Et si la performance d’une entreprise se mesurait autrement ?

Analyser la performance financière d’une entreprise est aujourd’hui quasiment à la portée de chacun : les données publiées dans les bilans comptables varient peu d’un établissement à l’autre, ce qui en facilite la lisibilité, et sont accessibles en quelques clics, de même que les rapports et études réalisés par les spécialistes de ces sujets.

La tâche est autrement plus complexe pour qui veut collecter les informations relevant de la performance sociale de l’entreprise. Car en dépit d’importantes avancées en matière de reporting extra-financier, qu’illustre la mise en place de critères ESG, il reste encore dans ce domaine à créer des standards d’analyse homogènes, précis et pertinents. C’est seulement en affinant ces indicateurs que les entreprises pourront afficher leur contribution à la sphère sociale et au bien commun.

De cette lacune méthodologique est né un projet de recherche pilote, mené par le programme CODEV (Companies and development) de l’ESSEC IRENE (Institut de Recherche et d’Enseignement sur Négociation). Cette étude de terrain, nourrie par des travaux théoriques pluridisciplinaires, vise à évaluer la façon dont les entreprises participent au renforcement du lien social et écologique dans leur zone d’influence. Echelonnés sur trois ans, elle s’intéresse à la qualité des relations en interne (entre collaborateurs d’une même société tant au niveau horizontal que vertical) et en externe, entre l’entreprise et son écosystème. Il s’agit de couvrir un large prisme d’enjeux et de parties prenantes : clients et fournisseurs, partenariats tissés avec les communautés locales, gouvernance et politique des ressources humaines.

L’apport d’une entreprise au lien social peut prendre des formes multiples. Il varie évidemment en fonction du secteur d’activité et de la manière dont elle se saisit des enjeux éthiques et des risques spécifiques à son périmètre d’intervention. Au centre du dispositif, l’entreprise n’est cependant pas le seul acteur concerné : les sociétés de gestion et les investisseurs jouent eux aussi un rôle-clé. En choisissant de promouvoir des écosystèmes sociaux et environnementaux pérennes, fondés sur un partage de la valeur équitable, ces derniers accompagnent, amplifient et consolident la démarche de responsabilité sociétale engagée par l’entreprise. D’où l’importance d’affiner les critères – notamment sociaux : le S de ESG – qui évaluent le relationnel dans l’entreprise, pour continuer à enrichir la grille d’analyse ISR. Aussi, les critères relationnels identifiés par l’ESSEC IRENE relèvent de plusieurs axes : le partage de la valeur au sein de l’entreprise à travers la répartition de la rémunération entre les mandataires et les autres salariés, ainsi qu’entre les niveaux hiérarchiques ; la structure de la marge entre l’entreprise et ses sous-traitants, le dialogue social et les conditions de travail des sous-traitants ; les modes d’organisation du travail et les pratiques collaboratives favorisant, par exemple, la coopération et la confiance au sein des équipes ; la qualité des relations entre les salariés – respect, dignité – au sein de l’entreprise, mais aussi plus largement avec le reste de la société civile.

Dans sa phase exploratoire, une part importante a été accordée aux entretiens qualitatifs avec les parties prenantes concernées. A terme, l’objectif est d’établir une grille méthodologique basée sur des données quantitatives destinée à évaluer la contribution sociale de l’entreprise, qui doit être prise en compte dans sa performance globale.

L’effort de transparence mené par une entreprise ne peut être bancal. A quoi servirait-il de faire toute la lumière sur les indicateurs financiers, pour se contenter, dans le même temps, d’indicateurs opaques, imprécis ou tronqués dans le domaine extra-financier ? Cela ne serait ni logique, ni éthique. Pour ce qui concerne le lien social, créer les indicateurs relationnels idoines, comparables d’un secteur d’activité à l’autre, participe d’une ambition plus grande : donner une vision globale du business model de l’entreprise, de ses valeurs, et de la place qu’elle accorde à l’homme dans son activité. Rendre plus lisible, donc opérationnelle, la communication extra-financière consolide la RSE et contribue à la prise de décision éclairée des investisseurs en quête de sens.