Comme le suggérait le livre phare de Dale Carnegie dans les années 30, c’est par un dialogue respectueux que l’on gagne des amis et que l’on influence les autres. Ce précepte s’applique aussi bien aux entreprises qu’aux personnes. L’analyse de Johanna Kyrklund, Responsable mondiale des investissements et du multi-actifs…
Les assemblées générales annuelles des entreprises (AGA) pouvaient s’apparenter à la foire d’empoigne dans les années 80 et 90, une ère marquée par l’actionnariat de masse au Royaume-Uni.
Un ancien PDG de cette période m’a récemment avoué : « Nos équipes de sécurité demandaient à ce que les salles où se tenaient les AGA disposent d’une scène inclinée pour empêcher quiconque de s’y hisser. Ces assemblées étaient intenses. »
De telles confrontations sont moins fréquentes aujourd’hui. D’une part, les AGA ont été tenues en ligne pendant les périodes de confinement. Ce n’est qu’au cours des dernières semaines au Royaume-Uni et aux États-Unis que des assemblées en présentiel ont recommencé. Deuxièmement, la participation aux AGA n’est malheureusement plus ce qu’elle était autrefois ; elle est généralement le fait d’une poignée d’investisseurs individuels et d’activistes, qui ne font acte de présence qu’aux assemblées les plus controversées.
Ce trait n’est pas seulement propre au Royaume-Uni, mais à de nombreux marchés importants.
Bien que le nombre de participants ait diminué, un changement positif a été l’augmentation du nombre de votes sur les résolutions. À cet égard, les actionnaires ont trouvé leur voix – et les médias sont attentifs et en prennent note.
Mais le vote des résolutions n’est qu’une partie du puzzle de l’actionnariat efficace des entreprises. Il existe une autre composante majeure qui fait beaucoup moins les gros titres. Cette composante ne se joue pas une fois par an, mais tout au long de l’année. Il s’agit du dialogue entre les entreprises et nous, les gérants d’actifs qui représentons les intérêts de la majorité des actionnaires.
Bien que peut-être moins dignes d’intérêt, ces conversations accélèrent les changements positifs dans les entreprises. Il s’agit d’une démarche différente de celle qui consiste à faire avancer les choses en présentant des résolutions aux assemblées générales, mais qui peut souvent être plus significative.
Les chances de succès de ces interactions augmentent lorsque le dialogue avec la direction de l’entreprise et les membres du conseil d’administration est positif. Pour qu’elles fonctionnent, il faut donner le bon ton, avoir la bonne culture – celle du respect et de l’ouverture.
Dans les jours qui ont précédé la pandémie, lorsqu’il était encore possible de visiter nos bureaux, les clients remarquaient le niveau de tranquillité de nos salles des marchés.
Contrairement à la représentation commune qu’en fait Hollywood, nous ne passons pas notre temps à nous crier dessus. Ce que vous verriez, c’est un échange respectueux d’idées, une analyse approfondie et les fruits d’une recherche constante et patiente des rendements que nos clients attendent de nous jour après jour, semaine après semaine, année après année.
Il s’agit d’une condition indispensable pour créer des équipes d’investissement efficaces. Vous avez besoin d’une culture fondée sur la responsabilité, la diversité des opinions et la confiance. Ces principes ne sont pas appliqués du jour au lendemain. Il faut des années pour établir les bonnes relations qui nous permettent de comprendre les défis auxquels nous sommes confrontés et de déterminer la meilleure façon d’aller de l’avant.
Dans de nombreux cas, notre culture façonne non seulement la façon dont nous interagissons avec nos collègues, mais également avec toutes nos parties prenantes – nos clients, nos fournisseurs, nos contreparties sur les marchés et les entreprises dans lesquelles nous investissons.
En termes de dialogue avec les entreprises, distribuer de mauvais points à court terme aux équipes dirigeantes lors des assemblées générales annuelles (AGA) n’est pas le moyen le plus efficace d’induire le changement. En tant qu’investisseurs à long terme, nos interactions avec ces sociétés se dérouleront sur de nombreuses années. Il est donc important que ces entreprises nous considèrent comme un investisseur réfléchi ayant une compréhension approfondie de leur entreprise, qui les encourage réellement à atteindre leurs objectifs.
Comment nous pouvons accroître notre influence
Royal Dutch Shell en est un exemple concret. Nous nous sommes engagés pour la première fois avec la compagnie pétrolière sur ses ambitions climatiques il y a 19 ans. Depuis lors, les gestionnaires de fonds et les analystes de Schroders se sont entretenus à 36 reprises avec la société sur des sujets environnementaux. Aujourd’hui, Shell s’est fixé pour objectif de devenir une entreprise énergétique à émissions nettes nulles d’ici 2050. Nous allons, bien sûr, mesurer et surveiller les progrès accomplis dans la réalisation de cet objectif.
Ceci étant, ne vous y trompez pas, si l’engagement ne progresse pas suffisamment, nous voterons contre la direction aux AGA. Le mois dernier, c’est ce que nous avons fait avec le géant pétrolier Exxon Mobil, ce qui a conduit au remplacement de trois administrateurs. Même traitement pour Amazon : nous avons voté contre son principal administrateur indépendant en signe de protestation contre le manque de transparence sur les normes du travail.
Notre responsabilité est de générer des rendements et de gérer les risques pour nos clients ; nous vendrons donc, si c’est nécessaire, des sociétés qui ne changent pas assez rapidement. Une telle conclusion représenterait un échec de l’engagement. Une intervention constante et collaborative devrait rendre ces échecs rares.
Comme le suggérait le livre phare de Dale Carnegie dans les années 30, c’est par un dialogue respectueux que l’on gagne des amis et que l’on influence les autres. Ce précepte s’applique aussi bien aux entreprises qu’aux personnes. Et il n’a jamais été aussi important pour les gestionnaires d’actifs d’influencer les entreprises du monde entier.