Consommation publique : une part importante du PIB

Le 12 janvier 2023, par Trésor-Eco. La consommation publique représentait 23 % du PIB en France en 2019, une ampleur similaire à celle des autres grands pays européens. Par conséquent, la croissance de la consommation publique est une composante importante de la croissance du PIB. Rédigé par Bastien Alvarez, Sixtine Bigot

La consommation publique

  • Dans la comptabilité nationale, la consommation publique est une composante de la demande finale, qui regroupe les services fournis aux ménages par les administrations publiques. Elle recouvre à la fois la production directe de services publics par l’État, les collectivités et les organismes de sécurité sociale (comme l’éducation ou la défense) et la prise en charge par la collectivité de services fournis par des acteurs privés (remboursement de soins par exemple).
  • La consommation publique représentait 23 % du PIB en France en 2019, un ordre de grandeur similaire à celui des autres grands pays européens. L’évolution de la consommation publique est donc une composante importante de la croissance du PIB, mais elle est plus difficile à mesurer que d’autres composantes, en l’absence notamment de prix de marché.
  • Pendant le premier confinement au printemps 2020, l’Insee et l’ONS (Office for National Statistics, son équivalent britannique) ont estimé que la production dans les services publics avait nettement diminué. Dans les autres grands pays européens (Allemagne, Italie et Espagne), les instituts statistiques ont au contraire considéré que l’activité des services publics n’avait pas baissé.
  • L’Insee et l’ONS ont en effet mobilisé des indicateurs complémentaires, en notant par exemple qu’une partie des cours dans les établissements d’enseignement n’avait pas pu avoir lieu, alors que les autres instituts ont conservé leur méthodologie habituelle.
  • En 2020, selon les instituts statistiques nationaux, la baisse de la consommation publique a pesé à hauteur de –0,9 pt sur l’évolution du PIB en France et de –1,4 pt au Royaume-Uni, alors qu’elle était un facteur de soutien pour 0,8 pt en Allemagne et 0,7 pt en Espagne.
  • Dans la mesure où ces écarts reflètent au moins pour partie des choix méthodologiques différents pour la mesure de l’activité en 2020, ils plaident pour une lecture prudente des différences de croissance du PIB entre les pays européens en 2020 et 2021. Ces choix n’affectent plus la croissance du PIB en 2022.

Évolution de la consommation publique en volume en Europe par rapport au niveau pré-crise Covid (T4 2019) en %

1- La consommation publique : un poids important dans le PIB

La décomposition classique du PIB côté demande comprend la consommation privée, l’investissement, les exportations, les importations, la variation des stocks et la consommation publique. Cette dernière correspond aux biens et services qui sont produits par les administrations publiques (État, collectivités locales, organismes de sécurité sociale), tels que les dépenses d’éducation, de santé, de justice ou de défense, ou simplement financés par elles et produits par des acteurs privées, comme les remboursements de la sécurité sociale, les chèques énergies ou les aides au transport. Certaines de ces dépenses sont dites individualisables, car le consommateur effectif est identifiable (dépenses d’éducation, de santé, de culture, etc.), d’autres sont dites collectives, relevant des fonctions régaliennes des administrations (justice, défense, police, services généraux, etc.) ou de services collectifs (entretien des routes, éclairage public) dont on ne peut pas attribuer le bénéfice à des ménages en particulier (cf. Graphique 1).

La consommation publique représente environ un cinquième du PIB dans les principales économies européennes : 19 % en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni, 20 % en Allemagne, et 23 % en France en 2019. Son évolution contribue ainsi de façon importante à la croissance.

La mesure en volume de la consommation publique, c’est-à-dire des quantités qui sont consommées, pose des difficultés méthodologiques particulières. Le comptable national dispose en effet directement d’une mesure en valeur (en euros), mais il doit séparer ce qui relève de l’« effet volume » (l’évolution des quantités) et ce qui est lié à un « effet prix » (l’évolution des prix). Lorsqu’il s’agit de biens et services marchand, l’effet prix peut être facilement identifié à partir de l’évolution de l’indice des prix à la consommation. En retirant l’effet prix de l’évolution en valeur on obtient l’évolution en volume. Pour les biens et services non marchands, qui composent l’essentiel de la consommation publique, l’absence de prix de marché empêche le recours à cette méthode.

Graphique 1 : Décomposition de la consommation publique par fonction en 2019

Dans les pays européens, les méthodes habituellement utilisées pour estimer le volume sont principalement directes, via (i) des indicateurs du volume de services offerts, pour la consommation individuelle (par exemple, nombre d’actes médicaux pour la santé ou nombre d’heures de cours pour l’enseignement) ou (ii) des « intrants » utilisés pour offrir les services publics collectifs (nombre d’employés, nombre d’heures travaillés).

Alternativement, des mesures indirectes via les prix peuvent être utilisées, comme un déflateur des intrants (coût du travail ou des consommations intermédiaires) ou un déflateur basé sur les prix dans le secteur marchand (ce qui est fait pour le secteur de la santé en Allemagne).

  1. Les évolutions nationales de la consommation publique reflètent en partie des choix méthodologiques différents

Le cadre statistique européen est resté relativement souple concernant la mesure de la consommation publique au 1er semestre 2020. Eurostat a recommandé d’utiliser autant que possible les méthodes habituelles et de recourir le cas échéant à des indicateurs permettant de refléter au mieux la réalité des services fournis. Seuls la France et le Royaume-Uni ont communiqué sur la méthode et les ajustements retenus. Les autres pays n’ont pas explicité leurs choix, mais il semble qu’ils aient privilégié le maintien de la méthodologie habituelle plutôt que l’emploi de nouveaux indicateurs. Ils ont ainsi considéré que les dépenses de fonctionnement des administrations n’avaient pas baissé et ont comptabilisé l’activité des services publics sur cette base. D’après le rapport de l’ONS et l’OCDE, l’Italie et l’Allemagne auraient ajusté les volumes d’éducation au 2e trimestre 2020, mais dans une moindre mesure que la France et le Royaume-Uni.

Les comptes nationaux montrent ainsi une forte divergence dans l’évolution de la consommation publique en volume au printemps 2020 (période pendant laquelle ont eu lieu les confinements les plus stricts en Europe) entre la France et le Royaume-Uni, d’une part, et l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, d’autre part. Pour partie, cela peut refléter des situations sanitaires ou des mesures de politiques publiques différentes, par exemple en Allemagne où le confinement a été moins strict qu’en France et au Royaume-Uni. La confrontation des différentes données suggère cependant que les écarts entre pays de la valeur de la consommation publique mesurée en 2020 ont aussi reflété des différences entre les méthodes comptables.

En France, l’Insee a estimé qu’un quart des agents publics n’était pas en activité au 2e trimestre 2020, et a en conséquence ajusté à la baisse la production des administrations publiques. L’Insee, qui se base sur le nombre d’élèves pour calculer la consommation
publique d’éducation en volume, a également pris en compte la forte augmentation de l’absentéisme scolaire pendant le confinement. Au Royaume-Uni, l’ONS a mesuré le nombre d’actes dans les hôpitaux et a sondé les professeurs sur le temps qu’ils ont passé à enseigner (à distance ou non). Selon l’ONS, en dépit de l’activité médicale due au Covid, la fermeture des
écoles et le report de soins ont ainsi donné lieu à une diminution globale de la quantité de services publics produits.

L’Insee et l’ONS ont ajusté en conséquence l’évolution de la consommation publique en volume au 2e trimestre 2020 (baisse de –14,6 % en France et de –20,9 % au Royaume-Uni par rapport au 4e semestre 2019), qui a ensuite retrouvé son niveau pré-crise, dès le 3e trimestre 2020 en France et plus tardivement (2e trimestre 2021) au Royaume-Uni. À l’inverse, la consommation publique en valeur a continué d’augmenter (les salaires étant encore versés) : d’un point de vue comptable, le déflateur de la consommation publique a donc nettement augmenté en France et au Royaume-Uni jusqu’au 2e trimestre 2022 avant de revenir vers son niveau d’avant-crise.

Dans les autres pays européens, l’utilisation des méthodes usuelles de mesure, ajustées seulement à la marge, a conduit à une mesure de l’évolution de la consommation publique en volume proche de son évolution en valeur. Ainsi, la consommation publique mesurée a continué de progresser en Allemagne au 1er semestre 2020 (+0,6 %) et en Espagne (+1,8 %), et elle a été quasiment stable en Italie (+0,2 %).

L’évolution de la consommation publique en volume en France et au Royaume-Uni est cohérente avec l’évolution d’autres indicateurs en volume comme les heures travaillées. En revanche, l’évolution de la consommation publique en volume dans les autres pays suit plutôt les indicateurs de valeur comme la rémunération des salariés.

Comparaison entre l’évolution de la production du secteur non marchand et la consommation publique

Afin d’éclairer les différences entre pays dans l’évolution de la consommation publique, on peut regarder, du côté de l’offre, des indicateurs dans les branches majoritairement non marchandes (OPQ)a, tels que le nombre d’heures travaillées ou la rémunération des salariés.

Dans tous les grands pays européens, le nombre d’heures travaillées totales a nettement baissé dans ces secteurs au printemps 2020 : de plus 10 % au 2e trimestre 2020 en France et Royaume-Uni par rapport au 4e trimestre 2019, et d’environ 5 % en Allemagne, en Espagne et en Italie). La rémunération dans ces secteurs majoritairement non marchands a moins baissé que les heures travaillées, et elle a même progressé en France et en Espagne.

D’après l’analyse de l’OCDE et de l’ONSb, tous les pays européens ont connu une chute de leur production nonmarchande (secteurs OPQ tels que l’administration publique, la santé et l’éducation) en volume au 1er semestre 2020.

En France et au Royaume-Uni, cette chute coïncide avec celle de la consommation publique en volume. En revanche, dans les autres pays (Italie, Espagne Allemagne), elle semble plus difficile à concilier avec la progression de la consommation publique.

Graphique 2 : Évolution de la consommation publique et d’indicateurs dans le secteur non marchand (O-Q) entre le T4 2019 et le T2 2020

  1. Des conséquences notables sur la mesure de l’activité des grands pays européens

Le PIB est la mesure de l’activité économique de chaque pays, élaborée par les comptables nationaux. En 2020, le PIB a nettement diminué en France, de –7,9 % selon la dernière estimation de l’Insee. La baisse a été plus forte en Italie (–9,1 %), au RoyaumeUni (–11,0 %) et en Espagne (–11,3 %). En revanche, le PIB a diminué de seulement –4,1 % en Allemagne.

La comptabilisation à la baisse de la consommation publique a accentué le recul du PIB en France (contribution à hauteur de –0,9 pt) et au Royaume-Uni (–1,4 pt). La consommation publique a au contraire soutenu l’activité en Allemagne (à hauteur de +0,8 pt),
en Espagne (+0,7 pt), et eu un effet neutre en Italie (contribution de 0,0 pt). En miroir de la baisse en 2020, le rebond de la consommation publique en France et au Royaume-Uni a soutenu la croissance du PIB en 2021, contribuant à hauteur de +2,8 pts au Royaume-Uni et de +1,6 pt en France.

Si l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie avaient ajusté leur méthode de calcul en ayant recours à des indicateurs complémentaires, il est probable que l’évolution de la consommation publique enregistrée en 2020 aurait été plus faible, voire négative. Cela aurait accentué la baisse du PIB en 2020, et renforcé le rebond en 2021.

L’effet de ces différences méthodologiques appelle une lecture prudente des différences de croissance entre les grands pays européens pendant la crise sanitaire, en considérant en particulier conjointement les années 2020 et 2021. Cela montre aussi l’importance de la transparence concernant les méthodologies utilisées par les comptables nationaux. On notera enfin que ces différences, qui portent sur le niveau du PIB mesuré en 2020, affectent la comparabilité de la croissance en 2020 et 2021 mais ne jouent plus sur la croissance à partir de 2022.

Graphique 3 : Contribution de la consommation publique à l’évolution du PIB en 2020 et 2021