Crédit Suisse et les banques européennes en état d’alerte

Le 23 Mars 2023 : L’effondrement récent de trois banques américaines a accentué la crise de liquidité que traverse Crédit Suisse. Les répercussions potentielles sur les autres banques européennes et le système bancaire mondial sont sources d’inquiétude.

Dans cet article, nous présentons les conclusions de Jérémie BOUDINET, Responsable Crédit Investment Grade, à ce sujet.

Crédit Suisse : Contexte

Depuis plusieurs années, Credit Suisse a été impliquée dans plusieurs scandales médiatisés, soulevant des questions quant à sa gouvernance d’entreprise et sa gestiondu risque globale. Par conséquent, nous avons exclu Credit Suisse de nos fonds ouverts ou dédiés en raison de son historique d’incidents opérationnels majeurs et de controverses commerciales, qui ont révélé des lacunes dans sa gestion des risques. Bien que ces incidents diffèrent par leur nature et leur impact, leur accumulation suggère que des problèmes structurels ont longtemps persisté au sein de l’entreprise.

CREDIT SUISSE : UNE CONFIANCE ÉBRANLÉE DEPUIS OCTOBRE 2022

OCTOBRE 2022 – La banque a annoncé une perte nette de 4 milliards de CHF pour le troisième trimestre, ainsi qu’un plan d’augmentation de capital

NOVEMBRE 2022 – Les obligations senior HoldCo et Opco ont été rétrogradées d’un cran par S&P

FEVRIER 2023 – La banque a annoncé une perte nette de 7,3 Mds de CHF pour l’exercice 2022, avec des sorties importantes d’encours. La FINMA lance une enquête pour les commentaires du Président sur les fuites de dépôts

MARS 2023 – Le 15 mars, l’actionnaire principal, une banque saoudienne, a refusé d’investir davantage

QUE S’EST-IL PASSÉ DEPUIS LE 19 MARS 2023 ? 

Le 19 mars, tous ces éléments cités précédemment ainsi que le stress subi par la banque ces derniers jours, notamment suite à la faillite des banques régionales américaines, ont poussé la FINMA à donner son approbation à l’acquisition de Credit Suisse par UBS. Cette opération s’est soldée par l’achat de la banque pour 0,76 CHF par action, soit un montant total de 3 milliards CHF. Malheureusement, les détenteurs d’AT1 ont été durement touchés par cette décision, car la valeur de leurs titres est tombée à zéro.

Ce qui surprend ici et crée un précédent est le non-respect de la hiérarchie des créanciers. Contrairement aux actionnaires, les porteurs d’AT1 CoCos de Credit Suisse (15,8 milliards de francs) verront leurs titres totalement dépréciés. Les Cocos T2 quant à elles (1,5 milliard CHF) sont épargnés au même titre que les obligations senior de la HoldCo et de l’OpCo. Force est de constater que les instruments AT1 à “dépréciation permanente” offrent désormais une protection moindre que les obligations CoCos AT1  à “dépréciation temporaire” ou à “conversion en actions”.

D’AUTRES BANQUES SONT-ELLES EN DANGER ?

Le récent effondrement de la banque ne signifie pas que les autres établissements de crédit sont en danger. Les difficultés de Credit Suisse étaient spécifiques et auto-infligées, et l’effondrement des banques régionales américaines n’a fait qu’accélérer les choses. Les banques européennes, même si elles pourraient souffrir de cette affaire de manière réputationnelle, n’ont aucun point commun fondamental avec Credit Suisse. Il est important de souligner que les banques européennes jouissent d’une plus grande solidité grâce à des facteurs tels que :

  • Une réglementation de plus en plus stricte,
  • Des réserves de capitaux solides,
  • Des ratios de liquidité élevés,
  • Des modèles d’activités stables.

Malgré tout, il convient de rester vigilant quant à l’impact potentiel de la situation actuelle sur le marché AT1, qui pourrait notamment être affecté par des vendeurs forcés en raison des flux sortants sur cette classe d’actifs et la désaffection des acheteurs occasionnels pour le segment. Soulignons également que le secteur financier mondial traverse une période de turbulences, marquée par la disparition de quatre banques en moins de deux semaines, ce qui nécessite une évaluation minutieuse de la santé financière de l’ensemble du secteur. Dans ce contexte, il est crucial de pouvoir compter sur un soutien solide de la part des banques centrales et des régulateurs en cas de crise de liquidité.

Conclusion

Credit Suisse a fait face à des difficultés qui ont débuté il y a plusieurs années et qui se sont aggravées ces derniers mois, notamment à la suite de l’effondrement de la SVB, qui a accéléré sa crise de liquidité. Afin d’éviter une défaillance du risque de contrepartie, la reprise de Credit Suisse par UBS est considérée comme la meilleure solution pour le système bancaire européen, car cela permet d’éliminer son maillon systémique le plus faible.

Cependant, cette crise nous rappelle qu’il y a encore des leçons à tirer. Le secteur bancaire a beaucoup évolué depuis la crise financière de 2008, avec des banques aujourd’hui beaucoup plus liquides et capitalisées qu’auparavant et des régulateurs plus réactifs en temps de crise. La pandémie de Covid-19 en est la preuve, car les gouvernements, les banques centrales et les régulateurs ont apporté des réponses appropriées pour soutenir le système bancaire et éviter une crise économique majeureLes banques sont désormais considérées comme une réponse à une crise plutôt que comme la cause de celle-ci.

Chaque résolution bancaire est différente et constitue en fin de compte une décision politique plutôt que financière. Les régulateurs ont la possibilité de contourner les textes de résolution si nécessaire (Les banques allemandes ont évité les renflouements ces dernières années pour HSH et NordLB, tandis que Monte dei Paschi a été nationalisée et recapitalisée une fois de plus). Dans le cas de Credit Suisse, elle a été vendue avec une possibilité de récupération pour les actionnaires, mais aucune pour les détenteurs d’AT1.

Il est important de surveiller de près le secteur bancaire parallèle, également appelé “shadowbanking“. En cas de crise, les actifs illiquides et non cotés, tels que le capital-investissement et la dette privée, peuvent également avoir des impacts négatifs sur le marché. Il est donc crucial de prendre en compte ces actifs dans les évaluations des risques et les mesures de réglementation afin de maintenir la stabilité du secteur.

NOTE INFO

Les faillites bancaires aux États-Unis et les prochains dominos à tomber : les marchés financiers ne regardent pas dans la bonne direction.


1/ Que s’est-il passé ?


a) L’histoire d’une exposition au système bancaire parallèle et d’une concentration des déposants

Le système bancaire américain se compose de plus de 4 000 établissements de crédit, dont l’écrasante majorité détient moins de 10 milliards de dollars d’actifs. La surveillance réglementaire diffère évidemment selon que l’on est JPMorgan Chase (plus de 3 600 milliards de dollars d’actifs fin 2022) ou une petite banque régionale. Les exigences de fonds propres sont moins élevées pour les petites banques, qui ne sont pas tenues de respecter plusieurs contraintes en matière de liquidités. Pourtant, il ne s’agit pas ici d’une défaillance de la réglementation.

C’est l’histoire d’une croissance rapide et d’une concentration des déposants qui se termine mal pour trois banques :

  • Silvergate Bank (SI) : ses actifs sont passés de 2 milliards de dollars à 16 milliards de dollars entre 2019 et 2021, avant de retomber à 11 milliards de dollars à la fin de l’année 2022. Cette banque centrée sur les cryptomonnaies a annoncé jeudi qu’elle mettait fin à ses activités et liquidait la banque, qui est en proie à des turbulences financières depuis l’effondrement de la bourse de cryptomonnaies FTX. À la suite d’une ruée bancaire au quatrième trimestre, Silvergate s’est appuyée sur la Federal Home Loan Bank of San Francisco pour une injection de 4,3 milliards de dollars, ce qui, à la fin du trimestre, représentait la quasi-totalité de ses actifs.
  • Signature Bank (SBNY) : ses actifs sont passés de 50 milliards de dollars à 118 milliards de dollars entre 2019 et 2021. Ils étaient beaucoup plus importants que ceux de la Silvergate Bank, aujourd’hui disparue. Suite à la disparition de la Silicon Valley Bank et de la Silvergate Bank, la Signature Bank a été fermée dimanche par son autorité de régulation. Tous les déposants de cette institution seront remboursés. Comme pour la résolution de la défaillance de la Silicon Valley Bank, aucune perte ne sera supportée par le contribuable.
  • Silicon Valley Bank (SVB) : ses actifs sont passés de 71 milliards de dollars à 211 milliards de dollars entre 2019 et 2021 et sont restés stables jusqu’à la fin de 2022. Comme son nom l’indique, la SVB accordait des prêts à des entreprises principalement basées dans la Silicon Valley, en mettant l’accent sur les prêts aux entreprises technologiques et en fournissant des services aux sociétés de capital-risque et de capital-investissement. Elle s’est rapidement développée pour devenir le 18e holding bancaire des États-Unis. Sur la période 2019-2021, la SVB a reçu d’importants dépôts de sociétés de capital-risque qu’il lui a fallu couvrir à l’actif. La direction a donc cherché à obtenir des rendements en achetant des obligations à long terme (bons du Trésor, titres adossés à des créances hypothécaires, etc.). La banque a commencé à perdre des dépôts lorsque les sociétés de capital-risque ont retiré des liquidités du capital d’exploitation, ce qui a poussé la direction à vendre certains de ses actifs à long terme.


Le 9 mars 2023, les actions de SVB Financial ont plongé de plus de 62 % après que la société a proposé une vente d’actions pour consolider son bilan qui avait subi une fuite des dépôts et une perte réalisée de 1,8 milliard de dollars sur la vente de titres. Selon un document réglementaire publié vendredi, les investisseurs et déposants ont tenté de retirer 42 milliards de dollars de la SVB jeudi… Une bonne vieille « ruée bancaire ». Malgré la bonne situation financière de la banque avant jeudi, l’organisme de surveillance californien a déclaré que la ruée bancaire « a rendu la banque incapable de s’acquitter de ses obligations à leur échéance » et qu’elle est désormais insolvable. La banque a ensuite été fermée par le département californien de la protection financière et de l’innovation et placée sous séquestre par la FDIC, ce qui constitue la plus grande faillite d’une banque américaine depuis la crise financière.

Dimanche soir, une déclaration commune du Trésor américain, de la Fed et de la FDIC a annoncé qu’« aucune perte liée à la résolution de la défaillance de la Silicon Valley Bank ne sera supportée par le contribuable ». En d’autres termes, tous les dépôts (même ceux qui ne sont pas assurés par la FDIC au-delà de 250 000 dollars) seront garantis. Toute perte subie par le fonds d’assurance-dépôts pour soutenir les déposants non assurés sera récupérée par une cotisation spéciale imposée aux banques. Les détenteurs de dettes subordonnées et d’actions perdront très probablement l’intégralité de leur investissement, tandis que les créanciers de premier rang non garantis pourront récupérer une partie de leurs avoirs (les obligations s’échangeaient à environ 40 cents par dollar à la clôture de vendredi, mais ce n’est pas une indication fiable de leur récupération finale).

Afin de contenir les retombées de ces faillites bancaires, la Fed a déclaré qu’elle créerait un nouveau programme de prêt pour les banques : le programme de financement à terme des banques (Bank Term Funding Program, ou BTFP). Ce mécanisme permettra aux banques d’obtenir des avances de la Fed pour une durée maximale d’un an en donnant en garantie des bons du Trésor, des titres adossés à des créances hypothécaires et d’autres titres de créance. Le fait d’autoriser les banques à nantir leurs obligations leur permet de faire face aux retraits de leurs clients sans avoir à vendre leurs obligations à perte, comme l’avait fait la SVB la semaine dernière. Les banques peuvent emprunter des fonds à hauteur de la valeur nominale des garanties qu’elles apportent, ce qui signifie que la Fed n’examinera pas les pertes potentielles non réalisées sur les obligations.

Ce mécanisme, ainsi que la garantie que tous les déposants seront remboursés, sont des mesures très importantes pour assurer la sécurité du système bancaire américain.

b) Comment une banque peut-elle mourir aussi rapidement ?


C’est la définition même d’une « ruée bancaire ». La SVB avait simplement annoncé mercredi soir qu’elle cherchait à lever des capitaux frais pour couvrir sa perte nette (qui était loin d’être importante du point de vue du bilan), mais cette annonce arrivait juste après l’effondrement de Silvergate, aggravant ainsi la panique chez les sociétés de capital-risque. Selon CNBC, plusieurs fonds importants ont demandé à leurs startups de retirer leurs fonds de la SVB ces derniers jours, craignant une ruée bancaire. La nature hautement interconnectée de la communauté des investisseurs technologiques, ainsi que la chambre d’écho des médias sociaux, sont les principales raisons de la disparition rapide de la banque.

Nous avons déjà vu cela, et il n’est pas nécessaire de remonter à la grande crise financière de 2007-2008 pour prendre du recul. En Europe, la banque Banco Popular Español s’est effondrée à la suite d’une ruée bancaire qui semble avoir été induite par les autorités locales qui, en juin 2017, avaient conseillé aux communautés et aux municipalités de retirer leurs fonds de la banque, car sa solidité financière était remise en question. Aucun capital ni aucune valeur mobilière liquide ne peut vous sauver d’une « ruée bancaire ». Ce sera toujours le talon d’Achille du secteur bancaire, qui repose en fin de compte sur la confiance de ses clients. Les banques sont par nature un secteur à effet de levier, où les dépôts à court terme financent les prêts à long terme. Les réglementations adoptées depuis la grande crise financière ont contraint les banques à détenir beaucoup plus de capital qu’auparavant et à se désendetter dans une large mesure, tout en les obligeant à détenir de grandes quantités d’« actifs liquides de haute qualité » pour satisfaire aux nouvelles exigences en matière de liquidité. Mais cette surveillance réglementaire vise principalement les banques mondiales et systémiques, plutôt que les acteurs régionaux.


c) Des canaris dans la mine de charbon ?

Pourquoi ces deux banques en particulier ont-elles été liquidées au cours de la même semaine ?

La panique est bien sûr une prophétie autoréalisatrice pour arriver au pire résultat, mais Silvergate, Signature Bank et SVB partageaient une caractéristique bien particulière : la diversification de leurs déposants n’était pas suffisante. Pour le dire en termes simples : lorsqu’une banque ne s’adresse qu’à un seul groupe de personnes, et que ces personnes commencent à souffrir elles-mêmes de sorties de fonds, la banque devient sujette aux déboires des personnes qu’elle finance. Silvergate était la banque de l’industrie des cryptomonnaies et la SVB était la banque des sociétés de capitalrisque, qui ont fait l’objet d’un examen minutieux et de pressions en 2022. Les taux américains étant bloqués à des niveaux plus élevés, il va sans dire que le financement de ces industries est devenu plus difficile au cours des 15 derniers mois.

Est-ce la seule leçon à tirer ? Nous constatons que l’accent est mis sur l’inadéquation naturelle de la gestion actif-passif (ALM) à laquelle une banque est confrontée lorsqu’elle achète des obligations à long terme pour couvrir des dépôts à court terme. En général, une banque échange ses actifs à taux fixe contre des actifs à taux variable afin d’éviter une telle disparité dans sa gestion ALM, car les dépôts sont principalement rémunérés sur la base de taux variables. En outre, une banque peut décider de conserver ses titres jusqu’à l’échéance, ce qui a pour effet bénéfique de ne pas avoir d’impact sur son compte de résultat, tant qu’elle n’est pas obligée de les vendre. La plupart des obligations achetées par la SVB pendant sa phase d’expansion étaient assorties de pertes latentes élevées, mais là encore, cela ne devrait pas devenir un sujet brûlant, à moins que la banque ne soit obligée de déboucler ses positions pour couvrir les retraits de ses dépôts ET qu’elle ne bénéficie pas d’une couverture des taux d’intérêt. Une courbe de rendement inversée aux États-Unis est négative pour les marges d’intérêt nettes des banques, car celles-ci doivent rémunérer les dépôts tout en gagnant un peu moins sur les actifs, mais cela n’est pas si inquiétant pour l’instant, à notre avis, car la rentabilité des banques américaines reste élevée.


Bien qu’il soit toujours intéressant de discuter des indicateurs de la comptabilité et de la rentabilité des banques, ce n’est pas le sujet qui nous intéresse ici. Ce qui importe, c’est que les banques dont les déposants ne sont pas suffisamment diversifiés et qui prêtent à des activités volatiles/risquées seront toujours plus sujettes à des « ruées bancaires », surtout si elles ne disposent pas d’une gestion adéquate de leurs risques ni ne font l’objet d’un niveau élevé de surveillance réglementaire.

2/ La contagion ? Il ne s’agit pas d’une crise bancaire. Mais d’une crise du système bancaire parallèle.

a) Banques américaines : la contagion aux prix des actions n’a pas de fondement solide

Une étude publiée vendredi par le cabinet d’études indépendant CreditSights souligne que la SVB est un cas unique parmi les banques régionales américaines, car son portefeuille de prêts est orienté à 79 % vers les secteurs de la technologie et des fonds de capital-risque, alors que des pairs tels que PNC, CFG, RF, FITB, TFC, CMA, USB, KEY ont une exposition qui se situe entre 1 et 4 %. Nous ne voyons pas de raison fondamentale à la contagion aux prix des actions qui s’est produite cette semaine, car ces banques ne semblent pas souffrir de retraits de dépôts inquiétants et elles ne montrent aucun signe de détérioration de la qualité de leurs actifs.

En outre, les grandes banques américaines sont soumises à deux ratios de liquidité conçus dans le cadre des règles de Bâle III : le ratio de couverture des liquidités (LCR) et le ratio structurel de liquidité à long terme (NSFR) ce qui n’est pas le cas des banques plus petites telles que la SVB. Enfin, l’économie américaine continue de bénéficier d’un contexte macroéconomique positif, qui devrait soutenir les indicateurs de bilan et de compte de résultat pour les trimestres à venir.

Il semble également que la SVB n’ait pas mis en place une politique de couverture appropriée pour ses expositions aux obligations à long terme, ce qui aurait dû empêcher la banque d’enregistrer une perte importante lors du débouclage de ses positions. Bien que cela nous surprenne et nous paraisse suspect, il convient de souligner que toutes les grandes banques américaines appliquent ce type de politique. En outre, selon Autonomous Research, les pertes non réalisées sur les titres détenus jusqu’à l’échéance représentaient près de 80 % de la valeur comptable corporelle de la SVB, alors que d’autres banques américaines y sont beaucoup moins exposées (entre 5 et 50 % de leur valeur comptable corporelle, selon ce cabinet d’études indépendant).

b) Banques en dehors des États-Unis : le Credit Suisse dans l’œil du cyclone

Le risque le plus évident concerne le Credit Suisse, qui souffre depuis un certain temps de ses propres difficultés. Ses actions se négocient à des niveaux historiquement bas et ont perdu environ 70 % de leur valeur depuis le début de l’année 2022.

Le Credit Suisse s’efforce de regagner la confiance de ses clients après l’annonce de résultats catastrophiques au quatrième trimestre et d’une perte nette de 7,3 milliards de francs suisses pour l’ensemble de l’année 2022. La banque lutte pour stabiliser les retraits de dépôts et d’actifs sous gestion, qui ont été très élevés au quatrième trimestre (93 milliards de francs suisses pour la gestion de patrimoine, 8 milliards de francs suisses pour la banque suisse et 12 milliards de francs suisses pour la gestion d’actifs).

Le CS a également été déficitaire dans pratiquement tous ses segments d’activité. Selon Bloomberg, le CS a récemment relevé le taux d’intérêt sur les dépôts d’argent frais à partir de 5 millions de dollars en Asie, afin de stabiliser les flux sortants et de conserver les clients existants. En outre, le président du CS fait l’objet d’une enquête de la part de la FINMA, le régulateur suisse, qui cherche à établir « dans quelle mesure Lehmann (le président, sans jeu de mots avec Lehman Brothers) et d’autres représentants du Credit Suisse savaient que des clients continuaient à retirer des fonds lorsqu’il a déclaré dans des interviews aux médias que les
sorties de fonds avaient cessé ».

Cela s’explique par le fait que le Credit Suisse a subi des retraits de dépôts et que sa clientèle est composée en grande partie de particuliers avertis et d’entreprises, qui sont considérés comme des déposants moins captifs que les clients de détail. Ces prochains mois seront déterminants pour le Credit Suisse, qui a absolument besoin de stabiliser sa base de dépôts, même au détriment de sa rentabilité, qui est de toute façon déjà fortement entamée. Notre hypothèse de base est que le Credit Suisse pourrait finir par être plus ou moins scindé, avec la vente partielle ou totale de sa franchise de banque d’investissement et la conservation de sa branche suisse de banque de détail et d’une partie de sa franchise de gestion de patrimoine à l’étranger. Toutefois, cette hypothèse est liée à sa capacité à contrer les retraits de dépôts à court et à moyen terme.

Il convient de rappeler que le cadre suisse de réglementation des capitaux pour UBS et Credit Suisse est appelé le régime « Too big to fail » (trop grand pour faire faillite). Ainsi, si le Credit Suisse devait faire faillite en raison d’un retrait massif des dépôts, la FINMA serait prête à agir très rapidement pour préserver les intérêts des déposants, tout en démantelant le reste de la banque, aux frais des actionnaires et des détenteurs d’obligations subordonnées. Là encore, le cas le plus proche qui ait été rencontré récemment est celui de Banco Popular en Espagne, qui a été vendue pour 1 euro à Santander afin de protéger les détenteurs de dépôts et d’obligations de premier rang.


C’est pourquoi nous évitons d’investir dans le Credit Suisse. Même si un tel événement constitue un risque lointain, la crainte actuelle d’une contagion et la pression exercée par les marchés sont très défavorables à la banque suisse. Qu’en est-il des autres banques en dehors des États-Unis ? Nous ne voyons aucune raison fondamentale de s’inquiéter à ce sujet. Bien que les obligations des banques à bêta élevé telles que la Deutsche Bank aient tendance à surréagir dans une certaine mesure à ce type de nouvelles, il n’y a rien à voir ici, à notre avis. Les fondamentaux du crédit pour les banques européennes n’ont jamais été aussi positifs, avec des indicateurs de dépôts stables, de faibles ratios de prêts non performants et des réserves de capital élevées. Nous supposons également que, dans un scénario très négatif, les détenteurs d’obligations de premier rang et subordonnées seraient protégés par une éventuelle interdiction de distribution de dividendes et d’autres mesures de protection (accès illimité aux liquidités de la banque centrale, etc.), comme cela s’est produit lors de la crise de la Covid-19 en 2020.

En outre, les pertes non réalisées sur les portefeuilles de titres détenus jusqu’à l’échéance sont nettement moins importantes pour les banques européennes (généralement entre 0 et 20 % de leur valeur comptable corporelle) que pour les banques américaines. Encore une fois, soulignons qu’il n’y a absolument aucune raison de s’inquiéter, car les banques couvrent ces expositions, qui n’ont même pas besoin d’être débouclées, sauf en cas d’énormes retraits des dépôts.


c) Le véritable risque de contagion : le système bancaire parallèle

Nous soutenons depuis des années que Bâle III et les réglementations bancaires qui ont suivi dans le monde entier ont forcé les banques à réduire fortement leur effet de levier et leur ont interdit d’exercer des activités plus risquées, telles que le capital-investissement, les prêts privés, la détention d’actions d’entreprises, etc. Ces activités ont été transférées à ce que l’on appelle le « secteur bancaire parallèle », qui opère avec des sociétés non réglementées ou sous-réglementées. Des années et des années de taux bas, de politiques monétaires non conventionnelles et de relance budgétaire ont alimenté le secteur bancaire parallèle, qui est devenu un véritable mastodonte dans de nombreux domaines difficiles, voire impossibles, à contrôler. L’avenir de ce secteur dépend des perspectives macroéconomiques et inflationnistes pour les trimestres à venir, et il est impossible à ce stade de dire quel sera le prochain domino à tomber.

À notre avis, les marchés financiers et les régulateurs devraient accorder plus d’attention à ces acteurs qu’aux banques américaines et européennes, qui sont déjà suffisamment capitalisées et réglementées. Les banques disparues Silvergate et SVB pourrait bien être les canaris dans la mine de charbon de ce secteur, tout comme la limitation des retraits imposée par Blackstone à son fonds immobilier privé, par exemple.

Bien sûr, l’augmentation des faillites dans le secteur bancaire parallèle aura des conséquences pour les banques du monde entier, mais les établissements de crédit sont suffisamment solides pour y faire face, grâce aux contraintes réglementaires dont ils bénéficient. Les conséquences d’une crise théorique totale sur le secteur bancaire parallèle qui n’est, encore une fois, pas notre scénario de référence – auraient un impact sur tous les secteurs cycliques de l’économie, dont les banques, mais leur nature surréglementée devrait largement les protéger.

Conclusion : les faillites de SVB, Signature et Silvergate ne constituent pas un danger pour les États-Unis, ni pour le système bancaire mondial. Cependant, elles révèlent clairement le manque de surveillance réglementaire du secteur bancaire parallèle et les dangers que courent les banques qui dépendent d’une base de dépôts fragile. Les perspectives actuelles en matière d’inflation et de taux font peser une menace claire sur le secteur bancaire parallèle, qui s’est développé rapidement au détriment du secteur bancaire. Si le secteur bancaire ne peut échapper aux déboires macro et microéconomiques du secteur bancaire parallèle, il n’est pas responsable des excès qui se sont répandus ces dernières années et ne devrait pas trop souffrir de ces défaillances, grâce à la solidité de ses bilans, des montants élevés d’actifs liquides, et une possible indulgence réglementaire, comme ce fut le cas lors de la pandémie de Covid-19

Par Jérémie Boudinet, Responsable Gestion Investment Grade, La Française AM