Au fait, qu’est-ce qu’un système médiatique ? Et un « bon » système médiatique ? Et particulièrement à l’heure de la crise climatique ? Pas facile…
Imaginons qu’un pays et son peuple (ou même une entreprise, soyons fous !) souhaite réussir à naviguer entre les contraintes énergétiques, climatiques, de matières premières tout en évitant l’effondrement de la biodiversité ? Ok, là, c’est facile à imaginer.
Maintenant : faut-il pour cela une population (ou des salariés) correctement informés et des dirigeants médiatiquement comptables de leurs actes ?
Si oui, alors il faut un système médiatique en mesure de se saisir pleinement et sérieusement des problématiques du climat, de l’énergie, de l’économie et plus largement de l’environnement etc.
L’article : “La place du système médiatique dans le pouvoir” publié dans “le monde au futur” aborde le fonctionnement du système médiatique, qui est un élément clé des pouvoirs démocratiques dans une société comme la nôtre, et prend plusieurs fois le sujet du climat pour exemple.
Climat et médias : voilà un sujet auquel Jean-Marc Jancovici consacre plusieurs articles à ce sujet sur son blog.
Alors, qu’est-ce qu’un système médiatique ?
Le système médiatique est défini ici dans un objectif de meilleure compréhension du pouvoir : il s’agirait de l’ensemble des « grands » médias, ceux qui rassemblent régulièrement de 1 à plusieurs millions de spectateurs français (je me limite aux médias français). Ces médias sont a priori des médias nationaux (et pas locaux), télévisuels (sauf quelques grands journaux de presse nationale et quelques radios), et possédés par des actionnaires privés ou par l’Etat, car ils requièrent des besoins de financement importants (plusieurs centaines de millions, à plusieurs milliards d’euros chaque année).
Le système médiatique ainsi défini possèderait ses logiques propres, émergentes de l’ensemble des grands médias, et c’est pourquoi on peut parler du « système médiatique », bien qu’il ne soit en aucun cas piloté par une entité particulière.
Cet article analyse ses logiques propres, puis fais apparaître les raisons qui mènent dans à des biais médiatiques qui peuvent être systématiques. Il ambitionne donc de vous fournir les clés principales de compréhension du traitement de l’information par les grands médias français. Il ouvre finalement la réflexion sur ce que devrait être un système médiatique si on le voulait plus démocratique.
Ce article fait partie d’une série de 4, qui explore la notion de pouvoir face au Covid-19, le pouvoir face à l’énergie, et le fonctionnement du système médiatique, en prenant à chaque fois des exemples liés à l’énergie, au climat et à l’économie :
- CE QUE LE COVID-19 NOUS APPREND SUR LE POUVOIR : des conséquences de l’apparition du coronavirus sur différents secteurs de l’économie : la santé, l’aviation, le pétrole, et l’économie en général.
- MIEUX COMPRENDRE LE POUVOIR CAPITALISTE D’AUJOURD’HUI : le pouvoir capitaliste, pilote l’économie, et le débit de ressource énergétique auquel il a accès pour la faire fonctionner.
- LE RÔLE DE L’ÉNERGIE DANS L’AUTO-ORGANISATION DU POUVOIR : en période de débit d’énergie en apparence illimité, le pouvoir capitaliste s’auto-organise de manière à faire monter une classe moyenne et à réduire les inégalités ; au contraire, en période de débit d’énergie contraint, dont la situation actuelle, il s’auto-organise de manière à creuser les inégalités.
- LA PLACE DU SYSTÈME MÉDIATIQUE DANS LE POUVOIR : le système médiatique dans un objectif de meilleure compréhension du pouvoir : il s’agit de l’ensemble des « grands » médias, ceux qui rassemblent régulièrement de 1 à plusieurs millions de spectateurs français
Le système médiatique, une machine puissante pour orienter les perceptions
On le constate régulièrement, les médias, pris dans leur ensemble, se focalisent parfois sur un sujet pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. Sur d’autres sujets, ils semblent les choisir en toile de fond, et dès qu’un fait proche de ce sujet émerge, alors les « caméras et les micros » se braquent dessus rapidement et en priorité. Enfin, encore d’autres sujets peuvent vous sembler négligés par les médias alors qu’ils sont importants à vos yeux. Pensez par exemple aux sujets suivants, tels qu’ils nous ont été présentés par les médias, et demandez-vous dans quelle catégorie vous les mettriez (ou non) : l’incendie de Notre-Dame de Paris, la mort de Johnny, la COVID, l’attentat sur Samuel Paty, l’ensauvagement en France, le dérèglement climatique, l’augmentation des inégalités, les violences policières.
Il est très tentant pour l’auditeur ou le spectateur de se dire que les faits alimentant les sujets médiatisés sont plus importants que les autres faits qui seraient advenus au même moment, mais desquels les médias n’auraient pas parlé Cette tentation a deux raisons majeures. D’une part, ces sujets sont discutés par l’ensemble des grands médias en même temps, le niveau de consensus entre les médias étant rapidement interprété comme le niveau d’importance du sujet. D’autre part, les faits nouveaux qui sont traités sont bien arrivés en dehors de la volonté propre des médias : il est donc tentant de penser qu’il s’agit d’actualités qui s’imposent aux médias, leur travail n’étant alors que de reporter ces faits d’actualité à la société.
Pour quelles raisons les autres faits n’auraient-ils pas été abordés dans les grands médias ? Assez naturellement, on peut imaginer que ces autres faits sont insignifiants en eux-mêmes, ou alors qu’ils sont significatifs, mais qu’ils n’alimentent pas un sujet important.
Le média pointe du doigt les faits et les sujets jugés importants… par lui !
« L’auteur de ce post a mangé une pomme hier » : voilà un fait qui peut sembler insignifiant, et indigne d’être diffusé dans les grands médias. Mais imaginez que la pomme soit devenu un produit extrêmement rare ; alors ce même fait pourrait être jugé important par certains, voire être diffusé dans les médias. Ou imaginez un monde dans lequel un mouvement terroriste aurait pour emblème la pomme, et où le fait de manger une pomme soit devenu un signe de radicalité. Le nombre de mangeurs de pommes pourrait alors être scruté par certains médias, et régulièrement diffusé et commenté.
Autrement dit, en fonction du contexte et de la perception qu’un média a de ce contexte, un même fait peut être jugé important, ou insignifiant. Pour en rester sur les pommes, souvenez-vous que le sujet de la vente de pommes était devenu assez important lors de la crise entre la Russie et l’Europe suite à l’annexion de la Crimée par la Russie. Alors que le reste du temps, ce sujet n’intéresse pas les grands médias. C’est le contexte autour du fait, autrement dit le sujet que le fait alimente, qui est important aux yeux du média (ici, la sanction économique russe envers l’UE).
Choisir ce qui est censé être important pour tous : un grand pouvoir
Les choix de sujets par les grands médias sont structurants de la perception qu’a la population de la société dans laquelle elle vit.
Si vous n’en êtes pas convaincus et que vous pensez que le public est « intellectuellement indépendant » des grands médias, replongez-vous au début du mois de mars 2020, juste avant le confinement déclenché au cours de l’épidémie de COVID-19. A ce moment-là, quasiment aucun mort de la maladie n’est à déplorer et le nombre de faits importants en France autour du COVID est minimal (quelques centaines d’hospitalisations pour plus de 65 millions d’habitants). Autrement dit, sans les médias, personne ne se serait encore aperçu de quoi que ce soit hormis quelques personnels soignants, et la mesure de confinement prise à la mi-mars aurait été complètement incomprise. Pourtant, en à peine 2 semaines de présence médiatique massive (largement illustrée par l’exemple italien frappé par l’épidémie avant la France), le sujet du COVID a réussi à devenir le sujet n°1 pour plusieurs dizaines de millions de personnes en France. Et un sujet suffisamment grave pour que ces personnes acceptent assez largement, sans trop de contestation, un confinement.