problème qui se transforme en risque d’investissement systémique », constate Lucian Peppelenbos. « Notre économie et notre société dépendent entièrement de la biosphère, des écosystèmes et des services écosystémiques. Si ces services se détériorent, l’activité économique est également menacée. C’est un problème bien plus urgent qu’on ne le pense, et qui a des effets directs sur l’économie en ce moment même »

Indispensables abeilles

« Prenons par exemple les abeilles. Elles sont essentielles pour la pollinisation. En Californie, il existe aujourd’hui un marché de location de ruches à des prix élevés car les abeilles sont nécessaires pour de nombreuses cultures, en particulier les cultures de grande valeur telles que les amandes. Il s’agit d’un service écosystémique qui est devenu un marché.

Les espèces invasives sont l’une des causes de la perte de biodiversité. Il s’agit de parasites qui pénètrent dans un écosystème et se propagent de manière fulgurante. L’Australie l’a découvert à ses dépens lorsque le varroa a pénétré dans des ruches et commencé à se nourrir des abeilles. Pour éviter sa propagation, il a fallu confiner les ruches.

Après le confinement des humains dû au Covid, c’est au tour des abeilles. Les ruches ne pouvant plus être déplacées pour la pollinisation, ce sont des milliards de dollars de plantes qui sont à présent menacées en Australie.

Voilà un exemple de risque pour la biodiversité qui affecte l’économie réelle. Cela montre que si l’on ne protège pas la biodiversité, les effets peuvent être désastreux. »

Le rôle essentiel de l’eau

L’eau est un autre service écosystémique essentiel. Les récentes sécheresses qui ont frappé tous les continents cette année augmentent le risque de non-récolte et, dans certaines régions d’Afrique, d’insécurité alimentaire. Mais les effets ne s’arrêtent pas là : les cours d’eau s’assèchent alors qu’ils sont indispensables pour les activités industrielles et commerciales.

« Les eaux souterraines et de surface sont l’une de nos principales dépendances », commente Lucian Peppelenbos. « Peut-on envisager une industrie fonctionnant sans eau de refroidissement ? Le transport de marchandises sans voies navigables ? En Allemagne, l’industrie a connu des problèmes d’approvisionnement en raison du faible niveau des eaux du Rhin.

En Chine, les constructeurs automobiles ont fermé pendant des semaines en raison des pénuries d’électricité. Même chose en Italie. Le manque d’eau cause des dommages économiques immédiats dans les multiples secteurs de l’économie. »

Climat vs biodiversité

Cet exemple met en évidence le lien entre la biodiversité et le changement climatique. Ce lien peut sembler évident (tous deux font partie de la biosphère dont notre bien-être dépend) mais ce n’est pas tout. Paradoxalement, les efforts bien intentionnés entrepris pour lutter contre le réchauffement climatique peuvent être coûteux pour la biodiversité.

« Un plan climatique qui ne tient pas compte de la nature dans son ensemble est un plan incomplet », affirme Lucian Peppelenbos. « J’ai vu des parcs photovoltaïques être construits sur d’anciennes forêts primaires. Ce genre de projet n’est pas souhaitable.

Je suis également préoccupé par les éoliennes en mer que l’on voit pousser partout. Elles règlent un problème mais si leur construction n’est pas correctement planifiée, elles peuvent constituer un risque pour la biodiversité marine. »

Arrêter les dégâts

Mais n’est-il pas plus simple d’arrêter les dégâts ? Pourquoi les pays ne mettent-ils pas un terme à la déforestation puisqu’ils ont le pouvoir législatif et judiciaire de le faire ?

« La réglementation est essentielle », commente Lucian Peppelenbos. « Nous avons besoin de normes industrielles strictes pour limiter les effets négatifs de la production, du commerce et de la consommation. Jusqu’aux années 1970, il était par exemple normal de déverser les déchets chimiques dans les cours d’eau. Le problème a cessé lorsque c’est devenu illégal. »

Mais d’autres pratiques destructrices et illégales se poursuivent aujourd’hui. « Parmi les secteurs les plus néfastes figure aussi celui de la pêche au chalut, qui émet autant de CO2 que l’industrie aérienne et qui détruit toute la biodiversité des fonds marins. Pourquoi cette activité est-elle toujours autorisée ? Pourquoi ne pas pêcher comme nous l’avons fait pendant des siècles ? »

Mais qui va appuyer sur le bouton stop ? Qui va décréter la fin de la pêche au chalut ? « L’Union européenne dispose à présent de son pacte vert, un programme assez strict mais assez fantastique aussi », répond Lucian Peppelenbos. « Dans le cadre de ce Green Deal, l’UE a récemment annoncé l’adoption de plusieurs lois visant à réduire de 50 % l’utilisation de pesticides et à restaurer 20 % de la nature en Europe. J’espère que dans les prochaines années cela ira même plus loin, avec l’imposition de limites vraiment strictes à l’activité économique. En effet, le coût de l’inaction commence à dépasser celui de ces mesures limitatives. »

Incitations politiques

Mais les interdictions ne suffiront pas à elles seules. « Nous avons besoin de mesures incitatives qui récompensent les activités écologiques. Les marchés ne passeront pas à la vitesse supérieure tant que les incitations inadaptées seront en place. Cela vaut autant pour le climat que pour la biodiversité.

Chaque année, 1 800 milliards de dollars de subventions sont accordés à l’agriculture et à des activités qui détruisent la nature, notamment l’extraction d’énergies fossiles. Les prix du carbone sont quant à eux trop faibles pour faire la différence.

Au Brésil, par exemple, la déforestation est franchement inutile. Le pays compte 200 millions d’hectares de pâturages destinés au bétail, et les technologies existantes pourraient facilement accroître les rendements de 10 % ou plus. Les 10 % de terres ainsi libérées (20 millions d’hectares, soit la taille de l’Arabie saoudite) pourraient servir à cultiver plus de soja, de maïs ou d’autres cultures.

Il n’est donc pas nécessaire d’abattre des arbres pour étendre la production de cultures ou de bétail. Il suffit simplement de trouver les bonnes politiques d’incitation. »

Qui détient la responsabilité ?

Mais il y a un revers à la médaille : de par son histoire, l’Occident n’est pas bien placé pour faire la leçon aux marchés émergents.

« Nous pouvons reprocher au Brésil d’être un champion mondial de la déforestation, mais regardons les choses en face : le pays possède encore des forêts, ce qui n’est pas notre cas », déplore Lucian Peppelenbos. « Plus de la moitié du territoire est encore boisée, ce qui est remarquable. Aux Pays-Bas, il n’existe plus aucune forêt d’origine.

La responsabilité historique des pays industrialisés est énorme – comme pour le changement climatique. Deux tiers de toutes les émissions de l’histoire sont imputables aux pays industrialisés. Il est donc logique que les pays pauvres se demandent qui va payer les efforts de réduction exigés par l’Occident. Il s’agit de l’obstacle le plus important dans les négociations internationales sur le climat et la biodiversité. Qui doit payer les incitations nécessaires pour atteindre une économie neutre en carbone et favorable à la nature ? »

Économie circulaire

Une économie favorable à la nature est avant tout une économie circulaire, dans laquelle les ressources naturelles sont utilisées et réutilisées à la place du modèle linéaire actuel consistant à extraire, fabriquer et jeter. Non seulement l’économie circulaire contribue au climat et à la biodiversité, mais elle crée aussi un marché de 4 500 milliards de dollars pour la réutilisation, la reconception, la réparation et le recyclage.

« Cependant, l’économie circulaire est confrontée à plusieurs difficultés liées à l’inadéquation des mesures incitatives », tempère Lucian Peppelenbos. « Premièrement, les externalités ne sont pas correctement prises en compte : fabriquer un nouveau produit coûte moins cher que d’en recycler un ancien.

Deuxièmement, dans la phase de conception des produits, la durabilité n’est plus l’une des priorités absolues, alors qu’elle l’était auparavant. Aujourd’hui, nous aimons utiliser quelque chose et le jeter au bout d’un certain temps. »

« Troisièmement, nous ne devrions pas sous-estimer le cauchemar logistique que représente le recyclage. Prenons par exemple l’environnement bâti et le secteur de la construction. Celui-ci est l’un des secteurs ayant le plus d’impact sur le climat. Pourtant, il est assez facile de penser que l’on peut construire des maisons et des bâtiments de façon modulaire : une fois qu’un immeuble ne sert plus, on pourrait le démolir et récupérer les murs, les fenêtres et les portes encore utilisables.

Le problème, c’est qu’il n’existe pas de marché organisé pour cela. Un bâtiment est conçu trois à cinq ans à l’avance et il faudrait donc connaître la forme et les propriétés exactes des fenêtres que l’on veut utiliser. Comment savoir si une fenêtre provenant d’un immeuble que l’on détruit aujourd’hui sera disponible sous forme recyclée dans trois ans ? Comment organiser cela ? C’est un casse-tête logistique d’une incroyable complexité.

Cela est très différent de la transition énergétique, qui consiste seulement à remplacer une forme d’énergie par une autre. Le processus énergétique lui-même n’a pas besoin d’être remplacé, il suffit juste de le raccorder à une autre source. L’économie circulaire est intrinsèquement beaucoup plus complexe, car il faut changer les processus de production et de consommation. »

Rendre le monde végétarien ?

Changer les processus de consommation signifie aussi changer les habitudes humaines. Pour produire un seul gramme de bœuf il faut fournir six grammes de protéines végétales à l’animal. En outre, l’élevage de bétail est une source importante d’émissions de méthane responsable de 14,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

« La consommation de viande dans les pays industrialisés n’est pas tenable à l’échelle mondiale », estime Lucian Peppelenbos. « Et cela ne concerne pas que la viande. L’ensemble du système alimentaire est très inefficace : un tiers des calories produites se perd dans la chaîne de production alimentaire, entre la ferme et l’assiette. »

« Une partie est perdue dans les exploitations agricoles et n’est ni récoltée ni achetée. Le blé peut rester dans les champs et moisir, et des pertes existent aussi dans la chaîne d’approvisionnement et dans tous les points de vente. À tout cela s’ajoute le gaspillage par les consommateurs. »

Il existe aussi des inefficiences relatives : il faut cinq fois plus de vaches au Mexique et jusqu’à vingt fois plus en Inde pour produire la même quantité de lait qu’aux États-Unis. En Inde, toutefois, 40 % de la population totale (1,4 milliard d’habitants) est végétarienne2.

Le rôle des investisseurs

Que peuvent donc faire les investisseurs pour déplacer le curseur ? Ni eux ni les gérants d’actifs ne possèdent le pouvoir des gouvernements, mais ils peuvent décider où allouer leurs capitaux et recourir à l’actionnariat actif (via l’engagement, par exemple) pour faire la différence.

« Nous pouvons engager le dialogue avec les entreprises et affecter les capitaux à des solutions, et c’est ce que nous ferons avec notre nouveau fonds d’actions axé sur la biodiversité », explique Lucian Peppelenbos.

« Nous pouvons également orienter systématiquement nos portefeuilles vers les entreprises qui ne constituent pas forcément des solutions de biodiversité en tant que telles, mais qui contribuent à enrayer la perte de biodiversité. Certaines firmes se débrouillent relativement mieux que d’autres en la matière : il y a les championnes et les traînardes, si l’on peut dire. »

Analyses de localisation

Pour ce faire, nous avons besoin de données et d’analyses, notamment en matière de localisation. « Enrichir nos connaissances et surveiller les fournisseurs de données est l’une des priorités de nos partenariats académiques ces deux dernières années.

C’est sur cette base que nous sommes en train d’élaborer un cadre d’investissement que nous pourrons appliquer dans nos portefeuilles, afin de vraiment établir un lien entre les émetteurs de carbone et les impacts sur la biodiversité, et d’identifier les firmes qui font mieux que les autres.

La difficulté en matière de biodiversité est que les impacts sont très localisés, bien plus que pour les gaz à effet de serre. Si l’on veut relier des activités économiques ou des chaînes d’approvisionnement spécifiques à leurs impacts sur la biodiversité, il est nécessaire d’effectuer une analyse de localisation. »

C’est l’une des missions du Groupe de travail sur l’information financière relative à la nature (TNFD), l’équivalent pour la biodiversité du Groupe de travail sur l’information financière relative au climat (TCFD). De nombreux gérants d’actifs, dont Robeco, y ont déjà adhéré afin de promouvoir la publication d’informations dans les portefeuilles.

Penser de manière plus conceptuelle

« D’ici deux ans, je pense que de nombreuses données de ce type seront disponibles.

En attendant, nous devons réfléchir de manière plus conceptuelle. Prenons par exemple l’industrie du papier et de la pâte à papier. À cause des changements d’affectation des terres, ce secteur a des répercussions négatives sur la biodiversité. Mais si l’on réfléchit à la façon d’atténuer celles-ci, on peut envisager que les entreprises se fournissent dans des forêts certifiées et gérées de manière durable.

Les taux de recyclage sont un autre problème de taille. Mais s’agissant d’un aspect que l’on peut désormais mesurer, nous pouvons savoir quelle part de revenus d’une entreprise est issue de sources renouvelables et de sources durables certifiées.

C’est donc un moyen de sélectionner les entreprises à inclure dans nos portefeuilles. Nous n’avons pas besoin de réaliser une analyse de localisation complète pour comparer les entreprises et privilégier celles qui contribuent à la biodiversité. »

Agir maintenant

Avant toute chose, nous avons besoin d’une action réelle pour répondre à l’urgence.

« Pour moi, la chose la plus importante est qu’il faut éviter l’analyse qui paralyse, et agir maintenant », déclare Lucian Peppelenbos. « Trois quarts des problèmes liés à la biodiversité concernent les changements d’utilisation des terres et des mers, ainsi que la surexploitation des ressources naturelles. Ce sont des éléments qui peuvent être relativement bien identifiés et évalués.

Donc n’attendons pas d’avoir les données parfaites. En nous concentrant sur les principaux impacts, nous pouvons d’ores et déjà progresser. »