Données ESG et coopération internationale: quels défis à venir ?

Cette décennie a été extraordinaire pour les investissements durables. Nous avons assisté à la confluence d’actions menées par des entreprises, des particuliers et des décideurs politiques. Ces derniers ont été particulièrement actifs au cours des trois dernières années et le pouvoir croissant de la réglementation change complètement la donne pour la durabilité, et les données durables en particulier. La fameuse réglementation SFDR (Sustainable Financial Disclosure Regulation) place la barre de plus en plus haut, non seulement en ce qui concerne la diffusion des données, mais aussi la discipline et l’approche des cadres durables.
Par Ophélie Mortier, stratégiste investissement responsable chez DPAM

LA COURSE À LA NEUTRALITÉ CARBONE N’EST PAS QU’UNE DÉCLARATION !

Presque tous les pays se sont engagés à atteindre la neutralité carbone dans les décennies à venir, avec des conséquences économiques et financières majeures. Cela signifie, tout d’abord, ne plus avoir recours aux combustibles fossiles d’ici 2050 et établir un processus de décarbonisation agressif. Mais cela représente aussi un coût d’investissement estimé à plus de 5 000 milliards de dollars par an jusqu’en 2030, ce qui nécessite un financement considérable.

Les cinq dernières années ont été des années record en termes d’émissions d’obligations « vertes » et équivalents, mais ce n’est qu’un début. Il devrait y avoir un recours massif à ces instruments dans les années à venir, car ils devraient apporter une meilleure diversification et une plus grande profondeur aux marchés. Qu’ils soient volontairement attirés par ces instruments ou poussés par la réglementation, les investisseurs sont enclins à acheter des actifs “verts” dont les valorisations commencent à refléter une forte demande.

En effet, la taxonomie européenne, entre autres, pousse les investisseurs à acheter des titres qui leur permettront d’afficher les meilleurs taux d’alignement sur les objectifs d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, les deux premiers objectifs d’une série à laquelle se sont rajoutés quatre autres plus récemment.

Pour rappel, la taxonomie vise à apporter des précisions sur ce qui doit être considéré comme « vert ». Celle-ci devrait également permettre de réallouer les capitaux vers les activités économiques et les entreprises contribuant aux objectifs environnementaux alignés sur la taxonomie.

Bien que les pays aient des ambitions importantes, pour réussir, celles-ci doivent être atteintes à l’échelle mondiale. C’est pourquoi, l’issue de la COP 26 n’a pas été rassurante. C’était “une COP des pays riches pour les pays riches”, comme l’ont déclaré plusieurs experts, et avec un décalage important entre les déclarations officielles de la première semaine et les concessions concrètes mises sur papier la deuxième semaine. Cela a engendré un contexte de méfiance sans précédent, notamment entre les économies développées et émergentes, auquel les prochaines conférences devront trouver une solution rapidement. La guerre de leadership climatique entre la Chine et les Etats-Unis a déjà créé quelques tensions géopolitiques. L’échec de la COP 26 sur plusieurs points essentiels de la coopération internationale et la méfiance entre les Etats vont renforcer les tensions géopolitiques sur le sujet.

QU’EN EST-IL DES ASPECTS SOCIAL ET GOUVERNANCE ?

L’impact de la réglementation concernant les exigences sociales et de gouvernance a été assez limité pour le moment, notamment sur la valorisation.

Au niveau social, l’accent reste mis sur la prise en compte complexe des Droits de l’Homme tout au long de la chaîne de valeur, le fameux devoir de diligence établi par la France et le Royaume-Uni. Cependant, la première version de la taxonomie sociale a été publiée l’été dernier, et promet des débats animés, bien que subjectifs sur sa mise en œuvre.

Nous observons la même situation en termes de gouvernance : les garanties minimales à appliquer d’un point de vue réglementaire viennent renforcer l’examen des incidents et scandales auxquels les émetteurs sont confrontés. De plus, le passage de la suprématie des actionnaires à la gouvernance des parties prenantes met au premier plan la notion de “mission” de l’entreprise envers la société. Cela a ouvert la porte à des débats intéressants sur l’équilibre fragile de ce microcosme.

LES 5 MESSAGES CLÉS POUR 2022 ET AU-DELÀ

Le marché ESG a connu une croissance très rapide au cours de ces cinq dernières années et est devenu le courant dominant aujourd’hui. C’est pourquoi, nous pensons que les flux importants d’actifs durables de ces derniers trimestres seront amenés à se poursuivre. Le suivi de ces flux est essentiel dans la gestion des portefeuilles.

La réglementation est là pour soutenir, voire accélérer, ces flux. La règlementation SFDR, en particulier, change la donne pour recycler les actifs en solutions d’investissement ESG.

La demande est donc clairement en hausse. Du côté de l’offre, l’univers des actifs verts reste relativement restreint, avec des biais géographiques et sectoriels. Cela pourrait peser sur la valorisation. Il est donc impératif que l’univers s’élargisse afin d’éviter une surcharge de risques d’investissement parmi ceux que nous connaissons déjà. Les portefeuilles gérés activement peuvent faire la différence.

Suite à la récente hausse des valorisations, l’erreur potentielle de valorisation des actifs ESG et la corrélation positive entre ESG et performance financière pourraient être contestées. Compte tenu de la diversité des approches en termes de durabilité, la réponse n’est pas toujours évidente. Néanmoins, une récente méta-analyse du NYU Stern Center for Sustainable Business et de Rockefeller Asset Management a confirmé la corrélation positive et/ou neutre entre l’ESG et la performance financière. Le consensus du marché s’établit sur le fait que l’ESG peut conduire à une surperformance.

Enfin, la question des données est un défi bien connu. La règlementation SFDR et la taxonomie en particulier ont changé la donne pour l’investissement ESG et les données. Les besoins des investisseurs ont évolué des évaluations ESG subjectives des fournisseurs de données aux données brutes objectives ESG provenant directement des entreprises. Le monde financier a besoin de données adéquates, fiables et prospectives pour prendre des décisions d’investissement appropriées, en parfaite adéquation avec l’agenda politique 2030-2050. L’annonce par l’International Financial Reporting Standards (IFRS) de la création de l’International Sustainability Standards Board (ISSB) a donc été bien accueillie par les marchés. Cela permettra de développer une base de référence mondiale complète sur les normes de diffusion des données durables pour les marchés financiers, ce qui est une évolution prometteuse pour la suite.

DPAM est une société indépendante de gestion active d’actifs qui gère des fonds d’investissement ainsi que des mandats discrétionnaires pour le compte de clients institutionnels, pour un montant total de 43,2 milliards d’euros, à décembre 2020.