La numérisation des entreprises françaises

La crise sanitaire a montré que le numérique peut contribuer à une plus grande résilience de l’économie, en permettant des modes d’organisation flexibles et la vente à distance. Une politique publique de numérisation du tissu productif devrait cibler prioritairement les entreprises les plus contraintes financièrement et disposant d’un accès limité à l’information sur les bénéfices des technologies numériques. Elle doit s’accompagner d’un soutien aux infrastructures (Très Haut Débit, 5G) et d’un ensemble cohérent de politiques visant à faciliter le développement du numérique (soutien à la recherche, formation, cybersécurité, etc.). C’est pourquoi la numérisation de l’économie est un axe important des mesures prioritaires du plan de relance.

Les effets importants de la numérisation pour l’économie

La numérisation de l’économie, qui recouvre des technologies diverses, nourrit les gains de productivité. D’abord, le numérique permet l’automatisation d’un grand nombre de tâches, dans l’industrie comme dans les services. Ensuite, le développement des données de masse et des méthodes d’analyse de données permettent aux entreprises de prédire leur demande avec une plus grande précision et ainsi d’améliorer leurs performances. Les plateformes numériques diminuent les coûts de recherche de l’information pour les consommateurs, ce qui accroît la concurrence entre les entreprises utilisatrices de ces plateformes. Enfin, sur certains marchés le numérique réduit les barrières à l’entrée et permet à de petites entreprises d’accéder à des marchés plus larges : le commerce électronique, en permettant l’approfondissement du marché intérieur, a engendré des gains d’efficacité dans le secteur de la distribution.

Au niveau macroéconomique, la numérisation de l’économie a particulièrement contribué aux gains de productivité pendant la décennie 1995-2005, de l’ordre de 0,45 pt par an en France (respectivement 0,25 pt liés à la diffusion des TIC et 0,2 pt liés à la robotisation), et 0,55 pt en zone euro (resp. 0,25 pt et 0,3 pt) comme aux États-Unis (resp. 0,45 pt et 0,1 pt). Depuis, cette contribution s’est essoufflée, d’environ 40 % en zone euro comme aux États-Unis en lien avec le ralentissement de la diffusion des TIC dans le tissu productif. Cette situation ne préjuge pas toutefois du potentiel des technologies numériques actuellement en développement (informatique en nuage, intelligence artificielle) : l’adoption de nouvelles techniques de production peut se traduire par des gains de productivité avec plusieurs décennies de retard. Elle requiert en effet la mise en place par tâtonnements successifs de nouvelles organisations de la production et l’adaptation des qualifications de la main d’œuvre. Cette période d’apprentissage pourrait expliquer actuellement pourquoi les gains de productivité associés à l’intelligence artificielle ne se sont pas encore diffusés largement dans le tissu productif.

1.2 La numérisation serait neutre sur l’emploi total mais détruirait des emplois industriels

Les gains de productivité engendrés par les vagues successives de numérisation du tissu productif ne se sont pas traduits par un chômage technologique massif au niveau de l’économie totale. Cela conforte la thèse de Sauvy selon laquelle les gains de productivité d’une branche donnée se traduisent invariablement par des baisses d’emploi dans cette branche, mais engendrent des effets de demande (baisses de prix, hausse des revenus réels) qui développent l’emploi dans les autres branches. La numérisation a cependant participé à la polarisation du marché du travail en substituant des machines aux travailleurs qui effectuent des tâches manuelles routinières facilement automatisables, tout en requérant davantage de travailleurs plus qualifiés pour effectuer des tâches abstraites. C’est ainsi dans l’industrie, berceau historique des emplois routiniers intermédiaires, que l’emploi a le plus reculé avec l’automatisation : si les firmes les plus robotisées créent plus d’emplois et sont plus productives que leurs homologues non robotisées, leur expansion se fait au dépens des autres entreprises, avec un effet emploi net négatif dans l’industrie. La numérisation a aussi nourri la polarisation territoriale de l’activité économique : les zones d’emploi les plus exposées à la pénétration des robots sont celles qui ont connu les baisses d’emplois les plus élevées.

Toutefois, les pertes d’emplois industriels auraient probablement été de même ampleur ou supérieures si les entreprises ne s’étaient pas numérisées en raison des pertes de parts de marché au profit de la concurrence internationale.

1.3 La numérisation peut parfois fragiliser le tissu
productif

Malgré les gains de productivité qu’elle permet, une numérisation mal maîtrisée peut aussi avoir des effets négatifs. En effet, un moyen d’adopter rapidement une solution technologique étant de souscrire à une offre « clé en main » (par exemple une place de marché, un progiciel de gestion, un service d’informatique en nuage), une entreprise peut se retrouver captive d’une technologie ou d’un service, avec un risque de captation de valeur par le fournisseur. À cet égard, un recours massif à des technologies développées hors de l’Union européenne peut comporter un risque pour sa souveraineté économique. Plus largement, le numérique peut constituer un facteur d’accroissement de la vulnérabilité des entreprises : 15 % des entreprises françaises subissent chaque année au moins un incident de sécurité (altération, divulgation des données, indisponibilité des systèmes d’information) et ceci d’autant plus qu’elles sont utilisatrices de TIC.