Les négociations consécutives à la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne (UE) ont revêtu un caractère exceptionnel dans la mesure où, à la différence des négociations commerciales classiques, il s’agissait de définir les contours d’une relation moins étroite tout en limitant les conséquences négatives pour le commerce et l’investissement.
- Conduites dans des délais record – moins d’un an – les négociations ont abouti à un accord innovant, qui tient compte du souhait du Royaume-Uni de retrouver une pleine autonomie décisionnelle, de la grande proximité économique et géographique du Royaume-Uni avec l’Union européenne (cf. Graphique) et de la nécessité de préserver l’intégrité du marché unique européen.
- En matière d’accès au marché, l’accord est proche des accords dit de nouvelle génération, conclus avec le Canada ou le Japon. Il se caractérise avant tout par l’absence de droits de douane et de quotas sur l’ensemble des marchandises, à condition qu’elles satisfassent des critères de « nationalité économique », ou règles d’origine. À noter également la perte du passeport financier européen pour les institutions financières établies au Royaume-Uni, ou encore des règles d’origine spécifiques destinées à faire émerger une filière européenne de batteries électriques pour le secteur automobile.
Part dans le commerce de biens de l’UE27 avec le reste du monde
Principaux partenaires avec lesquels l’Union a conclu
un accord commercial bilatéral
Source : OCDE pour le PIB (moyenne 2016-2019) et Eurostat pour les échanges de biens (moyenne 2016-2019), commerce hors UE27 uniquement. Distance entre les capitales des pays tiers et le barycentre de l’UE pondéré par la part des États membres dans le PIB de l’UE.
Note de lecture : Avec un PIB de plus de 2 500 Md€ et une capitale à 740 km du barycentre de l’UE, le Royaume-Uni représente 13 % du commerce de biens de l’UE27 avec le reste du monde.
- L’accord est particulièrement novateur s’agissant des dispositions relatives à la concurrence équitable. Afin d’assurer une concurrence ouverte et loyale et de veiller à ce que le commerce et l’investissement se déroulent d’une manière propice au développement durable, l’accord définit un cadre en matière de subventions et fixe un niveau minimal de normes sociales et environnementales. Le respect de ces dispositions est garanti par un mécanisme de règlement des différends et la possibilité de prendre des sanctions unilatérales. En matière d’environnement, l’accord érige, pour la première fois, l’accord de Paris en clause essentielle.
1. Une négociation commerciale et économique inédite
1.1 Des effets économiques pour les deux parties malgré une relation commerciale asymétrique
L’Union européenne (UE) est le premier partenaire commercial du Royaume-Uni : en 2019, leurs échanges de biens et de services se sont élevés à 754 Md€1, soit 47 % du commerce extérieur britannique. Pour le Royaume-Uni, l’UE est donc une source cruciale de débouchés à l’exportation et d’approvisionnement à l’importation. Le marché européen est ainsi le débouché de 46 % des exportations de biens britanniques en 2019, et la part est encore plus élevée pour les produits manufacturés (52 %) et les produits agricoles et agroalimentaires (68 % des exportations britanniques). Concernant l’approvisionnement du Royaume-Uni, la dépendance est encore plus prononcée : 53 % des importations du Royaume-Uni proviennent de l’UE et jusqu’à 70 % pour les produits agricoles et agroalimentaires ou 76 % pour les produits chimiques.
Le poids du Royaume-Uni dans le commerce extérieur de l’Union est bien moindre. En 2019, le Royaume-Uni représente 15 % des exportations de biens extra UE et10 % des importations de biens extra UE.
L’UE est également de loin le premier investisseur direct au Royaume-Uni, avec un stock d’IDE en 2019 de 800 Md€, soit 44 % de l’ensemble du stock d’investissements étrangers sur le sol britannique. Symétriquement, l’UE est le premier territoire d’accueil des investissements britanniques à l’étranger, avec 40 % du stock total d’IDE britanniques localisé en 2019 dans l’UE, soit 707 Md€.
Malgré cette asymétrie, l’effet économique pour l’Union d’une absence d’accord avec le Royaume-Uni consécutive à sa sortie de l’UE (scenario dit du « no deal »), quoique nettement moins important que l’effet sur le Royaume-Uni, justifiait la tenue de négociations commerciales.
1.2 La négociation atypique de l’Accord de commerce et de coopération
Les négociations sur le « Brexit » ont été menées en deux temps (cf. Graphique 1). La première phase visait à permettre une sortie ordonnée du Royaume-Uni de l’UE et a abouti à l’Accord de retrait entré en vigueur le 1er février 2020.
Gr. 1 : Chronologie des négociations entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni
La négociation de l’Accord de commerce et de coopération (ACC) a été exceptionnelle à plusieurs titres. D’une part, à l’inverse de ce qui est attendu dans un accord commercial traditionnel, les négociations ne pouvaient aboutir qu’à une dégradation de la qualité de la relation commerciale entre les parties. En effet, aucun accord commercial ne peut reproduire les relations économiques du marché intérieur de l’UE, que le Royaume-Uni avait décidé de quitter.
Le Royaume-Uni avait également mis en place une structure institutionnelle ad hoc : le négociateur en chef du Royaume-Uni, David Frost, disposait de sa propre équipe de négociation, et rendait directement compte au Premier ministre Boris Johnson (et non au Department for International Trade).
2. Des attentes initialement très éloignées
Dès 2018, l’UE a identifié les risques qu’aurait impliqués pour elle un mauvais accord sur la relation future avec le Royaume-Uni. L’UE souhaitait nouer un partenariat ambitieux, afin de minimiser l’effet du Brexit pour les entreprises et les citoyens, mais en veillant à l’équilibre des droits et obligations des parties.
Premièrement, les quatre libertés fondamentales de l’UE (biens, capitaux, services et personnes) sont indissociables. Le Royaume-Uni ne pouvait pas rester dans le marché unique de l’UE en matière de biens et de services, tout en refusant la libre-circulation des personnes. Il ne pouvait pas non plus bénéficier du principe de reconnaissance mutuelle des standards, dès lors qu’il quittait le marché unique. Deuxièmement, l’UE devait préserver son autonomie décisionnelle. En tant qu’État tiers, le Royaume-Uni ne pouvait pas participer à l’élaboration des règles européennes, ce qui est réservé aux États membres. Troisièmement, l’accord devait contenir des garanties robustes en matière de concurrence équitable. Le Royaume-Uni ne pouvait pas massivement accorder des aides d’État ou éroder ses normes sociales et environnementales, et accorder ainsi un avantage compétitif indu à ses entreprises.
De son côté, le Premier ministre britannique avait indiqué comme priorité pour la négociation de l’accord sur les relations futures la préservation de la souveraineté du Royaume-Uni. Cette ligne s’opposant aux demandes européennes sur l’alignement règlementaire du Royaume-Uni, cette dernière question s’est révélée centrale dans la négociation de l’ACC. L’UE avait ainsi prévenu durant la négociation que, si le Royaume-Uni ne souscrivait pas à des engagements robustes en matière de concurrence équitable, elle se résoudrait à une relation commerciale fondée uniquement sur les règles de l’OMC, n’offrant pas au Royaume-Uni d’accès privilégié au marché européen. Cette situation, qui aurait représenté un coût économique pour les deux parties, a finalement été évitée par l’accord trouvé in fine.
3. La préservation du marché intérieur et des dispositions inédites sur la concurrence équitable
3.1 Un accès au marché similaire à celui des accords de l’UE avec le Canada et le Japon
En matière d’accès au marché, l’ACC reprend la majeure partie de la proposition initiale de l’UE, qui a pris pour modèle les précédents accords de nouvelle génération conclus par l’UE.
En matière de biens, l’ACC est toutefois inédit : sur le plan tarifaire, il prévoit l’absence de droits de douane et quotas sur l’ensemble des marchandises. Ce degré de libéralisation est unique pour un accord européen, bien que proche des engagements pris par l’UE avec le Japon et le Canada (cf. Tableau 1).
Tableau 1 : Part des lignes tarifaires libéralisées dans les accords commerciaux de l’UE (en pourcentage)
Comme dans tout accord, ce traitement préférentiel est conditionné au respect des règles d’origine, permettant de vérifier que seuls les biens qui ont la « nationalité économique » du Royaume-Uni peuvent être exemptés de droits à l’importation dans l’UE, et réciproquement.
Sur le plan non-tarifaire, l’ACC n’élimine pas les contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires sur les marchandises : comme tout accord commercial, il ne modifie en rien les normes imposées par le droit de l’UE à la mise sur le marché des produits, en particulier agricoles et agro-alimentaires.
En matière de services, l’ACC assure l’ouverture réciproque des marchés et la non-discrimination entre les opérateurs européens et britanniques. Néanmoins, les parties ont formulé un grand nombre de réserves, habituelles dans les accords commerciaux, afin de pouvoir déroger à l’accord dans certains secteurs (services audiovisuels ou services juridiques par exemple). En particulier, l’accord ne contient pas de dispositions permettant d’assurer la continuité des échanges entre le Royaume-Uni et l’UE s’agissant des services financiers : il n’y a plus d’accès privilégié au marché intérieur de l’UE. Le régime désormais applicable au Royaume-Uni, comme tout pays tiers, repose sur le principe de l’équivalence des cadres réglementaires, permettant le maintien de l’autonomie décisionnelle de l’UE.
3.2 Des dispositions inédites en matière de concurrence équitable dans les échanges et l’investissement
Des dispositions contraignantes en matière de normes environnementales, sociales et d’aides d’État ont été inscrites dans l’ACC, même si celui-ci ne prévoit pas un alignement réglementaire complet et dynamique du Royaume-Uni sur l’UE en la matière.
En matière de subventions, l’accord prévoit que les aides d’État, sans être interdites en général comme c’est le cas en droit européen, doivent respecter plusieurs principes :
- poursuivre un objectif de politique publique
- être proportionnées
- induire un changement de comportement économique
- ne pas créer d’effet d’aubaine
- ne pas remplacer des mesures moins distorsives
- ne pas créer plus d’effets négatifs que positifs, en particulier entre l’UE et le Royaume-Uni.
En matière de normes environnementales et sociales, l’accord retient un principe de non-régression, qui interdit d’abaisser le niveau de protection arrêté au 31 décembre 2020 dans l’UE et au Royaume-Uni, mais n’oblige pas le Royaume-Uni à s’aligner sur les futures normes européennes.
4. Une relation commerciale en évolution
4.1 Les échanges entre l’UE et le Royaume-Uni ont été affectés par le double effet du Brexit et de la Covid
Les échanges de biens entre l’UE et le Royaume-Uni se sont fortement contractés au début 2021, sous l’effet de l’intensification des contraintes sanitaires, du rétablissement des contrôles douaniers et du contrecoup des comportements de stockage en prévision de la sortie effective de l’Union douanière, fin 2020, sans qu’il soit possible d’identifier précisément le rôle de chacun de ces facteurs.
En janvier 2021, les exportations britanniques de biens vers l’UE étaient inférieures de 45 % à leur niveau moyen de 2019 et les importations britanniques de biens depuis l’UE étaient inférieures de 30 % à leur niveau moyen de 2019.
Au fil de l’année 2021, les exportations britanniques de biens vers l’UE ont rapidement rebondi, mais demeurent en novembre 2021 inférieures de 10 % à leur niveau moyen de 2019, un recul légèrement inférieur à celui des exportations vers le reste du monde. Les importations britanniques de biens depuis l’UE se sont également redressées mais beaucoup plus lentement, restant 17 % en dessous de leur niveau précrise en novembre 2021.
Les données d’échanges de services témoignent également d’un retard par rapport à la situation d’avant-crise : les imports et exports de services restent respectivement inférieurs de 32 % et 21 % à leur niveau de 2019 au deuxième trimestre 2021.
4.2 Un partenariat commercial majeur et susceptible d’approfondissements supplémentaires
Appliqué à titre provisoire dès le 1er janvier 2021, l’ACC est définitivement entré en vigueur le 29 avril 2021 à la suite de son approbation par le Parlement européen et le Conseil.
La relation entre l’UE et le Royaume-Uni s’inscrit dans le cadre de gouvernance prévu par l’accord et un « Conseil de partenariat » coprésidé par la Commission européenne et le gouvernement britannique chapeaute de nombreux comités spécialisés.
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