Dans les trois nouveaux épisodes du podcast En Eco dans le Texte, William De Vijlder, Directeur de la Recherche Economique du Groupe BNP Paribas, défend un modèle inclusif de croissance économique bénéficiant à chacun et respectant l’environnement. Explications.
Qu’entendez-vous par l’expression « croissance inclusive », notion au centre de vos derniers podcasts ?
La croissance est inclusive lorsqu’elle permet de réduire les inégalités sociales au sein d’un pays ou d’un groupe de pays. C’est une approche qui permet de comparer la croissance de pays développés et émergents. Elle est le résultat d’un modèle qui ne fait pas seulement appel à une politique de redistribution pour réduire les inégalités sociales, car elle se projette également dans la durée grâce à un modèle de développement qui associe tous les types de profils et de compétences. L’inégalité baisse par le biais de la participation à la croissance, à la création de valeur économique.
Concrètement, comment cela se traduit-il dans les politiques économiques à mener ?
Les politiques économiques doivent viser une croissance sur le long terme suffisamment importante pour pallier le vieillissement de la population et l’accroissement des frais de santé. Grâce aux mécanismes de redistribution, la société doit pouvoir aider ceux qui en ont besoin sur le plan financier, de l’éducation, en proposant des formations en particulier à ceux qui ont perdu leur emploi. On peut également penser à l’accompagnement de PME, de jeunes entreprises, de start-ups et au financement de la recherche et le développement pour stimuler l’innovation. La prise de risques financiers doit être rémunérée parce qu’elle encouragera les investissements dans des entreprises qui créeront de la valeur et permettront de maintenir les talents dans le pays pour s’y développer.
Cette approche est-elle nouvelle ?
L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) travaille sur ce sujet depuis déjà une dizaine d’années. Une prise de conscience s’est opérée. La croissance inclusive est désormais vue comme nécessaire car un modèle ne prenant pas en compte l’inclusion est voué à l’instabilité. On reconnaît aujourd’hui que le concept de bien-être permet d’évaluer la performance économique d’une société au-delà de la seule analyse du niveau de PIB.
Est-ce l’accroissement des inégalités sociales qui fait de la croissance inclusive une nécessité ?
Au niveau macroéconomique, plusieurs constats indiquent en effet un accroissement des inégalités sociales. La part des revenus générés allouée au facteur travail, c’est-à-dire aux salaires, a tendance à baisser depuis des années. Or, une grande partie de la population dépend de son salaire pour vivre et n’a pas ou peu de revenus financiers, alors qu’en parallèle, la prise de risques financiers est mieux rémunérée, à en juger par exemple la hausse de Wall Street.
Cette évolution est liée à la mondialisation et au développement technologique. De nombreuses entreprises ont connu de fortes croissances générant beaucoup de création de valeur pour les actionnaires, parfois dans des pays lointains (le phénomène de la mondialisation) ou bien dans de nouveaux types d’activité (le phénomène du développement technologique). En outre, on a pu observer une pression sur les emplois et salaires intermédiaires.
Y a-t-il d’autres facteurs de déséquilibre ?
Le changement climatique est aussi un facteur clé qui affecte d’abord les pays émergents, dans la mesure où le secteur agricole est important dans leur structure économique. Leur productivité est particulièrement touchée en cas de sécheresses ou d’inondations, réduisant la capacité d’investissement du pays, avec un impact négatif sur la croissance et la productivité. Il est essentiel d’intégrer ces disparités entre pays dans la politique d’aide au développement afin de rendre les pays émergents plus résilients.
Comment les États perçoivent-ils la nécessité d’une croissance économique inclusive ?
De plus en plus de pays prennent en compte le concept d’inclusion. Je peux notamment citer l’Australie, l’Italie, les Pays-Bas, l’Écosse, la Suède… En France, la loi du 13 avril 2015 impose au gouvernement de présenter dans son rapport annuel des indicateurs économiques, sociaux et environnementaux mais aussi des données relevant du bien-être. Les législations donnent l’impulsion pour provoquer une prise de conscience et faire évoluer les comportements.
Quels sont les États les plus avancés sur le sujet ?
La Norvège, l’Islande, le Luxembourg, la Suisse, le Danemark, la Suède, les Pays-Bas, l’Irlande, l’Australie ou encore l’Autriche arrivent en tête du rapport annuel du Forum économique mondial de Davos. Ces résultats tiennent compte d’indicateurs de croissance et de développement – à savoir le PIB/habitant, la productivité, le niveau d’emploi, l’espérance de vie – et également des critères liés à l’inclusion –comme le revenu médian des ménages, les inégalités de revenus, le taux de pauvreté ou encore l’endettement du secteur public, qui ne doit pas peser sur les générations futures.
Dans vos podcasts, vous énumérez 8 axes de développement pour parvenir à une croissance inclusive au sein des États. On imagine que toutes les réformes ne peuvent être menées de front. Quelle serait la première pierre à poser ?
Deux axes sont selon moi prioritaires. Tout d’abord, il s’agit de protéger les populations contre les effets néfastes d’une perte d’emploi, tant sur le plan financier qu’en matière de formation et d’accompagnement, qui sont les deux grands facteurs permettant de trouver un nouvel emploi en mettant en avant ses talents. Ensuite, l’enseignement : le niveau d’études est crucial pour accompagner le développement rapide d’une société. Il faut offrir au plus grand nombre la possibilité d’acquérir une bonne formation de base et puis de continuer à développer ses compétences tout au long de sa vie professionnelle pour être en mesure de saisir les nouvelles opportunités.