L’hydrogène vert est souvent présenté comme l’une des solutions clé pour la transition énergétique et la décarbonation des industries. Pourtant, en dépit d’un engagement stratégique clair de la part de la France en faveur de cette technologie, le pays accuse un retard important dans le développement de ses capacités de production. L’objectif national fixé en 2020, ambitieux, semble aujourd’hui hors de portée à moins d’une accélération significative des projets. Cependant, ce retard n’est pas une fatalité : plusieurs facteurs pourraient permettre de rattraper ce déficit, à condition de surmonter certains obstacles majeurs.
Une stratégie ambitieuse, mais des résultats en demi-teinte
Un objectif clair : une croissance exponentielle des capacités de production
La France s’est fixée un objectif audacieux en matière de production d’hydrogène vert. En 2020, la stratégie nationale pour l’hydrogène (SNH) a été annoncée, avec pour ambition d’installer 6,5 GW d’électrolyseurs d’ici 2030. Cet objectif, censé permettre la production annuelle de 600 kt d’hydrogène décarboné, repose sur une croissance annuelle moyenne des capacités de 128 % sur une période de dix ans.
En 2020, les capacités de production d’hydrogène vert en France étaient quasi inexistantes, avec à peine 1,7 MW installés. La transition vers 6,5 GW d’ici 2030 représente donc un défi considérable pour toute la filière, impliquant la mise en place de multiples projets à grande échelle. Cependant, trois ans après le lancement de cette stratégie, le retard accumulé est déjà notable.
Des chiffres décevants : un déploiement plus lent que prévu
Malgré la dynamique initiale impulsée par l’État, les résultats ne sont pas à la hauteur des ambitions. Entre 2020 et 2023, la croissance des capacités de production d’hydrogène vert n’a atteint que 92 % par an en moyenne, bien en-deçà des 128 % requis pour respecter la trajectoire fixée. À la fin de 2023, la France n’avait installé que 12 MW de capacité, soit seulement 17 % de l’objectif intermédiaire fixé pour 2030. Ce chiffre la place loin derrière ses voisins européens, comme l’Allemagne (77 MW) et l’Espagne (36 MW), pays comparables en termes de taille et de développement économique.
Le retard français s’explique notamment par un manque de projets en cours et des difficultés à concrétiser les projets déjà annoncés, dont beaucoup restent à l’état de concept ou d’étude de faisabilité.
Des freins structurels, mais des perspectives d’accélération
Un manque de projets matures et des retards persistants
Le retard accumulé dans le déploiement de l’hydrogène vert en France découle en grande partie de l’absence de projets concrets. Si le nombre de projets annoncés a récemment augmenté de manière significative, la majorité d’entre eux sont encore à des stades très précoces de développement. En 2023, 99 % des projets annoncés pour la période allant jusqu’à 2030 étaient encore en phase de conceptualisation ou d’étude. Cela témoigne d’une incertitude généralisée quant à la réalisation effective des objectifs fixés.
L’un des obstacles majeurs à la concrétisation de ces projets est la difficulté à attirer les investissements. Les investisseurs demeurent réticents en raison des coûts de production élevés de l’hydrogène vert, comparés à ceux de l’hydrogène bleu, qualifié d’« hydrogène bas-carbone » en vertu de l’arrêté de juillet 2024. Ce positionnement réglementaire risque de détourner des capitaux vers l’hydrogène bleu, pourtant moins durable à long terme.
Une opportunité de rattrapage, sous conditions
Malgré ces difficultés, la France pourrait accélérer son rythme de déploiement si les projets actuellement en gestation venaient à se concrétiser. Le volume de capacités annoncées pour les prochaines années dépasse largement les besoins pour atteindre l’objectif de 2030. Toutefois, ce potentiel ne sera exploité que si des mesures efficaces sont prises pour assurer la viabilité économique de l’hydrogène vert, notamment en développant des usages clairs et en favorisant des commandes publiques.
Si la France parvient à activer suffisamment de projets en construction d’ici 2026, elle pourra rattraper une partie de son retard, bien que les projections restent incertaines pour la période post-2026.
Comparaison avec les leaders européens : un retard rattrapable ?
Une comparaison peu flatteuse avec l’Allemagne et l’Espagne
En comparant les performances de la France avec celles de ses voisins européens, l’écart est frappant. En 2023, l’Allemagne se distingue comme le leader incontesté de la production d’hydrogène vert en Europe, avec 77 MW de capacités installées. Ce pays avait amorcé son développement dès 2017, bien avant la France, ce qui lui a permis de prendre une avance significative. L’Espagne, bien qu’ayant commencé plus tard, a également su déployer rapidement ses capacités, atteignant 36 MW d’électrolyseurs en fonctionnement.
La France, avec seulement 12 MW, se situe loin derrière ces deux leaders, malgré des caractéristiques économiques similaires. Cependant, elle devance encore des pays comme les Pays-Bas (9 MW) ou la Grande-Bretagne (8 MW), ce qui laisse entrevoir une marge de progression possible.
Des retards modérés, mais une incertitude élevée
Si la France affiche un retard global en termes de capacités installées, elle a toutefois réussi à limiter les délais sur les projets annoncés par rapport à d’autres pays européens. En 2023, environ 25 % des projets français ont pris du retard, un chiffre inférieur à celui de l’Allemagne (53 %) ou du Danemark (92 %).
Cependant, l’incertitude autour des projets à long terme demeure très élevée en France, tout comme dans le reste de l’Europe. D’ici 2030, 99 % des projets annoncés en France sont encore à l’étude, un chiffre comparable à celui des autres pays européens, où ce taux d’incertitude dépasse souvent 90 %. Cela montre que la concrétisation des projets à venir dépendra largement de facteurs extérieurs, tels que la baisse des coûts et le développement des marchés pour l’hydrogène vert.
Un défi de taille, mais des opportunités à saisir
La France accuse un retard certain dans la course à l’hydrogène vert, un secteur crucial pour la transition énergétique. Malgré une stratégie nationale ambitieuse, la concrétisation des projets reste incertaine et le pays doit redoubler d’efforts pour atteindre les objectifs fixés d’ici 2030. Toutefois, des opportunités de rattrapage existent, notamment grâce à l’augmentation des projets annoncés et la marge de manœuvre dont dispose le pays. Pour réussir, la France devra surmonter les obstacles liés aux investissements et assurer des débouchés clairs pour l’hydrogène vert, tout en s’assurant que la compétitivité de cette technologie soit améliorée.
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