Fonds durables en Europe : un premier trimestre 2025 contrasté

Fonds durables en Europe

Le marché des fonds durables en Europe continue de se transformer sous l’effet des réglementations et des dynamiques d’investissement. Le premier trimestre 2025 révèle des tendances contrastées : tandis que les fonds classés article 8, axés sur la promotion des caractéristiques environnementales et sociales, enregistrent des collectes historiques, les fonds classés article 9, visant un objectif d’investissement durable, subissent leur sixième trimestre consécutif de retraits. Cette période s’accompagne également d’une vague de changements de noms de fonds, dans un contexte réglementaire de plus en plus strict. Décryptage des principales évolutions.

Les fonds article 8 : un rebond porté par l’obligataire

Le premier trimestre 2025 a été marqué par une collecte nette exceptionnelle de 52 milliards d’euros pour les fonds article 8, soit le montant le plus élevé depuis la fin 2021. Ce succès s’explique en grande partie par l’afflux d’investissements dans les fonds obligataires, qui représentent un refuge privilégié dans un environnement économique et géopolitique incertain.

En effet, les investisseurs ont privilégié les obligations, cherchant à sécuriser leurs portefeuilles face aux incertitudes des marchés. Les fonds obligataires article 8 ont ainsi joué un rôle stratégique, en combinant rendement et positionnement défensif. Selon Hortense Bioy, responsable de la recherche sur l’investissement durable chez Morningstar Sustainalytics, « la résilience des fonds obligataires démontre leur capacité à répondre aux attentes des investisseurs prudents, même en période d’instabilité ».

Cette dynamique s’est traduite par des flux importants vers les fonds article 8 investissant dans des obligations diversifiées et à haut rendement, qui ont capté à eux seuls plus de 35 milliards d’euros. Les obligations souveraines, bien que moins attractives, ont tout de même enregistré des souscriptions nettes de 2,1 milliards d’euros.

Les fonds article 9 : une désaffection qui s’installe

À l’opposé, les fonds classés article 9, pourtant censés incarner l’investissement durable le plus ambitieux, continuent de voir fuir les capitaux. Au premier trimestre 2025, les retraits ont atteint un nouveau record de 7,9 milliards d’euros, prolongeant une série ininterrompue de désinvestissements depuis six trimestres consécutifs.

Ce désintérêt s’explique par plusieurs facteurs : complexité réglementaire accrue, interrogation sur l’efficacité réelle des stratégies d’investissement durable, et arbitrages des investisseurs en faveur de véhicules jugés plus flexibles ou offrant de meilleures perspectives de rendement à court terme. La baisse de l’appétit pour les fonds article 9 intervient également dans un contexte où les exigences en matière d’alignement sur la taxonomie européenne et de transparence pèsent sur les gestionnaires.

Les fonds article 6 dominent les flux, mais sous un autre prisme

Parallèlement, les fonds classés article 6, sans caractéristiques ESG spécifiques, ont continué de dominer les flux au sein de l’UE, captant 112 milliards d’euros de souscriptions nettes au premier trimestre. Ces fonds, moins contraints en matière de divulgation durable, séduisent par leur souplesse et leur capacité à s’adapter rapidement aux évolutions du marché.

Leur taux de croissance organique atteint ainsi 2,6 %, bien supérieur à celui des fonds article 8 (0,9 %) et contraste fortement avec le recul des fonds article 9 (-2,4 %). Ce différentiel témoigne de la prudence des investisseurs, qui privilégient les stratégies traditionnelles dans un contexte incertain, malgré l’essor des thématiques ESG ces dernières années.

Une vague de renommage des fonds face aux exigences réglementaires

Autre phénomène marquant de ce trimestre : l’intensification des changements de noms des fonds article 8 et 9. Pas moins de 262 fonds ont modifié leur dénomination au premier trimestre 2025, dont 185 en ajustant certains termes et 75 en supprimant totalement les mentions ESG.

Cette accélération s’inscrit dans le cadre des lignes directrices de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), qui impose aux gestionnaires de fonds une plus grande rigueur dans l’utilisation de termes liés à la durabilité afin de lutter contre le greenwashing. La date limite de conformité, fixée au 21 mai, pousse les acteurs du marché à revoir leur communication.

Depuis début 2024, plus de 470 fonds ont ainsi changé de nom, représentant environ 11 % des fonds concernés par ces nouvelles directives. Pourtant, seulement moins de 30 % d’entre eux ont opté pour une suppression complète des termes ESG, signe que la majorité des gestionnaires souhaitent continuer à valoriser leur engagement durable, tout en se conformant aux nouvelles règles.

Des lancements de fonds plus modestes et des perspectives incertaines

Enfin, le premier trimestre 2025 a vu une baisse de la proportion de nouveaux fonds classés article 8 et 9, qui ne représentent plus que 47 % des créations de fonds dans l’UE, contre 57 % au trimestre précédent. Cette contraction illustre un ralentissement de l’enthousiasme des gestionnaires pour les fonds labellisés durables, dans un contexte où les contraintes réglementaires et les ajustements stratégiques se multiplient.

Les mois à venir seront déterminants : entre l’adaptation aux nouvelles exigences de l’ESMA, les ajustements de portefeuilles et les éventuels reclassements, le secteur devra trouver un nouvel équilibre pour concilier performance financière et crédibilité en matière de durabilité.

Un paysage contrasté pour les fonds durables en Europe

Le premier trimestre 2025 révèle un paysage contrasté pour les fonds durables en Europe : si les fonds article 8 confirment leur attractivité grâce à l’obligataire, les fonds article 9 peinent à convaincre. Dans ce contexte de transition réglementaire et de vigilance accrue contre le greenwashing, les gestionnaires de fonds doivent redoubler d’efforts pour allier transparence, pertinence et performance. La trajectoire du marché durable européen reste prometteuse, mais elle nécessitera adaptation et innovation pour surmonter les défis qui se profilent.

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