La lutte contre la résistance aux antimicrobiens

Parmi les 10 principales entreprises de santé animale, dont les deux françaises Virbac et Vétoquilone, pas une seule à adopter une politique visant à lutter contre la résistance aux antimicrobiens. Pourtant, il s’agit d’une menace croissante pour la santé animale et humaine, et dans la production alimentaire notamment dans les marchés émergents.

  • Malgré la réglementation croissante et la pression des consommateurs,certaines entreprises telles que Zydus Cadila (Inde) et Jinhe Biotechnology (Chine) continuent de vendre des antimicrobiens à des fins non thérapeutiques, comme les stimulations de croissance, malgré leur contribution à  l’antibiorésistance.  
  • Entre 2015 et 2019, les dépenses de lobbying publiées par les principales entreprises de santé animale ont  augmenté de 86 %, atteignant 3,2 millions de dollars dans l’UE et aux États-Unis. Plusieurs éléments indiquent que  certaines entreprises luttent contre le renforcement de la réglementation dans les marchés

Selon une étude menée par l’initiative FAIRR, sur les dix plus grandes entreprises de santé animale, dont Virbac, Vétoquilone, Elanco, Merck et Zoetis, révèle qu’aucune d’entre elles n’a adopté une approche globale pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens (RAM) qui soit cohérente sur l’ensemble des marchés et qui soutienne une meilleure transparence de la chaîne d’approvisionnement, des normes de fabrication, une commercialisation et une utilisation responsables des antimicrobiens dans l’agriculture animale. 

L’industrie de la santé animale représente un chiffre d’affaires mondial de 47 milliards de dollars, soit les fabricants et vendeurs de traitements antimicrobiens pour le secteur de l’agriculture animale, qui fournit les supermarchés et les restaurants en produits carnés. Le réseau d’investisseurs FAIRR critique le manque de transparence du secteur, de l’usine à la vente, en passant par l’utilisation à la ferme, et constate que les pratiques actuelles de vente et de marketing alimentent une utilisation irresponsable des antimicrobiens dans les chaînes d’approvisionnement en protéines animales.  

Une menace grandissante !

La résistance antimicrobienne (RAM) conduit à l’émergence de superbactéries (bactéries, virus, champignons et parasistes) résistantes aux antimicrobiens qui menacent la santé humaine et animale en mettant en danger la vie des patients, même lors d’opérations de routine telles que les prothèses de hanche ou les césariennes, par  manque d’antibiotiques efficaces. On estime ainsi qu’en 2018 un demi-million de personnes dans le monde ont  souffert d’une forme de tuberculose devenue résistante à l’un de ses traitements médicamenteux les plus  efficaces, le Rifampicin.  

Une menace croissante résultant en grande partie de l’utilisation excessive d’antimicrobiens dans l’élevage, et  souvent utilisé pour compenser des conditions d’hygiènes médiocres où les foyers épidémiques sont difficilement contrôlables. Il est estimé que 70 % des antimicrobiens utilisés au niveau mondial concernent l’agriculture animale.  

Les bactéries résistantes aux antimicrobiens provenant des animaux peuvent être transmises à l’Homme par  l’environnement, les produits alimentaires ou un contact direct – faisant de la gestion des antibiotiques dans les  chaînes d’approvisionnement alimentaire une question vitale pour la santé publique. 

Des antibiotiques communs aux humains et aux animaux 

Les entreprises de santé animale continuent de vendre des antibiotiques communs aux humains et aux animaux pour le bétail. Aux États-Unis, 65 % des antibiotiques considérés comme importants pour la santé humaine, tels  que la pénicilline et la tétracycline, sont vendus pour être utilisés dans l’élevage.  

La plus grande préoccupation est que ces antibiotiques communs sont utilisés de manière routinière à des fins  non thérapeutiques, comme la stimulation de la croissance et la prophylaxie, et que la longue durée et les plus  faibles doses inoculées augmentent le risque de développement de bactéries résistantes. Aux États-Unis, en  Suisse et dans l’UE, l’utilisation de ces antibiotiques commun aux humains et aux animaux à ces fins est limitée. 

Néanmoins, dans les marchés émergents, l’utilisation non thérapeutique de tels antibiotiques est plus courante car la  réglementation est moins stricte et l’application de la réglementation, lorsqu’elle existe, est plus faible. Par  exemple, FAIRR a trouvé des preuves que deux entreprises de santé animale, Jinhe Technology (Chine) et Zydus  Cadila (Inde) vendent un certain nombre de ces antibiotiques, dont la Tylosine, l’Amoxicilline et la Levofloxacine,  souvent en grandes quantités, ce qui favorise l’utilisation inutile et excessive de ces traitements qui sont vitaux pour la santé humaine. 

Le marketing influence négativement les éleveurs 

Sur les dix entreprises analysées par FAIRR, aucune ne dispose d’une politique de commercialisation responsable  des antimicrobiens utilisés dans l’agriculture animale.  

L’étiquetage des produits a une influence significative sur la façon dont les agriculteurs administrent les  antibiotiques à leurs animaux. En particulier, en étiquetant les produits pour la « stimulation de la croissance » et la « prophylaxie de routine », les entreprises de santé animale encouragent l’utilisation abusive de ces  médicaments.  

De plus, dans les marchés émergents, les étiquettes des produits peuvent être le seul guide des éleveurs pour  connaître l’usage correct, le dosage, la méthode d’application et la date de péremption, car ils n’ont souvent pas  accès à des vétérinaires. Pour certaines régions, comme le delta du Mékong au Vietnam, 84% des antimicrobiens  sont utilisés pour la prophylaxie, quant en Chine, il est estimé que 54% des antimicrobiens utilisés en 2018 sont  des hormones de croissance.  

En l’absence d’une approche mondiale cohérente en matière d’étiquetage, de marketing et de dimensionnement  des produits, les pratiques des entreprises de santé animale entraînent une utilisation excessive des  antimicrobiens dans les chaînes d’approvisionnement en viande, avec un coût potentiellement mortel pour la  santé humaine. 

Risques environnementaux 

L’étude souligne également que les déchets issus de la fabrication d’antimicrobiens polluent l’environnement et  augmentent le risque de propagation à l’Homme de gènes résistants aux antimicrobiens par le biais des sols et  des cours d’eau. Une étude récente a révélé qu’au moins deux tiers des cours d’eau du monde contiennent des  niveaux dangereux d’antibiotiques. Par exemple, on a constaté que le Danube, en Autriche, contenait quatre fois plus d’antibiotiques que les niveaux de sécurité, tandis qu’au Bangladesh, les concentrations étaient 300 fois  supérieures aux niveaux de sécurité.  

Les pratiques de production actuelles en matière de santé animale n’imposent que peu ou pas de restrictions sur  les concentrations d’antimicrobiens rejetés dans les flux de déchets. Lors de la récente réunion du G7 sur la  résistance aux antimicrobiens, les ministres de la santé du monde entier ont insisté sur la nécessité urgente de  se pencher sur les pratiques de gestion des déchets de l’industrie et sur leur contribution potentielle à la  prolifération de la résistance aux antimicrobiens. 

Un lobbying en hausse 

Les engagements multilatéraux, les réglementations nationales et l’étiquetage détaillé des antibiotiques ont permis de réaliser certains progrès, mais ces mesures ont été accompagnées d’une augmentation notable des dépenses de lobbying. Rien que dans l’UE et aux États-Unis, les dépenses ont presque doublé entre 2015 et 2019.  FAIRR n’a pas été en mesure de suivre les dépenses de lobbying dans les marchés émergents, mais a trouvé des  preuves que certaines entreprises peuvent faire du lobbying contre le renforcement de la réglementation,  mettant ainsi des vies en danger.  

Une activité à risque : les ionophores  

L’étude constate que l’absence de réglementation conduit à une large utilisation des « ionophores » qui peuvent  contribuer à la résistance antimicrobienne. Les ionophores sont des antimicrobiens classés comme antibiotiques par la FDA américaine, mais pas par l’UE. Cela signifie que certaines viandes classées comme « élevées sans  antibiotiques » peuvent contenir des ionophores, ce qui compromet les efforts mondiaux de lutte contre la  résistance aux antimicrobiens. 

L’utilisation d’antibiotiques médicalement importants dans l’aviculture britannique a chuté de 80 % entre 2012  et 2017, mais l’utilisation d’ionophores a augmenté de 30 %. Dans les faits, en 2020, le géant de la santé animale  Elanco a déclaré que 85 % de ses revenus issus des antimicrobiens destinés aux animaux provenaient des ventes d’ionophores.  

Plusieurs éléments indiquent que les ionophores pourraient être importants en médecine humaine pour contrer  les bactéries plus résistantes. Ces produits doivent donc être administrés de manière responsable pour réduire  le risque de résistance antimicrobienne. En outre, leur toxicité pour l’environnement soulève des inquiétudes  quant à la présence de résidus dans les aliments et l’environnement, ce qui a un impact sur les humains, la faune,  le sol et les organismes aquatiques. 

« La pandémie silencieuse » de la résistance antimicrobienne 

Cette année, le G7 s’est engagé à collaborer pour « enrayer la pandémie silencieuse de la résistance aux  antimicrobiens » et à explorer les incitations commerciales pour la mise sur le marché de nouveaux  antimicrobiens, et améliorer la gestion des déchets. Pour les entreprises de santé animale exposées aux  antimicrobiens, cet engagement va probablement accélérer les pressions réglementaires existantes et l’examen  minutieux des investisseurs et des consommateurs.  

La recherche de FAIRR offre une feuille de route aux entreprises de santé animale et à leurs investisseurs pour  réduire le risque de résistance antimicrobienne. L’étude révèle que cinq des dix entreprises évaluées ont déjà  une « forte exposition » aux options de traitement alternatives et que de nombreuses entreprises de santé  animale tournées vers l’avenir réduisent déjà leur exposition aux antibiotiques en se diversifiant dans des  alternatives telles que les outils de diagnostic, les vaccins et les nouveaux traitements. Les investisseurs sont  invités à participer au prochain engagement formel de FAIRR auprès de l’UE pour demander une action robuste  sur la RAM.

Jeremy Coller, Président de FAIRR et Responsable des Investissements de Coller Capital, déclare : 

« La surconsommation d’antibiotiques est une pandémie silencieuse. Nous estimons que 70 % des antibiotiques sont utilisés dans le monde sont utilisés pour les animaux d’élevage. Les entreprises pharmaceutiques et les  agriculteurs ont la responsabilité de réduire les antibiotiques dans les chaînes d’approvisionnement de l’élevage. Cependant, le secteur de la santé animale ne parvient pas à assumer ses responsabilités en matière de gestion  des risques, auxquels nous sommes tous confrontés du fait de la résistance antimicrobiennes. Nous devons nous demander la crise des antibiotiques peut être résolue sans la coopération du secteur de la santé animale, qui  pèse 47 milliards de dollars. 

Depuis 2016, plus de 70 investisseurs représentant 5 500 milliards de dollars sous gestion se sont engagés avec  succès auprès des chaînes de restaurations pour limiter l’utilisation des antibiotiques dans leur chaîne  d’approvisionnement. Maintenant, FAIRR souhaite aller au-delà de la restauration pour s’intéresser directement  au secteur de la pharmacie animale et à son rôle dans la résistance aux antibiotiques. » 

Thomas Van Boeckel, Professeur à l’ETH Zürich, souligne :  

« L’utilisation croissante des antimicrobiens dans l’élevage est une conséquence directe de l’augmentation  mondiale des besoins en protéines animales. La situation est très préoccupante à la lumière de la menace de la  résistance antimicrobienne. Une réponse politique efficace, par la mise en place de réglementations restrictives  sur l’utilisation des antimicrobiens et de l’instauration de frais d’utilisation, pourrait réduire l’utilisation de ces  antimicrobiens de l’ordre de 60% chez les animaux d’élevage. 

Actuellement, le manque de transparence et de réglementation au niveau mondial empêche une meilleure  gestion des antimicrobiens dans notre système de production alimentaire. Tout effort visant à se prémunir  contre la résistance antimicrobienne sera vain tant que les décideurs politiques, les investisseurs, les agriculteurs  et les laboratoires pharmaceutiques de santé animale ne coopèrent pas et ne changent pas en profondeur les  normes d’hygiène et l’utilisation de médicaments dans l’élevage intensif. » 

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