
Le rapport 2025 de Bain & Company montre que la durabilité n’est pas morte. Dirigeants, consommateurs et acheteurs B2B restent engagés, car ils y trouvent une véritable valeur. Gouvernance climat, transparence Scope 3 et IA responsable deviennent des piliers d’une transition où performance économique et durabilité avancent main dans la main.
Contexte : la durabilité, un faux déclin
Depuis deux ans, les critiques envers l’ESG dominent les débats publics et financiers. Aux États-Unis en particulier, le sujet est devenu hautement politisé : certaines voix politiques dénoncent l’ESG comme une contrainte idéologique, contraire aux intérêts économiques immédiats. Dans ce climat, des fonds dits “anti-ESG” ont même vu le jour, cherchant à capter une partie du marché en s’opposant frontalement aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Cette médiatisation négative a contribué à installer une perception de recul, comme si la durabilité était devenue secondaire pour les entreprises.
Pourtant, les données du rapport The Visionary CEO’s Guide to Sustainability 2025 montrent une réalité bien différente. Le décalage entre discours et action est au cœur de cette incompréhension. Les dirigeants communiquent moins sur leurs engagements, mais multiplient les initiatives concrètes. C’est le fameux “do-say gap” identifié par Bain : une baisse apparente de l’importance accordée à la durabilité dans les mots, mais une intensification réelle dans les actes.
Cette tendance révèle que la durabilité n’est plus abordée comme une question de conformité ou de réputation, mais comme un véritable levier de création de valeur. Après l’ère des grandes annonces (2018-2022), puis celle du doute (2023-2024), les entreprises entrent dans une phase de maturité où la structuration, la gouvernance et les résultats tangibles prennent le dessus. En clair : la durabilité n’est pas morte, elle change de visage. Elle s’ancre dans les stratégies, se professionnalise et devient un facteur clé de compétitivité et de résilience.
Les chiffres clés du rapport Bain & Company
Le rapport Bain 2025 repose sur deux piliers méthodologiques solides. D’une part, une enquête menée auprès de 400 dirigeants dans neuf pays représentatifs des grandes zones économiques mondiales : États-Unis, Brésil, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Inde, Australie, Émirats arabes unis et Arabie saoudite. D’autre part, une analyse fine de 35 000 prises de parole de CEO entre 2018 et 2024, réalisée grâce à l’outil Sustainability Pulse. Ce double regard — qualitatif et quantitatif — permet de dépasser les impressions médiatiques pour mettre en évidence les tendances réelles de la gouvernance climat et des stratégies de durabilité.
Gouvernance climat : un tournant stratégique
93 % des entreprises privées disposent désormais d’un poste de direction spécifiquement dédié à l’environnement, contre 89 % en 2022. Cette progression confirme que le rôle de Chief Sustainability Officer (CSO) n’est plus périphérique mais central. Le CSO intervient désormais dans la définition de la stratégie globale, dans le choix des investissements et même dans les relations avec les investisseurs. Cette évolution montre que la durabilité n’est plus pilotée uniquement par les services RSE ou communication, mais intégrée au plus haut niveau des instances dirigeantes. C’est un signe fort de maturité et d’ancrage structurel.
Transparence et Scope 3
La publication des émissions Scope 3 — celles liées à la chaîne de valeur (fournisseurs, transport, usage des produits, fin de vie) — connaît une accélération marquée. En 2023, 68 % des entreprises privées publient ces données, contre seulement 49 % un an plus tôt. Cet engagement traduit une volonté de répondre aux attentes croissantes de régulateurs, d’investisseurs et de clients. Le Scope 3 étant souvent la partie la plus importante et la plus complexe de l’empreinte carbone, sa prise en compte illustre la volonté des entreprises d’aller au-delà du minimum réglementaire pour renforcer leur crédibilité et démontrer une transparence accrue.
Private equity et reporting
Entre 2021 et 2023, le nombre d’entreprises détenues par des fonds de private equity publiant leurs impacts climatiques a progressé de 55 %. Cette évolution s’explique par une pression croissante des investisseurs, qui voient la performance environnementale comme un critère de création ou de destruction de valeur. Les fonds, soucieux de préserver leurs portefeuilles face aux risques climatiques, exigent de plus en plus de reporting standardisé et vérifiable. Ce mouvement montre que la durabilité n’est plus une option “réputationnelle”, mais un élément intégré à l’évaluation financière des actifs, influençant directement la valorisation et l’attractivité des entreprises.
Décarbonation rentable
Le rapport révèle qu’environ 25 % des émissions mondiales de CO₂ pourraient être réduites immédiatement grâce à des leviers déjà rentables, tels que l’efficacité énergétique, la conception circulaire ou la relocalisation industrielle. Ce chiffre met en évidence le potentiel inexploité de mesures accessibles et pragmatiques. À cela s’ajoute une perspective encourageante : 32 % supplémentaires pourraient devenir rentables à moyen terme, en fonction de l’évolution des politiques publiques, de la maturité technologique et de la demande des clients. Autrement dit, plus de la moitié des émissions mondiales pourraient être réduites avec un retour sur investissement positif, ce qui transforme la durabilité en un vecteur stratégique de compétitivité.
La durabilité, une valeur business
Pour les dirigeants
Les CEO leaders (entreprises affichant une croissance supérieure à leurs pairs) sont 90 % à estimer que la durabilité aura un impact positif sur leur business dans les trois prochaines années.
➡️ Ces entreprises ne voient pas la durabilité comme une charge, mais comme un levier de croissance, un différenciateur commercial et un facteur de résilience.
Pour les acheteurs B2B
Bain a interrogé plus de 750 clients B2B dans six industries (automobile, packaging, chimie, machines, métaux, construction)Sustainability is not dead – CE… :
- 50 % affirment déjà acheter davantage auprès de fournisseurs durables.
- Ce chiffre pourrait grimper à 66 % d’ici trois ans.
➡️ La durabilité devient donc un critère d’attribution de marché, au même titre que le prix et la qualité. Les entreprises qui n’intègrent pas ce critère risquent de perdre des contrats.
Pour les consommateurs
Malgré les pressions économiques et géopolitiques :
- 80 % des consommateurs estiment que leurs choix individuels ont un impact.
- 1/3 pratiquent six habitudes durables par jour (économie d’énergie, recyclage, mobilité douce, choix alimentaires responsables).
- 70 % veulent en adopter davantage
➡️ Les habitudes évoluent : les Boomers ont adopté plus de pratiques durables que la Gen Z ces dernières années, grâce à une capacité financière plus élevée.
En clair, la durabilité n’est pas une niche : elle façonne les comportements B2B et B2C à grande échelle.
L’IA et la durabilité : une alliance sous conditions
L’IA comme accélérateur
Près de 80 % des dirigeants interrogés par Bain considèrent que l’intelligence artificielle représente un levier puissant pour accélérer la durabilité. Les usages identifiés sont multiples et touchent directement les priorités stratégiques des entreprises :
- optimisation énergétique des bâtiments, usines et data centers, grâce à des systèmes capables d’ajuster en temps réel la consommation en fonction des besoins ;
- réduction du gaspillage dans les chaînes d’approvisionnement, par une gestion fine des stocks et de la logistique ;
- amélioration de la sécurité au travail, via l’analyse prédictive des incidents et l’automatisation de tâches dangereuses ;
- anticipation des risques climatiques, en exploitant de vastes volumes de données pour prévoir les impacts météorologiques sur la production et la distribution.
Les entreprises les plus avancées, notamment dans la tech et l’industrie lourde, déploient l’IA trois fois plus que les retardataires. Pour elles, l’IA n’est pas un gadget mais un outil stratégique, intégré dans des projets de création de valeur à long terme. Cette différence d’adoption creuse un fossé concurrentiel : les pionniers gagnent en efficacité, en résilience et en attractivité auprès des investisseurs, tandis que les suiveurs peinent à démontrer leur engagement concret.
Le paradoxe énergétique
Mais cette promesse a un revers. L’IA elle-même consomme énormément d’énergie, notamment à travers les infrastructures nécessaires à son fonctionnement. Bain estime qu’à l’horizon 2035, les systèmes d’IA et les data centers pourraient générer jusqu’à 810 millions de tonnes de CO₂ par an, soit l’équivalent de 2 % des émissions mondiales et près de 17 % des émissions industrielles.
La situation est particulièrement préoccupante aux États-Unis, où la part de l’IA dans les émissions industrielles pourrait bondir de 18 % en 2022 à plus de 50 % en 2035. En revanche, l’Europe bénéficierait d’un atout : une production électrique plus largement adossée aux énergies renouvelables et une adoption plus progressive de l’IA, ce qui limiterait son impact carbone.
En définitive, l’IA s’impose comme une arme à double tranchant. Bien encadrée, elle peut accélérer la transition écologique et renforcer la durabilité des modèles économiques. Mais si elle se développe sans contrôle ni cadre énergétique adapté, elle risque de devenir un facteur supplémentaire d’aggravation du changement climatique. L’enjeu pour les dirigeants est donc clair : investir dans l’IA, oui, mais dans une logique de sobriété énergétique et de responsabilité environnementale.
Les obstacles persistants à la durabilité
1. Le prix
- Les consommateurs US acceptent un surcoût de 13 % en moyenne pour un produit durable.
- Or, selon les données, le surcoût réel atteint 28 %.
➡️ Cette différence empêche l’adoption massive, surtout en période d’inflation.
2. La transparence
- Près de la moitié des consommateurs déclarent manquer d’informations claires pour comparer l’impact carbone de leurs choix.
➡️ Exemple : difficile de savoir si manger un burger pollue plus que prendre un vol court-courrier.
3. La crédibilité
- Le risque de greenwashing mine la confiance.
➡️ Les entreprises doivent s’appuyer sur des certifications fiables, des standards précis et un reporting transparent
Ces obstacles ne condamnent pas la durabilité, mais obligent les entreprises à innover, éduquer et rendre accessibles leurs offres.
Ce que les entreprises doivent retenir
Bain identifie cinq priorités pour les CEO visionnaires :
- Accélérer les leviers rentables : efficacité énergétique, circularité, relocalisation.
- Investir dans l’IA responsable : combiner optimisation durable et maîtrise des coûts énergétiques.
- Intégrer la durabilité dans la stratégie commerciale : en B2B, c’est devenu un critère de compétitivité.
- Réduire l’écart prix et information pour convaincre les consommateurs.
- Structurer la gouvernance climat : poste de direction dédié, reporting Scope 3, pilotage intégré.
Perspectives 2026 et au-delà
La durabilité entre dans une phase de consolidation.
- Les discours se font moins ambitieux, mais les actions deviennent mesurables.
- Les pressions réglementaires (SEC, Europe), technologiques (IA, data centers) et sociétales (consommateurs, B2B) vont s’intensifier.
- Les leaders seront ceux qui sauront lier durabilité et création de valeur.
Conclusion
La durabilité n’est pas morte. Elle se structure, s’ancre dans la gouvernance et devient un levier de compétitivité.
Pour les CEO visionnaires, l’enjeu n’est plus de promettre, mais de livrer :
- prouver la rentabilité des leviers climat,
- utiliser l’IA de façon responsable,
- répondre aux attentes B2B et B2C,
- bâtir une gouvernance robuste et transparente.
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